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Kit Avocats

1 - Nouveautés

Vous trouverez dans cette rubrique les éléments ajoutés dernièrement au kit.

Derniers ajouts en avril 2024 :

Dans la partie : Points de vigilance tout au long du procès pénal / Les pouvoirs du procureur

NB : Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 11 mai 2021, n°20-82.267, Publié au bulletin : La Cour de cassation a jugé que, pour écarter le moyen de nullité du réquisitoire introductif, en ce que la curatrice n’a pas été informée que cet acte d’orientation des poursuites, l’article 706-113 du code de procédure pénale prévoit que le curateur ou le tuteur d’une personne majeure protégée doit être avisé des poursuites dont elle fait l’objet qu’au moment de la mise en examen. Pour ne pas retenir la nullité des perquisitions, la Cour retient que la procédure ne contrevient pas à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce qu’aucun interrogation n’a été effectué, que l’intéressé n’a pas contesté l’authenticité des biens saisis et que les enquêteurs ignoraient la mesure de protection.

Dans la partie : Points de vigilance tout au long du procès pénal / La procédure devant le juge d’instruction

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 8 juin 2017, n°17-80.709, Publié au bulletin : Dans le cadre d’une commission rogatoire, le fils du mis en examen pour viol aggravé sur son ex-compagne est interrogé par les services de police. Celui-ci est majeur protégé placé sous le régime de la curatelle renforcée. Il révèle, en tant que témoin, spontanément le projet d’assassinat par son père de cette ex-compagne et fournit certaines précisions. Le juge d’instruction procède ensuite  à l’audition du fils du mise en examen, ce dernier confirme ses déclarations. Le juge d’instruction entend le curateur du témoin et décide de mettre en examen le père pour tentative d’assassinat et le fils du chef pour complicité. Sur ce, la Cour de cassation retient que les questions du juge d’instruction excédaient de simples vérifications sommaires, le témoin étant amené à confirmer ses déclarations incriminantes hors la présence d’un avocat.

Dans la partie : L’ordonnance de mainlevée et l’appel / C. La procédure d’appel

Cour de cassation, première chambre civile, 31 janvier 2024, Arrêt n°46 F-B, pourvoi n°T 22-23.242 : Le majeur sous curatelle renforcée peut seul interjeter appel d’une décision du JLD en matière d’hospitalisation sans consentement. Sur le visa des articles 415 et 459 du code civil et L. 3211-12 du code de la santé publique, la Cour a retenu que : « Constitue un acte personnel que la personne majeure protégée peut accomplir seule l’appel d’une décision du juge des libertés et de la détention statuant sur une mesure de soins sans consentement la concernant.
Pour déclarer irrecevable l’appel formé par M. [K], l’ordonnance retient que M. [K], en sa qualité de majeur sous curatelle en vertu d’un jugement du 30 novembre 2018, ne pouvait agir ou se défendre en justice sans l’assistance de son curateur. En statuant ainsi, le premier président a violé les textes susvisés.
 »

2 - Pourquoi ce «kit» ?

Le métier d’avocat est sans aucun doute l’un des plus beaux qui soient, mais il peut s’avérer très difficile à assurer lorsque la personne dont on prend la défense tient des discours irrationnels, se drape dans le mutisme ou nie toute responsabilité dans les actes ayant entrainé les poursuites contre l’évidence.

Parmi les clients adoptant ce type d’attitude figurent des personnes atteintes de troubles psychiques, manifestation de maladies graves considérées jusque récemment comme sans rémission : schizophrénie, troubles bipolaires, dépression sévère, etc.

L’Union Nationale de Familles et Amis de Personnes Malades et/ou Handicapées Psychiques (UNAFAM), est une association reconnue d’utilité publique forte de 15.200 familles adhérentes, qui apporte  formation, et aide – sous toutes ses formes - aux familles dont un proche est sujet à des troubles psychiques. Parmi ses membres, un certain nombre de familles, apprenant que leur fils, fille, frère, sœur, père, mère, …, hospitalisé pour des soins sans consentement ou placé en garde à vue puis mis en examen suite à une présomption de délit, pouvait souhaiter l’assistance d’un avocat, se sont demandées en quoi elles pourraient aider ce défenseur de l’être cher.

En 2018, l’UNAFAM a publié un guide intitulé « Comment aider un proche malade psychique confronté à la justice pénale », actualisé en septembre 2020, auquel ont collaboré plusieurs praticiens du droit, dont des avocats https://www.unafam.org/besoin-d-aide/mediatheque/publications-de-lunafam/comment-aider-un-proche-malade-psychique

Elle a aussi formé une cinquantaine de ses bénévoles, répartis dans l’ensemble des régions, pour apporter une écoute attentive et des soutiens aux familles qui s’adressent à elle à travers ses « accueils » dans les délégations départementales et à travers son service « Ecoute Familles » (https://www.unafam.org/besoin-daide/une-ligne-decoute) au niveau national. Ces « référents parcours pénal » dirigent éventuellement leurs interlocuteurs vers des avocats qui ont montré une capacité particulière d’attention pour les personnes vivant avec des troubles psychiques.

C’est en dialoguant avec un certain nombre de ces avocats engagés et d’autres professionnels du droit autour d’idées partagées qu’est née l’idée d’une plateforme de ressources pouvant aider d’autres professionnels du droit, moins familiers des personnes malades et/ou en situation de handicap psychique, à préparer leurs plaidoiries en défense de ces derniers : une boite à outils, un « kit » à assembler selon ses besoins.

Ce « Kit d’aide à la préparation de la défense d’un client atteint de troubles psychiques » est ainsi le fruit de convictions partagées entre une association de familles et des praticiens du droit : avocats, magistrats et universitaires.

