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Les préjudices donnant droit à indemnisation

Une irrégularité formelle ou de fond entraine le droit à indemnisation, même en l’absence de décision de mainlevée.

A. Personnes pouvant être mises en cause

Cour de cass : 19 déc 2012 (https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000026816086/): les personnes ayant concouru à la mesure doivent être mises en cause :

  • Directeur de l’établissement quand demande d’un tiers ou péril imminent : il faut bien cibler l’établissement, AP HP par exemple sur hôpital à Issy les Moulineaux à assigner car Corentin Cariou n’a pas la personnalité juridique
  • En cas de décision préfectorale : Etat donc agent judiciaire de l’Etat
  • Commune quand la décision est du maire

Si s’y ajoute une irrégularité concernant une mesure d’isolement, l’établissement hospitalier peut aussi être mis en cause.  On peut aussi engager la responsabilité de l’Etat, même quand l’hospitalisation est faite à la demande d’un tiers, quand le JLD n’a pas statué dans les délais impartis.

Il s’agit de se demander qui a contribué à la réalisation du dommage.

Le tiers demandeur ne peut pas être assigné, sauf circonstance très particulière. (ex : complicité de faux certificat médical) car le tiers ne fait qu’une demande et ne prend pas de décision.

On peut reprendre tous les moyens soulevés devant le JLD même s’il n’a pas statué dessus.

Devant le juge de l’indemnité, tout préjudice peut être soulevé.

Le barème est d’environ 7.000 euros pour 20 jours.

B.    Principaux types de préjudices reconnus par la jurisprudence

  • La privation de liberté d’aller et venir

Sont prises en compte les modalités de la privation de liberté : si la personne voit du monde, a des sorties ou au contraire n’a aucun contact téléphonique…

Pour 20 jours : 3.600 euros à Paris, 7.000 euros à Pontoise.

Pour 28 jours : 8.000 euros à Versailles (CA).

Pour 83 jours : 20.000 euros à Paris.

Pour 107 jours d’hospitalisation : 10 000 euros en réparation du préjudice résultant de la privation de liberté (Cour d’appel de Versailles, 3e chambre, 7 juillet 2022, n° 21/04488)

Pour une hospitalisation de 7 jours et 6 mois de programme de soins : 3.650 euros CA Paris.

Cour d’appel de Nancy, 1ère Chambre, 21 mai 2024, n°23/01175 : « Indéniablement, la mesure irrégulière a causé un préjudice à Monsieur [H], au premier chef la privation de sa liberté d’aller et venir et une atteinte à l’intimité de sa vie ; il à également souffert de ne pas être considéré et respecté dans ses droits au regard de l’important retard mis dans l’information de la mesure et des voies de recours, de nature à entraver l’accès à ses droits, l’existence d’un entretien avec son avocat le 12 mai 2020 étant indifférent sur cette appréciation ; il convient enfin de relever qu’il s’agissait de la première hospitalisation de cette nature que Monsieur [H] subissait et qu’il justifie du traumatisme qui lui a été causé par la mesure, ayant fait l’objet d’un suivi psychologique du 13 juillet 2020 au 7 octobre 2022 en raison de l’angoisse créée par cette hospitalisation ; s’agissant du traitement administré sous contrainte, aucun médicament destiné à traiter une pathologie mentale ne lui a été prescrit, seuls des entretiens avec des professionnels ont été réalisés.Dans ces conditions, l’ensemble des préjudices subis par Monsieur [H] sera exactement indemnisé par l’allocation de la somme de 7000 euros à titre de dommages-intérêts. »

  • L’administration des traitements médicamenteux sous la contrainte

Ce qui est indemnisé, c’est l’absence de possibilité de discuter du médicament choisi, administré de force, sous la contrainte : la jurisprudence indemnise la privation de choix.

Pour 80 jours, 5.000 euros alloués à ce titre.

Le quantum est plus important quand cela est fait par injection car plus traumatisant : 1.000 euros pour 7 jours

  • Le préjudice financier :

Perte de salaire, perte de chance d’occuper un emploi, honoraires de l’avocat

  • Les atteintes à la vie familiale :

Dans le cas d’un enfant mineur placé à l’ASE au moment de son hospitalisation : 6.000 euros pour 28 jours

  • Les atteintes à l’image liées à la mesure d’hospitalisation :

Par exemple en cas de plainte du voisinage : nécessité d’apporter la preuve :

  • Le défaut de notification des décisions :

Entre 500 et 1.500 euros

  • L’absence de base légale de la décision :

La Cour de cassation a jugé que l’annulation d’un arrêté de placement d’office prive cette décision de tout fondement légal. Une atteinte a donc été portée à la liberté individuelle de la personne, obligeant l’auteur de l’acte à l’indemniser. Cette indemnisation doit être versée “quel que soit le bien-fondé d’une telle hospitalisation” au moment des faits. Même si la décision d’internement était justifiée, son manque de base légale suffit à donner droit à une indemnisation. 

En l’espèce, l’arrêté du maire d’internement d’office pour un habitant au nom de son pouvoir de police administrative a été pris en raison de la “notoriété de la situation” de la personne concernée. Ce motif a été déclaré inconstitutionnel par une décision QPC n° 2011-174 QPC du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2011. Le Tribunal administratif a donc tiré les conséquences de cette inconstitutionnalité et a annulé l’arrêté. (Cass. Civ 1. 26 juin 2019, A n°18-12.630, https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/arrets_publies_2986/premiere_chambre_civile_3169/2019_9122/juin_9326/612_26_43053.html)

  • Le défaut de surveillance ayant entraîné un suicide 

Le juge administratif peut, dans certaines circonstances, sanctionner le défaut de surveillance ayant entraîné un suicide du patient.

