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Non-respect du droit aux soins en prison

  • Arrêt du CONSEIL D’ ETAT du 3 décembre 2018

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000037683080&fastReqId=580305725&fastPos=1

En raison, de la situation d’entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, l’appréciation du caractère attentatoire de la condition des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité… et le cas échéant de leur handicap.

Seule des conditions qui porteraient atteinte à la dignité humaine révèlent l’existence d’une faute grave de nature à engager la responsabilité de la puissance publique …qu’il  incombe à l’ Etat de réparer.

  • Décision du TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE NANTES du 15 janvier 2019.

http://nantes.tribunal-administratif.fr/A-savoir/Jurisprudence/Decisions-2019

L‘Etat a été condamné à verser 800 € à un détenu pour des conditions d’accès aux soins au cours d’extractions médicales.

Il se plaignait d’avoir été menotté et entravé pendant les rendez-vous qui se sont déroulés en présence constante du personnel de l’escorte pénitentiaire.

Il dit aussi avoir renoncé à de nouvelles extractions de peur de subir le même traitement.

  • Arrêt du CONSEIL D’ETAT du 26 avril 2019.

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do;jsessionid=A17A7F7A1AF6FA40440C5B95D6034846.tplgfr34s_3?oldAction=rechExpJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000038451685&fastReqId=919251186&fastPos=173

Il incombe à l’administration pénitentiaire de prendre les mesures propres à protéger la vie des détenus et en particulier d’accomplir toutes les diligences en vue de leur faciliter l’accès aux soins . ( art.R 6111-29 du code de la Santé Publique).

En l’espèce la détenue demandait la levée immédiate de la mesure d’isolement à la maison d’arrêt de Fresnes et de lui garantir sans délai un suivi psychiatrique régulier, à raison d’un rendez- vous minimum tous les quinze jours auprès d’un médecin psychiatre.

Jurisprudence de la CEDH au regard de l’article 3 de la Convention :

Article 3 – Interdiction de la torture
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Violation de l’art. 3 : détention continue sans supervision médicale appropriée

« l’état d’un prisonnier souffrant de graves problèmes mentaux et présentant des risques suicidaires appelle des mesures particulièrement adaptées, quelle que soit la gravité des faits pour lesquels il a été condamné. »

  • Arrêt CEDH, Gömi c. Turquie, 19 février 2019, n°38704/11 – L’absence de prise en charge adéquate en détention d’une personne présentant des troubles mentaux viole l’article 3.

http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-191067

En l’absence d’un suivi constant de l’évolution de sa maladie par une équipe spécialisée, les autorités n’ont pas prodigué au requérant un traitement médical approprié en milieu pénitentiaire. Eu égard aux circonstances particulières de la cause et au besoin urgent de mettre fin à la violation de l’article 3, la Cour considère qu’il incombe à l’Etat d’assurer au requérant atteint d’un trouble mental des conditions adéquates de détention dans un établissement apte à lui fournir le traitement psychiatrique nécessaire, ainsi qu’un suivi médical constant.

  • Arrêt CEDH : 23/02/2012. Le maintien d’un détenu schizophrène dans un établissement pénitentiaire inapte à l’incarcération des malades mentaux viole l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme

https://www.dalloz-actualite.fr/essentiel/schizophrenie-et-incarceration-attention-danger#.XZMjl1UzaM8

En l’espèce le requérant avait mis le feu à sa cellule et blessé grièvement un codétenu qui décéda des suites de ses blessures. La personne ayant ultérieurement été placé en hôpital psychiatrique, la Cour de Strasbourg refuse de considérer, comme le soutenait le requérant, que les conditions de sa comparution devant la cour d’assises et la cour d’assises d’appel ont méconnu le droit à un procès équitable protégé par l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH). En effet, s’ils rappellent que le droit d’un accusé de participer réellement à son procès présuppose qu’il « comprenne globalement la nature et l’enjeu pour lui du procès, notamment la portée de toute peine pouvant lui être infligée », ce qui peut imposer la mise en place de « garanties spéciales de procédure » destinées à « protéger ceux qui, en raison de leurs troubles mentaux, ne sont pas entièrement capables d’agir pour leur propre compte », les juges européens considèrent que « les autorités nationales ont veillé à ce que l’état de santé du requérant lui permette de se défendre convenablement ». 