Il est fondé sur des convictions partagées entre une association de familles et des praticiens du droit : avocats, magistrats et universitaires. Les principales sont que :

  1. Les maladies psychiques demeurent très mal connues hors du monde de la psychiatrie, et encore plus les traitements qui, aujourd’hui permettent, dans une proportion de plus en plus élevée, une stabilisation des symptômes gênants favorisant ainsi la  réinsertion des personnes « rétablies » leur permettant  une véritable intégration dans la société, même si subsistent des limitations (handicap psychique).
  2. Les préjugés très largement partagés par la population sur la dangerosité des personnes vivant avec des troubles psychiques, bien que démentis par les statistiques mais entretenus par les médias, affectent largement les décisions de justice.
  3. La loi pénale, en organisant, avec l’article 122-1, la réflexion des magistrats de façon binaire autour des notions d’abolition et d’altération du discernement, tourne le dos aux avancées de la psychiatrie depuis une décennie qui, avec l’aide des neurosciences, ont permis de comprendre que les troubles psychiques en phase aigüe peuvent souvent combiner une part de discernement avec une perte totale de la maîtrise de ses actes.
  4. Les magistrats ne trouvent guère dans les expertises qu’ils demandent dans les procédures pénales de réponses aux questions qu’ils se posent du fait du simplisme de la loi.
  5. Le développement de la procédure des comparutions immédiates a restreint significativement la possibilité, pour avocats et magistrats, de prendre en compte l’existence de pathologies psychiatriques de mis en examen qui échouent ensuite, dans une proportion anormalement élevée, dans les établissements pénitentiaires.
  6. Alors que les malades psychiques ont besoin de soins de qualité, la prison n’est que très rarement un espace qui les leur procure.
  7. Lorsque l’irresponsabilité pénale n’est pas reconnue, les peines alternatives et aménagements de peine en milieu ouvert sont généralement la solution la plus adaptée, car ils permettent la mise en place de soins.
  8. La psychiatrie, faute de moyens et de réformes organisationnelles structurantes, restreint encore trop fréquemment les droits des patients qui lui sont confiés pour des soins sans consentement. Alors que les pratiques d’isolement et de contention ne devraient être qu’exceptionnelles selon la loi, elles sont quasi-systématiquement appliquées lorsqu’il s’agit de détenus transférés.
  9. La loi de santé, en instituant en 2011, obligatoirement dans les douze jours suivant l’admission en soins psychiatriques sans consentement, l’audience devant le juge des libertés et de la détention a donné à ce magistrat une responsabilité très difficile à assurer en bornant son rôle au contrôle de la régularité de la procédure. La LFSS du 14 décembre 2020 a étendu ce rôle au contrôle des durées d’isolement et de contention sans lui donner les moyens de le faire réellement.
  10. La protection qu’organise la loi pour les majeurs sous tutelle ou curatelle se trouve fortement amoindrie par une interprétation jurisprudentielle considérant que les autorités publiques ne sont soumises qu’au respect d’une obligation de moyens.

Ces dix convictions partagées ont servi de matrice pour définir les différentes composantes de ce kit, « work in process » qui sera amélioré au fur et à mesure des apports de ses utilisateurs.

Chaque défenseur s’y référant est, bien entendu, libre, s’appuyant sur son éthique professionnelle, d’en faire l’usage qui lui paraîtra le plus indiqué en accord – lorsque c’est possible – avec son client.

Il est un sujet sur lequel les auteurs n’ont pu parvenir à un consensus en ce qui concerne le procès au pénal : partant du constat fait par plusieurs études scientifiques que les peines, infligées en correctionnelle ou en Cour d’assises à des prévenus dont la pathologie psychiatrique est connue des juges, sont, au mépris de la loi, en moyenne plus lourdes que celles appliquées à des personnes n’ayant pas une telle pathologie ou dont la pathologie psychiatrique est ignorée, deux opinions se sont faites jour:

  • Celle qu’il vaut mieux, aux différentes étapes de la procédure pénale, passer sous silence la pathologie psychiatrique, et encore plus si la personne refuse qu’elle soit connue des juges, en se gardant de demander une expertise ; 
  • Celle qu’il vaut mieux au contraire mettre en avant cette pathologie pour obtenir soit la reconnaissance de l’irresponsabilité pénale, soit le bénéfice des réductions de prévues à l’article 122-1 CP, s’appuyant sur la mise en valeur  des possibilités thérapeutiques existant aujourd’hui pour conduire les personnes malades psychiques sur la voie d’un « rétablissement » conduisant à leur réinsertion sociale.

A chaque défenseur, en fonction de son intime conviction, que ce kit vise aussi à l’aider à se forger, de choisir entre les deux attitudes.

3 - Quelques clés sur les maladies psychiques

Ce chapitre a été écrit par l’UNAFAM sur la base des données scientifiques qu’elle accumule et tient en permanence à jour.  Son objet est de fournir au lecteur des informations allant au-delà des représentations traditionnelles et simplistes sur des maladies pour lesquelles la recherche avance à grands pas, porteuse d’espoir.

3.1 - Définitions & Symptômes

Les maladies psychiques sont des maladies du cerveau qui affectent la pensée, les émotions et le comportement d'une personne.

Elles altèrent non seulement le cerveau, le système nerveux central, mais aussi les systèmes périphériques (comme en témoignent les maladies somatiques qui leur sont souvent associées).

Les communications entre les cellules nerveuses sont touchées, ce qui perturbe la transmission d’informations venant du corps ou du milieu extérieur.

Aujourd’hui, on retient, comme explication, le modèle bio-psycho-social, qui met en cause de multiples facteurs (complexité) : Vulnérabilité génétique + Facteurs biologiques (infections prénatales, facteurs inflammatoires…) + Environnement psycho-social  = Troubles psychiques

Sont aussi identifiés des facteurs déclenchants tel qu’un stress (deuil, rupture scolaire, amoureuse, psychotraumatismes, risques psychosociaux…) et/ou la consommation de cannabis, d’alcool…

3.1.1 - Les symptômes des différents types de maladies psychiques

Elles se caractérisent par des troubles comportementaux et une souffrance psychique souvent associés à des troubles cognitifs (touchant la mémoire, la concentration, etc.) qui handicapent la personne atteinte et altèrent son fonctionnement social, familial et professionnel.