Dans un arrêt du Conseil d’Etat du 27 février 1985, le juge rappelle « Qu’il résulte de l’instruction que les tendances suicidaires de Mme M., traitée depuis plusieurs années dans l’établissement, étaient connues du personnel soignant, et que Mme M. avait fait une première tentative de suicide quelques minutes après son arrivée dans ce service ; que, dans ces circonstances […]le fait qu’elle ait été laissée sans surveillance dans une chambre dépourvue de tout système de fermeture et qu’elle ait pu se jeter dans la cage d’escalier par une porte de service qui devait normalement rester ouverte pour des raisons de sécurité, relève d’un défaut d’organisation du service de nature à engager la responsabilité de l’établissement ». Dans un arrêt du Conseil d’Etat du 9 mars 2009, le juge estime que : «  Compte tenu des circonstances de son hospitalisation et de la parfaite connaissance qu’avaient les médecins des risques que comportait son état mental, le fait que M.X ait pu échapper à la vigilance du service où elle était hospitalisée et ait pu mettre fin à ses jours révèle une défaillance dans la surveillance et une faute dans l’organisation du service ; que cette faute est directement à l’origine de l’accident qui a entraîné la mort de M.X ; qu’elle est de nature à engager la responsabilité de l’établissement hospitalier ».

Voir aussi Conseil d’Etat, 12 mars 2012.

  • Agressions subies par les patients 

Dans un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux du 8 juillet 2008, le juge administratif reconnaît la faute d’un établissement, de nature à engager sa responsabilité, dans le cas d’une patiente agressée sexuellement par un autre patient. En cause notamment, l’absence de séparation entre les hommes et les femmes dans les locaux, et l’absence dans les chambres de dispositif d’appel du personnel chargé. Voir également en ce sens : dans le cas d’une agression, CE, 30 juin 1978,  CE, 10 avril 1970 ou encore CE, 23 juin 1986.

  • Les préjudices subis lors d’une fugue 

Le juge administratif peut sanctionner les défauts d’organisation et de surveillance des services psychiatriques, lorsqu’un patient fugue de l’établissement. C’est par exemple le cas dans un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris  du 11 juillet 1997, qui explique que « alors même que le patient aurait reçu les soins médicaux rendus nécessaires par son état, et que le service hospitalier n’aurait pas eu connaissance des tentatives de suicide du patient, l’absence totale de surveillance particulière de nature à prévenir une fuite inopinée constitue, par elle-même, une faute dans l’organisation du service ». En l’espèce, le patient avait fugué de l’établissement et avait subi des blessures graves, après s’être défénestré. Voir également, CE, 12 mai 1972 ; CE, 27 février 1985 ; CE 12 décembre 1979

C. L’indemnisation spécifique liée à l’isolement :

Le 17 janvier 2019, le Tribunal de Versailles a indemnisé la victime d’un isolement pendant 21 jours sans contention par 10.000 euros : « il appartenait à l’hôpital de justifier que cela avait été pris en dernier recours dans un but thérapeutique et non dans la prévention de la fugue ou un but sécuritaire ».

Fautes de nature à engager la responsabilité de l’établissement psychiatrique

Défaut de surveillance de la part du personnel médical :

Un patient en état d’agitation aigu et d’agressivité extrême lors de son admission en établissement psychiatrique placé à l’isolement dès son arrivée pour une durée de 6 jours et sous contention durant 4 jours. Si une surveillance régulière a été programmée au début de la mesure, celle-ci aurait dû être adaptée par la suite au regard : 

  • Du caractère prolongé de la mesure de contention 
  • Du comportement très agité du patient 
  • De l’apparition de signes visibles de blessures au niveau des points d’attache.

De plus, aucun document ne fait état d’un examen médical lors du dernier renouvellement de la mesure de contention ou lorsque celle-ci a pris fin, deux jours avant la fin de l’isolement. 

L’équipe médicale « en n’assurant pas, pendant la mesure de contention prescrite à M.C…, une surveillance et un suivi de l’état de santé de l’intéressé adaptés à la durée de la mesure de contention et à l’état tant physique que psychique du patient de nature à prévenir l’apparition de la paralysie de son bras gauche et l’insuffisance rénale aiguë secondaire consécutive à une rhabdomyolise résultant d’une immobilisation prolongée et en ne diagnostiquant que tardivement cette paralysie de son bras gauche, a commis des fautes de nature à engager la responsabilité de l’EPSM » (§6) 

  • Défaut de surveillance ayant entrainé la mort d’une patiente en isolement CAA de Nantes, 7 février 2020, n° 18NT00789 (https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000041548628)

Une femme atteinte de troubles bipolaires placée en isolement et sous neuroleptiques à son entrée en établissement psychiatrique est décédée par asphyxie. Le personnel infirmier s’est contenté d’une surveillance à distance des mouvements respiratoires de la patiente derrière le hublot de la chambre d’isolement. Il n’a pas respecté la prescription médicale indiquant la nécessité de prendre la pression artérielle et du pouls de la patiente toutes les deux heures. « Cette carence dans la surveillance [est] constitutive d’une faute susceptible d’engager la responsabilité du centre hospitalier » (§1) 

Conditions de placement à l’isolement inhumaines et dégradantes caractérisées par :

  • L’absence d’information concernant la durée précise des mesures répétées de placement en isolement 
  • Des conditions d’hygiène insuffisantes
  • Du manque de soins 

L’administration hospitalière est tenue de prendre toute mesure utile afin d’éviter un traitement inhumain et dégradant des patients en raison de « la vulnérabilité des patients placés en chambre d’isolement et à leur situation d’entière dépendance vis à vis de l’administration hospitalière. » (§3) – CAA Marseille, 21 mai 2015, n°13MA03115 (https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000030625025

Chapitre connexe :
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