« 87.  La Cour a jugé à de nombreuses reprises que la détention d’une personne malade peut poser problème sur le terrain de l’article 3 de la Convention (Mouisel, précité, § 37) et que le manque de soins médicaux appropriés peut constituer un traitement contraire à l’article 3 (İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000‑VII ; Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 112, 10 février 2004, et Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 51, 2 décembre 2004). En particulier, pour apprécier la compatibilité ou non des conditions de détention en question avec les exigences de l’article 3, il faut, dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur vulnérabilité et de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitement donné sur leur personne (voir, par exemple, Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 82, série A no 244, et Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 66, Recueil 1998‑V).

88.  La Cour rappelle que, pour statuer sur l’aptitude ou non d’une personne à la détention au vu de son état, trois éléments particuliers doivent être pris en considération : a) son état de santé, b) le caractère adéquat ou non des soins et traitements médicaux dispensés en détention, et c) l’opportunité de son maintien en détention compte tenu de son état de santé (Mouisel, précité, §§ 40-42 ; Melnik, précité, § 94, et Rivière c. France, no 33834/03, § 63, 11 juillet 2006). »

Violation de l’art. 3 : transferts fréquents et échec à prendre suffisamment en compte le besoin de soins spécialisés dans un établissement adapté de la personne, en plus des incertitudes prolongées après ses demandes de sursis

  • Arrêt CEDH L.B. c. Belgique, 2 octobre 2012 

http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-4102096-4819200 :

Violation de l’art. 5§1 : malade placé dans établissement pénitentiaire pendant 7 ans alors que toutes les autorités étaient d’accord que ce n’était pas adapté ; placement en annexe psychiatrique doit être temporaire, en attendant que les autorités trouvent structure plus adaptée

  • Arrêt Claes c. Belgique, 10 janvier 2013 

http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-1361768-1421350 :

Violation de l’article 3 : détention en annexe psychiatrique de prison pendant plus de 15 ans sans traitement approprié, sans réelle perspective de changement

Quels que soient les obstacles créés par le comportement de la personne, ils ne dispensent pas l’Etat de ses obligations à son égard en raison de la position d’infériorité et d’impuissance typique des patients confinés en hôpital psychiatrique et encore plus en milieu carcéral

Problème structurel : traitement dans annexes psychiatriques inadéquat, placement en-dehors des établissements pénitentiaires impossible à cause du manque de places dans hôpitaux psychiatriques ou parce que législation ne permettait pas aux autorités d’ordonner le placement dans structures externes

  • Arrêt CEDH Bamouhammad c. Belgique, 17 novembre 2015

http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-5224926-6478925:

Violation de l’art. 3 : transferts incessants entre établissements empêchant supervision psychologique appropriée et ayant conduit à détérioration de son état mental, en plus de placement à l’isolement pendant 7 ans et mesures de sécurité (menottes, fouilles) systématiques

  • Arrêt CEDH Murray c. Pays-Bas, 26 avril 2016

http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-5358649-6688638 :

Détenu sur les îles de Curaçao puis Aruba

Violation de l’art. 3 : bien qu’ayant été évalué comme nécessitant traitement psychiatrique avant d’avoir été condamné à la perpétuité, n’a jamais reçu traitement pendant son incarcération ; lien reconnu entre cette absence de traitement et risque de récidive l’a privé d’un droit effectif à voir sa condamnation réduite

La CEDH conditionne la régularité de la détention (article 5 de la Convention EDH) à l’exécution de la peine privative de liberté dans un établissement approprié :

Article 5 de la Convention – Droit à la liberté et à la sûreté
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
(…)
e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ; (…)».

