La jurisprudence classique de la Cour de cassation en matière de produits stupéfiants ou d’alcool retient que la personne ne peut s’exonérer de responsabilité en alléguant une telle consommation. En revanche, cette faute peut, dans des cas de maladies mentales sévères, ne pas pouvoir être opposée aux personnes.
Cour de cassation, Chambre criminelle, 14 mai 1997, N° 95-84279 https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007570046
« soumis à un traitement anti-comitial lourd, B. était au moment des faits, sous l’empire d’un état alcoolique de 2,34 gr pour mille et se trouvait, dès lors, dans un état second où la volonté n’est plus intervenue que sous forme de réflexe totalement inadapté à la situation du moment; que, par ailleurs, aucun des actes commis par le demandeur dans la nuit du 5 au 6 janvier 1989 n’était cohérent, l’intéressé ne s’étant nullement rendu compte de sa méprise et se trouvant dans un état de totale désorientation (arrêt, page 15); qu’ainsi, en déclarant le demandeur coupable de blessures involontaires, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, d’où il résultait nécessairement qu’au moment des faits, B… était atteint d’un trouble psychique ayant aboli son discernement ; »
Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 mai 2010, N° 10-80279 (https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000022340326&fastReqId=867843682&fastPos=1) :
La chambre de l’instruction rend une ordonnance de non-lieu fondée sur l’irresponsabilité pénale de la personne. La partie civile forme un pourvoi en cassation.
Plusieurs expertises psychiatriques conduisent à l’abolition du discernement de l’intéressé pour cause de schizophrénie.
Les experts révèlent une telle atteinte de la personne mise en examen par la schizophrénie que le motif antisémite qui aurait pu présider à la commission des faits (celui-ci étant dans son entourage proche alimenté par une thématique antisémite, puisque sa mère avant d’être elle-même internée tenait des propos antisémites) n’est pas retenu par les experts psychiatres qui considèrent que le passage à l’acte s’est fait dans un contexte délirant dont l’auteur n’a même pas conscience.
Le collège d’experts (trois experts près la Cour de cassation) met en exergue une pathologie qui colonise la totalité du champ psychique. Le sujet est soumis à une force psychotique à laquelle il ne peut résister.
La chambre de l’instruction affirme que la méconnaissance par les experts du casier judiciaire de l’intéressé ne saurait remettre en causes leurs conclusions dès lors qu’ils ont eu connaissance de son dossier médical.
Elle affirme également que ce collège d’experts n’avait pas à répondre aux avis formulés par les experts choisis par les parties civiles puisque ceux-ci n’avaient pas examiné le mis en examen ni pris connaissance de son dossier médical.
Elle affirme enfin, au sujet d’une responsabilité pénale dont l’intéressé ne pourrait au regard de la jurisprudence classique de la Cour de cassation en matière de cannabis s’exonérer en alléguant une telle consommation, que celle-ci est en l’espèce sans incidence sur un éventuel rétablissement de responsabilité puisque la maladie mentale sévère le prive de toute lucidité sur son état. Il n’a pas la capacité d’agir volontairement quand il omet de prendre ses médicaments ou quand il fait usage de stupéfiants ou d’alcool. Ce qui signifie que la faute qui peut être opposée à une personne poursuivie concernant la prise de produits stupéfiants ou d’alcool et qui entrainerait une responsabilité pénale peut dans des cas de maladies mentales sévères ne pas pouvoir être opposée aux personnes.
La partie civile reproche à la chambre de l’instruction de ne pas avoir suffisamment répondu à certains raisonnements qu’elle présentait :
- Une juridiction de jugement n’avait pas reconnu l’irresponsabilité pénale de l’intéressé pour des faits de trafic de stupéfiants commis quelques jours avant l’assassinat ;
- Les juges ne pouvaient s’en remettre purement et simplement aux conclusions des experts pour déterminer l’existence ou non de l’élément intentionnel.
La Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que la chambre de l’instruction avait suffisamment motivé sa décision au regard des différents argumentaires qui lui étaient présentés.
La force probante des expertises psychiatriques faisant l’unanimité doit être constatée.
Cour de cassation, ch. criminelle, Arrêt n°404 du 14 avril 2021 (20-80.135) (Affaire Sarah Halimi) : https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/404_14_46872.html
La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt précisant les conditions de reconnaissance de la responsabilité pénale prévue à l’article 122-1 du Code pénal. Elle devait juger de la responsabilité pénale d’un homme, accusé des faits de séquestration d’une famille et du meurtre d’une femme. La situation est aggravée par le caractère antisémite de l’acte. L’intéressé souffrait de bouffées délirantes aigües au moment des faits en raison d’une consommation régulière de cannabis. Deux des trois expertises psychiatriques réalisées concluent à l’abolition de son discernement.
La Cour de cassation se range à l’avis majoritaire des psychiatres. Elle déclare que « La notion d’abolition du discernement posée par l’article 122-1 du code pénal a été récemment précisée par la cour de cassation dans un arrêt du 14/04/2021 CCrim, CCass confirmant une décision de la Chambre de l’instruction déclarant irresponsable une personne qui avait commis un crime sous l’emprise du cannabis. La Cour a ainsi précisé que « Les dispositions de l’article 122-1 du code pénal ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition du discernement. » (§29)
La Cour « justifie la décision de la chambre de l’instruction qui, pour retenir l’existence d’un trouble mental ayant aboli le discernement de la personne mise en examen, retient que celle-ci a agi sous l’emprise d’un trouble psychique constitutif d’une bouffée délirante d’origine toxique causé par la consommation régulière de cannabis, qui n’a pas été effectué avec la conscience que cet usage de stupéfiant puisse entrainer une telle manifestation. »
« Le discernement de la personne mise en examen était aboli au moment des faits. Le récit de monsieur Z, corroboré par celui des membres de la famille, montre que ses troubles psychiques avaient commencé le 2 avril 2017, et ont culminé dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, dans ce que les experts psychiatres ont décrit de manière unanime comme une bouffée délirante. »(§24)
Le fait que cette bouffée délirante soit due à la consommation régulière de cannabis « ne fait pas obstacle à ce que soit reconnu l’existence d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, puisqu’aucun élément du dossier n’indique que la consommation de cannabis par l’intéressé ait été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiant puisse entrainer une telle manifestation. » (§26)
» Il n’existe pas de doute sur l’existence chez monsieur Z au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. » (§27)
Des voix politiques se sont élevées contre ce jugement et sont à l’origine de propositions de lois et de l’annonce d’un projet de loi visant à exclure de la reconnaissance de l’irresponsabilité pénale les commettants ayant absorbé intentionnellement des substances nocives.
Quelques liens pour comprendre l’affaire :
- https://www.youtube.com/watch?v=izhduDNBciQNBciQ
- https://www.marianne.net/societe/police-et-justice/lun-des-experts-psy-de-laffaire-sarah-halimi-se-defend-lirresponsabilite-penale-simposait