  • Altération des repères de temps et d’espace (horaires, déplacement, orientation).
  • Vitesse de compréhension ralentie : décalage entre compréhension, réaction, exécution.
  • Troubles de la mémoire : oubli des consignes.
  • Altération de la concentration.
  • Troubles de l’anticipation (difficulté à s’organiser, à se projeter dans l’avenir).
  • Troubles de la volition (incapacité à faire des choix et à les assumer).

Les crises ou « décompensations »

Elles sont une réaction à une situation émotionnelle extrême. Souvent, il s’agit de la mise à jour trop brutale ou forcée et donc la confrontation sans préparation, de certains éléments psychiques personnels lourds, qui provoque un effondrement général de la personnalité de l’individu.

Cet effondrement entraîne des conséquences pouvant aller de la dépression jusqu’au suicide ou de l’agitation jusqu’à l’agression de tiers (passage à l’acte)

Une décompensation peut aussi mettre en lumière une pathologie psychiatrique jusque-là latente.

Les maladies psychiques sont génératrices d’angoisses et de souffrance. Elles nécessitent soins et accompagnements. Pour cela, il est indispensable de :

  • les identifier comme des maladies (le déni est souvent une première réaction de l’entourage).
  • en parler
  • adapter les aides à chaque cas spécifique
  • être confiant que chaque situation peut être améliorée

Une prise en charge adaptée et précoce améliore considérablement le pronostic (en prévenant ou minimisant les rechutes) ainsi que la qualité de vie des personnes en limitant le handicap.

3.1.2 - Les principales maladies psychiques

Elles sont aussi appelées maladies mentales en référence au DMS, manuel statistique international des troubles mentaux : on présentera successivement :

  • Les schizophrénies
  • Les troubles bipolaires
  • La dépression résistante
  • Les troubles de la personnalité borderline (état-limite)*
  • Les troubles anxieux et phobiques (trouble anxieux généralisé, phobies, troubles obsessionnels compulsifs), pathologies beaucoup moins sévères que les précédentes.

A - Les schizophrénies

Cesont des maladies psychiques chroniques se traduisant par une perception perturbée de la réalité, des manifestations productives, comme des idées délirantes ou des hallucinations, et des manifestations passives, comme un isolement social et relationnel. En pratique, elles peuvent être très différentes d’un patient à l’autre, selon la nature et la sévérité des différents symptômes qu’il présente. (INSERM) Elles touchent environ 1% de la population générale (OMS).

  • Les troubles apparaissent le plus souvent à la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte
  • Les troubles affectent la capacité d’une personne à distinguer la réalité partagée par tous, de sa propre perception des évènements
  • Les troubles affectent l’estime de soi (auto-stigmatisation)
  • Le déni retarde la prise en charge en soins

Les symptômes sont de trois types :

Les symptômes productifs dits « positifs » :

Ainsi dénommés parce qu’ils « s’ajoutent » aux perceptions ordinaires, ce sont les plus impressionnants : ils rassemblent les délires et les hallucinations et peuvent se traduire en un sentiment de persécution (paranoïa), une mégalomanie, des idées délirantes invraisemblables et excentriques, ou encore des hallucinations sensorielles, souvent auditives (le sujet entend des voix) mais aussi visuelles, olfactives, tactiles ou gustatives.

Vécus comme réels, ces symptômes sont souvent très angoissants et source de souffrance considérable.

Les symptômes dits « négatifs » (ou déficitaires) correspondent à un appauvrissement affectif et émotionnel. Le patient se met en retrait et s’isole progressivement de son cercle familial, amical et social. Il communique moins, présente une volonté limitée et manifeste une émotivité réduite. Il présente moins d’intérêt et de volonté et davantage d’apathie, ce qui peut ressembler à une dépression. Les symptômes s’expriment par la réduction de l’ensemble des activités. Ils peuvent ainsi se traduire par :

  • un manque d’énergie,
  • une difficulté à mener une action, à se concentrer, à mémoriser, à suivre un film ou une conversation.
  • une atténuation des émotions (qui peut aller jusqu’à une indifférence affective).

Les symptômes dissociatifs correspondent à une désorganisation de la pensée, des paroles, des émotions et des comportements corporels. La cohérence et la logique du discours et des pensées sont perturbées. Le patient est moins attentif, présente des difficultés à se concentrer, mémoriser, comprendre ou se faire comprendre. Il peut avoir des difficultés à planifier des tâches simples comme faire son travail ou des courses, ce qui peut être source d’un handicap majeur dans la vie quotidienne. (Source site INSERM)

En dépit de l’emphase donnée à certains faits divers, les patients dangereux pour la société sont une minorité. Seuls de rares cas donnent lieu à des accès de violence au cours d’une crise, et cette agressivité est le plus souvent tournée vers le patient lui-même : environ la moitié des patients souffrant de schizophrénie font au moins une tentative de suicide au cours de leur vie. Entre 10 et 20% en meurent, surtout dans les premières années. (Source site INSERM)

B - Les troubles bipolaires

Les troubles bipolaires se caractérisent par une alternance chez un même sujet de périodes d’accès maniaques et/ou d’accès dépressifs de forte intensité, entrecoupées de périodes de stabilité (normo-thymie). Ils touchent entre 1,2 et 5,5% de la population (Source Fondation Fondamental).

L’état maniaque

Etat euphorique intense, associé à :

  • Des projets grandioses et inadaptés, des dépenses compulsives
  • Une estime de soi démesurée (mégalomanie)
  • Une hyperactivité, des insomnies sans sensation de fatigue
  • Un besoin de séduire, des comportements sexuels à risque…

L’état dépressif

La phase dépressive est l’autre versant de la phase maniaque, tout aussi forte mais dans l’émotion inverse : tristesse, dépression, mélancolie…

Par ailleurs, les troubles bipolaires s’accompagnent d’une forte comorbidité, c’est-à-dire que d’autres troubles se greffent à la maladie : alcoolisme, diabète, dysthyroïdie, etc.