  • Arrêt de principe en la matière

Arrêt CEDH Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985
https://www.doctrine.fr/d/CEDH/HFJUD/CHAMBER/1985/CEDH001-61983
Violation de l’article 5§1 : La Cour estime que la régularité de la détention implique qu’il y ait un lien entre le motif censé justifier la privation de liberté, et le lieu et les conditions de la détention. 
Ainsi, elle considère que, la détention d’une personne atteinte de troubles psychique ne sera considérée, en principe, comme régulière, que si elle se déroule « dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié»

Le juge italien a ordonné, compte tenu de son état de santé mental, le transfert en REMS d’une personne détenue souffrant de troubles psychiques. Ce transfert n’a pas eu lieu. La Cour considère que le maintien du requérant en détention ordinaire, pendant deux ans, sans bénéficier « d’aucune stratégie thérapeutique globale » constitue une violation de l’article 3 de la Convention. 

La Cour a également condamné l’état Italien sur le terrain de l’article 5§1 de la ConvEDH car il n’existait plus, de lien entre le motif censé justifier la privation de liberté et le lieu et les conditions de la détention. Le requérant nécessitait des soins en REMS du fait de son état de santé, et sa détention dans un établissement pénitentiaire ordinaire était inadapté. 

L’Etat défendeur avançait des arguments logistiques et financier, en expliquant qu’il n’y avait pas de places disponibles en REMS. La  Cour a refusé de faire droit à cet argument et regrette que les autorités nationales n’aient pas « créé  de nouvelles place au sein des REMS ni trouvé une solution. Il l[les autorités ]leur revenait d’assurer au requérant qu’une place en REMS serait disponible ou de trouver une solution adaptée »(§135).  

  • Arrêt CEDH Strazimiri c. Albanie, 34602/16, 21/01/2020

http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-6615177-8775561 :

Violation de l’art. 5§1 : Le requérant est placé dans établissement hospitalier pénitentiaire alors qu’il a été déclaré irresponsable. L’Etat aurait dû le placer dans un établissement spécialisé.

  • Arrêt CEDH  Rooman c. Belgique : 31 janvier 2019

https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:[%22001-189847%22]%7D

Le requérant se plaignait de n’avoir pu bénéficier d’une thérapie adéquate. En effet, M. Rooman, a été privé, pendant sa détention, de suivi psychologique et psychiatrique régulier. 

 Après avoir reconnu une violation de l’article 3, au motif que le détenu n’avait pas pu faire l’objet de soins appropriés, la Cour EDH analyse les exigences thérapeutiques allouées aux autorités, sous l’angle de l’article 5 de la Conv EDH.

La Cour EDH reconnaît que « l’administration d’une thérapie adéquate est devenue une exigence dans le cadre de la notion plus large de “régularité“ de la privation de liberté. » 

La Cour EDH justifie son « analyse de griefs similaires, mais examinés selon l’une ou l’autre disposition » en expliquant qu’elle « s’impose naturellement par l’essence même des droits protégés ».

Pour Karine SFERLAZZO-BOUBLI, L’administration effective de soins appropriés, condition sine qua non du respect de l’article 3 en matière de détentions d’individus atteints de troubles mentaux, est désormais une condition sine qua non pour atteindre le but thérapeutique de la détention, qui est une exigence découlant de l’article 5 de la ConvEDH.

  • Arrêt CEDH Dufoort c. Belgique, 10 janvier 2013

https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22fulltext%22:[%22dufoort%22],%22documentcollectionid2%22:[%22GRANDCHAMBER%22,%22CHAMBER%22],%22itemid%22:[%22001-115768%22]}

Violation de l’article 5§1 : La Cour décide que le maintien du requérant souffrant de troubles psychiques « dans un établissement, où il ne bénéficie pas de l’encadrement approprié à sa pathologie, a eu pour effet de rompre le lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle a lieu. ». 

  • Arrêt CEDH L.B. c. Belgique, 2 octobre 2012 

http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-4102096-4819200 :

Violation de l’art. 5§1 : malade placé dans établissement pénitentiaire pendant 7 ans alors que toutes les autorités étaient d’accord que ce n’était pas adapté ; placement en annexe psychiatrique doit être temporaire, en attendant que les autorités trouvent structure plus adaptée.

Chapitres connexes :
  • Interdiction traitements inhumains et infamants, des atteintes à la dignité
  • Mesures disciplinaires en milieu pénitentiaire
  • Dignité et détention – Le recours de l’article 803-8 du Code de procédure pénale
  • Comparaison du respect des droits en prison dans huit pays européens
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