Le diagnostic est souvent tardif en raison de la difficulté à identifier les phases maniaques et dépressives, qui ne sont pas toujours caractérisées. On estime à 10 ans en moyenne le temps écoulé entre un premier épisode et l’instauration d’un traitement adapté. Ce décalage s’explique par la méconnaissance de la maladie de la part des médecins, qui associent souvent les symptômes de la bipolarité à ceux de la dépression. Si bien qu’actuellement, 40% des dépressifs pourraient en réalité souffrir de bipolarité sans être diagnostiqués.

Le risque suicidaire est important (20% des personnes bipolaires non traitées décèdent par suicide).

C - La dépression résistante

La dépression est une maladie mentale courante : 16 à 17 % des Français présentent au moins un épisode dépressif au cours de leur existence (Source Fondation Fondamental).

Si la prise en charge des épisodes dépressifs est aujourd’hui bien codifiée avec une efficacité clairement démontrée des antidépresseurs et psychothérapies, on estime cependant que ces traitements ne sont pas efficaces dans un tiers des cas.

Forme particulière de dépression, la dépression résistante se caractérise par la persistance de l’épisode dépressif malgré au moins 2 traitements antidépresseurs successifs bien conduits ou qui n’évolue pas suffisamment favorablement sous l’influence de ces traitements.

Elle concernerait 20 à 30% des épisodes dépressifs majeurs.

Mieux la comprendre et mieux la soigner est donc un enjeu majeur. Il existe pour cela des « centres experts dépression résistante » (réseau Fondamental) qui offrent un réseau de consultations spécialisées dédiées au soin et à la recherche.

D - Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC)

Ils se caractérisent par :

  • Les obsessions : idées ou impressions répétitives, embarrassantes et indésirables. Elles prennent la forme de préoccupations concernant la saleté, de pensées angoissantes, de besoins de placer des objets dans un certain ordre… Elles peuvent être associées à des compulsions.
  • Les compulsions : rituels qui se traduisent par des vérifications répétitives (tels que des lavages ou nettoyages excessifs). Ces comportements ont pour but de diminuer l’anxiété causée par les obsessions.

E - Le trouble de la personnalité borderline

C’est une maladie psychique appelée aussi « état-limite » qui affecte 2% de la population générale (Source OMS).

Elle génère un mode général d’instabilité : de l’identité, de l’image de soi, des relations interpersonnelles et de l’humeur. Elle se caractérise par une impulsivité marquée, et des comportements auto et hétéro agressifs.

Cette maladie est souvent confondue avec le trouble bipolaire, qui concerne l’humeur, alors que le trouble borderline est un trouble des émotions, caractérisé par deux aspects : une plus grande sensibilité et une moins bonne régulation. Le risque suicidaire est important

Pour mémoire, nous présentons ensuite des pathologies psychiques fréquentes et beaucoup moins sévères. 

F - Le trouble anxieux généralisé (TAG)

Il se caractérise par un état d’anxiété permanente et de soucis excessifs, durant au moins 6 mois. Cette anxiété n’est pas liée à un objet ou à une situation précise. Il s’agit d’une inquiétude excessive de tous les moments de la vie quotidienne. La personne a des difficultés à contrôler cette inquiétude importante.

Les symptômes physiques associés sont une tension motrice, une hypervigilance, la bouche sèche, des sueurs, des nausées, des diarrhées, des tremblements, des contractions, des céphalées...

G - Les phobies

Les phobies se caractérisent par une peur irraisonnée, intense et spécifique à un objet ou une situation. Elles sont très fréquentes dans la vie psychique normale, mais deviennent pathologiques lorsque leur intensité est forte et retentit sur la vie de la personne.

Les phobies s’accompagnent de conduites d’évitement de l’objet ou de la situation, et/ou de conduites qui rassurent, dites conduites contraphobiques : par exemple, agoraphobie, phobies sociales, dysmorphophobie…

Aujourd’hui, ces maladies, même pour les plus graves d’entre elles, ne sont pas une fatalité et les malades ne sont pas des personnes dangereuses si elles sont soignées. Les chances de rémission augmentent si la personne bénéficie de soins de réhabilitation. Ceux-ci visent à promouvoir le rétablissement de la personne en s’appuyant sur ses capacités.

On parle aussi d’« empowerment ». C’est un processus individuel, non linéaire, qui ne signifie pas guérison, mais le fait de retrouver la capacité à faire des choix pour soi.... Il vise à réacquérir le pouvoir d’agir sur sa propre vie grâce à ses compétences, à retrouver un sens à sa vie, à se sentir à nouveau appartenir à un groupe et membre à part entière de la société.

Voir Les thérapies nouvelles

3.2 - Approches scientifiques de la schizophrénie

On prendra ici l’exemple de la schizophrénie, trouble souvent très handicapant, faisant l’objet de recherches qui  modifient profondément  le regard sur cette maladie.

Les progrès de l’imagerie médicale et de la génétique ont permis récemment de faire de grands progrès dans la compréhension des mécanismes neurologiques et génétiques à l’origine des maladies psychiques.

3.2.1 - Origines probables de la schizophrénie

Source INSERM

La schizophrénie est une maladie dont l’origine est plurifactorielle. Son développement résulterait d’une interaction entre gènes et environnement, suggérant qu’il existe une vulnérabilité génétique précipitée par des facteurs environnementaux.

La part de la génétique

Il existe a priori deux types de prédisposition génétique à la maladie : d’une part, certaines variations génétiques ont été identifiées comme étant associées à un léger surrisque de développer la maladie en cas d’exposition à des facteurs de risque environnementaux. Cependant, leur impact modeste rend leur identification difficile. D’autre part, quelques mutations ponctuelles rares ont été décrites comme ayant un impact majeur sur le risque de développer une schizophrénie. Elles toucheraient préférentiellement des gènes jouant un rôle dans la plasticité neuronale, en partie communs avec ceux impliqués dans d’autres troubles du neurodéveloppement.

Pris globalement, le rôle de la génétique reste donc modéré : la fréquence de la maladie reste 10 fois plus faible que la fréquence à laquelle ces facteurs de vulnérabilité génétique sont retrouvés au sein de la population générale. Chez des jumeaux qui possèdent le même patrimoine génétique, lorsque l'un est atteint de schizophrénie, le risque que le second développe la maladie n’est que d’environ 40%.

Une composante environnementale, avec un rôle établi du stress et du cannabis

Différents facteurs environnementaux pourraient favoriser le développement de la maladie, notamment au cours de la période critique que constitue l’adolescence et le début de la vie adulte.

Des travaux suggèrent aussi que certains éléments influençant le développement cérébral (comme des problèmes au cours du développement fœtal en raison d’incompatibilité rhésus ou de complications liées à une grippe contractée pendant la grossesse) augmentent le risque ultérieur de schizophrénie, mais l’effet reste assez faible. Les troubles précoces du développement ont ainsi été identifiés comme facteurs favorisant l’apparition d’un trouble schizophrénique.

Deux autres paramètres constituent, eux, des facteurs de risque bien établis précipitant l’apparition de troubles psychotiques :

-  le premier correspond au stress, qui est décrit comme pouvant altérer différents mécanismes biologiques (neurogenèse, activité des facteurs de croissance et survie des neurones…) au niveau de plusieurs structures cérébrales (hippocampe, cortex préfrontal, amygdale…). Il expliquerait ainsi l’incidence plus élevée de la maladie en milieu urbain ou parmi les sujets ayant eu un parcours de migration, notamment au cours de l’enfance et de l’adolescence. Ces associations ont été notamment bien décrites par les études issues du projet européen  European network of national schizophrenia networks studying gene-environment interactions, dont le but était d’étudier les déterminants génétiques et environnementaux de la schizophrénie et les facteurs déterminant l’émergence des troubles chez des sujets à très haut risque, présentant des symptômes atténués.

le second correspond à la consommation de substances psychogènes et particulièrement le cannabis : le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) perturberait la maturation cérébrale en agissant sur les récepteurs qu’il active, nombreux au niveau des zones du cerveau impliquées dans les pathologies psychiatriques, et particulièrement dans les régions où la plasticité est importante à l’adolescence. Ainsi, la consommation de cannabis doublerait le risque de schizophrénie, mais avec une grande hétérogénéité en fonction des individus. Cet effet dépendrait de la dose, de la teneur du produit en THC, de la durée d’utilisation et de l’âge d’exposition. Des travaux conduits à l’Inserm ont  montré que les consommateurs les plus sensibles aux effets psychotiques du cannabis présentent des variants génétiques particuliers.

Enfin, d’autres aspects liés à l’hygiène de vie joueraient aussi un rôle significatif : qualité du sommeil, nutrition, apports en facteurs neurotrophiques (favorisant la croissance et la survie des neurones) comme les folates.

3.2.2 - Recherche de marqueurs biologiques de la schizophrénie

Dans un rapport adopté le 20 novembre 2019, l’Académie Nationale de Médecine a procédé à un recensement des recherches les plus récentes concernant « les biomarqueurs en psychiatrie », pas supplémentaire dans la reconnaissance des pathologies psychiatriques comme des maladies à part entière. En ce qui concerne la schizophrénie, plusieurs types de marqueurs sont identifiables :

Biomarqueurs génétiques

La prévalence du trouble vie entière en population générale est de l% passant à l0% chez un apparenté de premier degré. Les études d'association pangénomique (GWAS) montrent qu'un millier de gènes divers sont porteurs de la vulnérabilité à cette pathologie. La microdélétion 22qll et les mutations affectant SHANK3 jouent un rôle dans la transmission synaptique. Surtout, il existe une grande variabilité du nombre de copies de gènes pouvant concerner cette pathologie: l5qll.2, 15q13.3, 22q12, CHRNAT, Neurexine 1. Les mutations des récepteurs glutamatergiques NMDA (GRIN2A, GRIN2B) et métabotropiques mGLUR5 (GRM5, PPEF2) sont communes à la schizophrénie et à l'autisme  Au plan épigénétique, la méthylation de certains gènes expliquerait l'évolution différente des personnes à risque particulièrement au moment d'une éventuelle transition psychotique actant le passage d'une vulnérabilité à une pathologie.. Ces modifications concernent aussi certaines voies biologiques (proline, méthionine, interleukine). Citons, enfin, le rôle potentialisateur d'un rétrovirus humain endogène (HERV) sur le gène PRODH.

Biomarqueurs de neuroimagerie (IRM)

Il est décrit un défaut de gyrification hémisphérique résultant des vagues d'amincissement du cortex lors du développement cérébral à l'adolescence : il porte sur le réseau hippocampo-frontal, les aires associatives pariétales, temporales et le cervelet.

Biomarqueurs moléculaires

Un dysfonctionnement dopaminergique (DA) est révélé par des anomalies des taux d'acide homovanillique (FIVA) dans le LCS. L'hyperdopaminergie sous-corticale mésolimbique rendrait compte des signes positifs et l'hypodopaminergie frontale sous-tendrait les signes négatifs. Des dysfonctionnements sérotoninergiques (5-HT) et glutamatergiques (GLU) sont également observés avec en particulier un déséquilibre entre les systèmes glutamatergique et gabaergique (GABA) . Les données épidémiologiques (risque de trouble schizophrénique accru chez les adolescents consommateurs de cannabis ) disent l'implication des endocannabinoides dont la libération est influencée par l'hypercortisolémie lors du stress.

Biomarqueurs de la neuroinflammation

Axe hypothalamo-hypophysaire, Stress oxydant, Métabolisme lipidique Des agents infectieux (grippe, rubéole, toxoplasmose, HSV2...) sont décrits comme facteurs de risque ultérieur de maladie du fait de leur présence en période périnatale. Ils activent, via la microglie, le système de l'inflammation et la production de cytokines impactant le neurodéveloppement. Les interleukines IL-1béta et lL-2, agissent sur le système dopaminergique et IL-6 sur les neurones 5-HT avec un effet apoptotique. Cela représenterait « la seconde frappe » de la genèse de Ia schizophrénie venant sur un terrain à vulnérabilité génétique (« première frappe »). Le stress, avec dérégulation de l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien et hypercortisolémie, est une autre forme de « seconde frappe ». Adossé à un terrain inflammatoire, le stress oxydant implique plusieurs éléments : la baisse du métabolisme des monocarbonés (folates), l'augmentation de l'homocystéine (agent pro-oxydant) et le dysfonctionnement du système redox (régulation du glutathion) ; il est en outre inducteur d'une déficience en acides gras polyinsaturés essentiels oméga-3. De plus, sont rapportées des altérations du microbiote. La minocycline qui s'oppose aux effets de la neuroinflammation et du stress oxydant, l'aspirine et les inhibiteurs de la cyclooxygènase-2 (COX-2) se sont révélés susceptibles d'une action thérapeutique. Des biomarqueurs précoces chez des sujets à haut risque à partir d'un prélèvement sanguin pourraient être proposés : un panel de 25 molécules impliquées dans la réponse inflammatoire et immunitaire aurait une valeur prédictive d'évolution psychotique avec une sensibilité de l'ordre de90%o (cohorte ICARR). »

3.2.3 - L’observation de dysfonctionnements dans les connexions du cerveau

Octobre 2017

Depuis plusieurs décennies, la schizophrénie représente un axe majeur de recherche, notamment en neuro-imagerie. Malgré cela, les phénomènes biologiques en cause ne sont encore que partiellement compris. Les résultats d’une récente étude publiée dans la revue Molecular Psychiatry apportent des réponses en révélant une perturbation de la communication cérébrale.

Environ 40 ans après la découverte d’anomalies dans le cerveau des patients schizophrènes, tous les scientifiques s’accordent à dire que la maladie est due à une perturbation de l’ensemble du système de communication du cerveau.

Une étude parue le 17 octobre 2017 dans la revue Molecular psychiatry se base sur la théorie selon laquelle la schizophrénie est due à un problème de câblage au niveau de 2 zones clés du cerveau impliquées dans la personnalité, la prise de décision et la perception auditive : le lobe préfrontal et le lobe temporal. Selon Sinead Kelly, co-auteur de l’étude, c’est la présence de « câbles effilochés » un peu partout qui provoquerait la maladie. Les chercheurs ont donc orienté leurs travaux sur l’analyse du tissu cérébral chargé de la communication entre les neurones constituant ces structures : la « matière blanche ». En effet, de nombreuses études précédentes ont déjà mis en évidence des perturbations de la matière blanche entre un cerveau sain et un cerveau atteint de schizophrénie. Ces découvertes impliquaient généralement le lobe préfrontal, le lobe temporal ainsi que les fibres nerveuses assurant la connexion entre ces deux régions. […]

L’étude est d’envergure mondiale et représente à ce jour la plus vaste sur le sujet. Sinead Kelly déclare « Notre étude aidera à mieux comprendre les mécanismes de la schizophrénie, une maladie mentale qui non traitée mène souvent au chômage, à l’itinérance, à la toxicomanie et même au suicide ». Les chercheurs espèrent que leurs travaux mènent à l’identification de biomarqueurs utiles dans l’évaluation de la réponse aux traitements des patients.

Tandis que les études menées jusque-là incluaient aux alentours de 100 schizophrènes, les scientifiques ont cette fois-ci analysé les données de 1 963 patients atteints de schizophrénie et de 2 359 individus sains provenant du monde entier. Pour cela, les données de 29 études internationales ont été regroupées grâce au réseau ENIGMA (Enhancing Neuro imaging Genetics through Meta analysis) de la Keck School of Medicine. Les chercheurs ont examiné les données d’une forme d’IRM appelée « imagerie en tenseur de diffusion » permettant de cartographier in vivo la microstructure et l’organisation des tissus. Ces analyses ont permis aux scientifiques de localiser les zones problématiques dans le système de communication du cerveau. Ces résultats confirment le concept d’une dysconnectivité structurelle globale dans la schizophrénie.

3.2.4 - L’observation d’une atrophie d’une structure du cerveau à l’adolescence

28 Juin 2019 

Pour mieux comprendre comment survient cette maladie psychiatrique, des chercheurs suisses ont suivi, pendant 18 ans, des patients ayant une prédisposition génétique. Leurs résultats montrent que ceux qui développent les symptômes de la maladie ont un hippocampe qui s’atrophie à l’adolescence.

La schizophrénie est, dans certains cas, liée à une anomalie sur le chromosome 22[1]

. Cependant, toutes les personnes présentant cette anomalie génétique ne développent pas forcément la maladie psychiatrique. Les études montrent que 30% des personnes ayant ce syndrome développent la schizophrénie.

Pour mieux comprendre ce qui se cache derrière ces 30%, les chercheurs de l’université de Genève ont suivi cliniquement, pendant 18 ans, 275 personnes dont :

  • 130 personnes normales (groupe contrôle) ;
  • 145 personnes présentant le syndrome de la délétion 22q11.

Tous les trois ans, des IRM ont été réalisées sur l’ensemble des participants, âgés de 6 à 35 ans, afin d’observer et de mesurer l’ensemble de leurs structures cérébrales, et notamment leur hippocampe.

L’hippocampe est une structure paire du cerveau jouant un rôle clef dans la mémoire, l’attention, les émotions et la navigation spatiale. C’est le siège de la production de nouveaux neurones tout au long de la vie et il joue un rôle primordial dans la mémoire des événements (mémoire explicite).

« Il est aujourd’hui connu que la schizophrénie est liée à l’hippocampe, une zone du cerveau complexe qui réalise énormément de processus simultanément, ayant trait à la mémoire, à l’imagination et aux émotions » précise Stephan Eliez, professeur au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine de l’UNIGE.

Les chercheurs ont mis en évidence que les patients ne développant pas la maladie ont un hippocampe plus petit que la norme, mais qui suit malgré tout une courbe de développement similaire aux personnes n’ayant pas le syndrome de délétion. Cependant, chez les patients ayant développé les symptômes de la maladie psychiatrique (53 parmi les 145 patients ayant la délétion 22q11), l’hippocampe voit son volume se rétrécir très nettement et notamment la sous-partie CA2/3. « Cette sous-partie joue un rôle crucial dans le travail de mémorisation et paraît plus forte que les autres sous-parties. » relève Stephan Eliez.

En suivant les patients âgés de 6 à 35 ans pendant 18 ans, les chercheurs révèlent que c’est vers l’âge de 17-18 ans que les personnes ayant des symptômes de la maladie (délires, hallucinations) subissent une atrophie de leur hippocampe.

Contre toute attente, c’est la zone CA2/3 qui diminue fortement alors qu’elle avait jusqu’ici réussi à se développer normalement. Chez les patients ayant l’anomalie chromosomique mais ne développant pas les symptômes de la schizophrénie, cette zone ne s’atrophie pas.

Dans l’état actuel des connaissances, les scientifiques ne peuvent formuler que des hypothèses pour expliquer cette rupture à l’adolescence.

Comme les personnes ayant le syndrome 22q11 ont un hippocampe plus petit, ils doivent compenser sa taille par une activité accrue de ses neurones fonctionnels.

A l’adolescence, et sous l’influence de certains facteurs propres à cette période (stress, consommation de cannabis, modification hormonale, neuro-inflammation, etc.), cette hyperactivité provoquerait une sécrétion excessive de glutamate (un neurotransmetteur) qui finirait par être toxique pour l’hippocampe.

Les enjeux de cette découverte sont importants et les chercheurs vont désormais travailler sur le développement de moyens thérapeutiques (approche pharmacologique, thérapie de gestion de stress, régime alimentaire spécifique) permettant de prévenir l’atrophie de l’hippocampe à l’adolescence.

Source du graphique : Profamille

[1] La délétion 22q11 (ou microdélétion 22q11) est une affection due à la perte d’un petit fragment du chromosome 22. Elle se manifeste par diverses anomalies qui ne sont pas toutes présentes chez une même personne. Les plus fréquentes sont des malformations du cœur, une fente du palais et des difficultés d’apprentissage. Dans certains cas les manifestations de la délétion 22q11 peuvent être tellement légères ou peu spécifiques, qu’elles passent inaperçues.

3.2.5 - L’observation des déformations de l’amygdale

 L’amygdale est une partie du cerveau qui doit son nom à sa forme rappelant celle d’une amande. Les deux amygdales sont situées tout près de l’hippocampe, dans la partie frontale du lobe temporal. L’amygdale joue un rôle dans notre capacité à ressentir et percevoir chez les autres certaines émotions. Le cortex préfrontal est le siège de différentes fonctions cognitives dites supérieures (le langage, la mémoire de travail, le raisonnement, et les fonctions exécutives). La région limbique a un rôle dans les fonctions exécutives primaires (digestion, respiration, apprentissage etc.) mais c’est aussi une zone cérébrale considérée comme le siège des émotions.

Site du Commissariat à l’Energie Atomique

Une équipe de recherche en psychiatrie au CEA-Neurospin, avec l’Institut Mondor de Recherches Biomédicales (INSERM) et les hôpitaux universitaires Henri-Mondor, AP-HP, a montré qu’un variant génétique associé à de multiples troubles psychiatriques altère un réseau préfronto-limbique, ce qui augmenterait le risque de développer la schizophrénie ou un trouble bipolaire. Les résultats de cette étude ont été publiés en ligne le 2 octobre 2017 dans Journal of Neuroscience.

​Les auteurs ont étudié une variation allélique du gène SNAP25, impliquée dans la neurotransmission et associée à la schizophrénie, au trouble bipolaire mais également à l’hyperactivité/trouble de l'attention

Les chercheurs ont combiné une étude d’association génétique chez 461 patients atteints de schizophrénie, une construction génétique in vitro et une approche dite d’« imagerie génétique1» dans deux cohortes, la première comprenant 71 sujets dont 25 patients bipolaires, la seconde comprenant 121 sujets sains. . […]

Les résultats révèlent que la variation du gène SNAP25 change l’expression de la protéine associée dans le cerveau, ce qui impacterait le traitement de l’information entre les régions cérébrales impliquées dans la régulation des émotions. En lien avec ce mécanisme, l’étude d’imagerie génétique, combinant IRM anatomique et fonctionnelle de repos, montre que dans les deux cohortes, le variant à risque est associé à un plus grand volume d’une zone cérébrale, l’amygdale, et une connectivité fonctionnelle préfronto-limbique altérée.

Cette étude confirme l’existence d’un facteur de risque commun à la schizophrénie et au trouble bipolaire : la variation du gène SNAP25. Ces maladies très fréquentes touchent chacune 1 % de la population adulte et sont handicapantes.


Réseau préfronto-amygdalien associé à la variation de SNAP25 visualisé en tractographie par IRM de diffusion. L’imagerie génétique consiste à comparer grâce à l’imagerie (ici l’IRM) deux populations de sujets qui ne diffèrent que par leur terrain génétique (ici la variation de SNAP25).

(Crédit: Josselin Houenou /BrainVisa/Connectomist 2.0)

En changeant l’expression de la protéine SNAP25, le traitement de l’information entre les régions cérébrales impliquées dans la régulation des émotions est bouleversé.

L’imagerie médicale montre notamment que les porteurs de la version à risque du gène SNAP25 ont une amygdale plus volumineuse, et une connectivité neuronale des régions préfrontale et limbique altérée.

Posséder la version à risque du gène SNAP25 est donc un facteur génétique augmentant la vulnérabilité aux troubles bipolaires et à la schizophrénie.

Caractériser les versions des gènes associées à une maladie neuropsychiatrique est un défi majeur pour mieux comprendre les mécanismes à l’origine de la mise en place des symptômes.

Selon les chercheurs, cette étude multi-niveaux (génétique, imagerie cérébrale, analyse de tissus cérébraux post-mortem) apporte des preuves solides en montrant qu’une version du gène SNAP25 altère le développement et la plasticité du réseau préfrontal-limbique.

En découvrant le lien entre génétique et apparition de la schizophrénie ou de troubles bipolaires, les scientifiques espèrent ouvrir la voie au développement de traitements personnalisés.

En effet, l’étude du génome d’un patient permettra de :

  • Caractériser finement ses prédispositions à une maladie neuropsychiatrique ;
  • Mettre en place des traitements préventifs pour empêcher l’apparition de la maladie ou retarder sa mise en place ;
  • Optimiser les chances de guérison en adaptant plus précisément les traitements pharmaceutiques et les psychothérapies.

3.3 - Les thérapies permettent des progrès pouvant conduire au «Rétablissement»

3.3.1 - Les traitements médicamenteux

Le traitement de la schizophrénie par neuroleptiques a un effet symptomatique immédiat, mais également partiellement curatif. Les neuroleptiques améliorent l’évolution de la schizophrénie. Le traitement prévient également les rechutes et doit donc être pris en continu. Le contrôle de la maladie passe par l’observance du traitement. La définition classique des neuroleptiques est celle donnée par Delay et Deniker ; elle associe les différents critères :

  • Création d’un état d’indifférence psychomotrice
  • Diminution de l’agressivité et de l’agitation
  • Réduction des psychoses
  • Production d’effets neurologiques et végétatifs
  • Action sous corticale dominante (Source : site Ma schizophrénie)

De nouveaux médicaments, les antipsychotiques atypiques, sont plus récemment apparus, souvent plus efficaces et avec des effets secondaires différents (prise de poids plus importante, diabète mais moins de syndromes extra-pyramidaux…)

Les médicaments donnent de nombreux effets secondaires mais sont en général indispensables au contrôle de la maladie. Les neuroleptiques classiques et les antipsychotiques atypiques existent sous forme orale en prise quotidienne ou pour plusieurs sous forme retard injectable (effet de 1 à 3 mois) qui facilite le respect des prescriptions médicales par le malade.

3.3.2 - Les thérapies complémentaires des traitements médicamenteux

Ces dernières années ont démontré l’efficacité de thérapies aux effets très positifs fondées sur la compréhension des origines des troubles psychiques :

L’électroconvulsivothérapie (ECT)

L’ECT est une stimulation électrique appliquée sur le cortex cérébral à travers le scalp sous anesthésie générale et curarisation. Ce traitement est efficace dans un certain nombre d’états schizophréniques aigusque les médicaments seuls n’arrivent pas à apaiser.

La stimulation magnétique transcrânienne (ou TMS)

Elle reste encore du domaine de la recherche. Il est cependant montré que guidée par l’imagerie cérébrale, cette modalité de stimulation peut traiter certains symptômes schizophréniques, par exemple les hallucinations.

Les soins de réhabilitation psychosociale

Source : Société Québécoise de la Schizophrénie (SQS)

Dans le traitement de la schizophrénie, la psychothérapie va de pair avec la rééducation et la pharmacothérapie. La schizophrénie frappe le plus souvent les jeunes gens, dans les années au cours desquelles ils développent normalement les compétences nécessaires pour vivre de façon autonome. Quand la maladie s'installe, elle perturbe cette évolution. Les interventions psychosociales visent à permettre aux malades d’acquérir ces compétences indispensables. Elles les aident à se fixer des objectifs dans les aspects les plus importants de leur vie et à travailler à leur réalisation. Quand la phase aiguë de la maladie est passée, de nombreux patients ont besoin d’aide pour reconstruire leur vie et utiliser au mieux leurs capacités, ce qui leur permettra de retourner aux études, de travailler, de développer des relations personnelles et des rapports sociaux. On ne parle pas ici d’une psychothérapie en profondeur qui pourrait bousculer les défenses déjà fragiles de la personne mais d’une psychothérapie centrée sur le réel et les difficultés concrètes auxquelles la personne doit faire face.

Il existe plusieurs formes de thérapies, dont les thérapies individuelles, de groupes ou familiales. Diverses approches sont offertes selon les besoins de la personne.

  • Thérapie motivationnelle : vise à renforcer la motivation et l'engagement vers le changement.
  • Thérapie cognitivo-comportementale (TCC) : met l’accent sur les problèmes actuels et vise à modifier les pensées et les comportements problématiques.
  • Psychoéducation : propose de l'information adaptée (sur la maladie, les traitements, le stress, l’alcool et les drogues, etc.) pour aider la personne à mieux comprendre ce qu’elle vit, ses réactions et ses émotions.
  • Réadaptation psychosociale : cible les forces et les habiletés de la personne afin qu’elle reprenne le contrôle de sa vie et se réinsère progressivement dans la communauté.
  • Réadaptation vocationnelle : vise à élaborer un projet d’études ou de travail à partir des aspirations et des intérêts de la personne en tenant compte de ses forces, de ses limites et des possibilités du milieu.

3.3.3 - L’objectif, qui devient réalité dans un nombre croissant de cas, est le rétablissement en santé mentale

Le mouvement défendant l’idée de rétablissement a été largement porté, d’abord aux États-Unis et plus récemment en France, par des personnes vivant avec un trouble psychique1.

Cette vision suscite  un intérêt croissant  des professionnels de la santé mentale.

Dans la société, l’idée que des personnes ayant un trouble psychique peuvent se rétablir est peu répandue. On pense trop souvent, par exemple, que ces personnes ne peuvent pas travailler, ou encore qu’elles doivent renoncer à fonder une famille. Ce sont des idées reçues.

Ces a priori empêchent de voir que ces personnes peuvent, au fil du temps, trouver en elles-mêmes et autour d’elles les ressources pour ne pas être débordées par les symptômes et pour mener leur vie comme elles le souhaitent.

1 Le rétablissement des troubles psychiques, PSYCOM.

I. Qu'est ce que le rétablissement ?

Le rétablissement correspond à un cheminement de la personne, dans la durée, pour reprendre le contrôle de sa vie et trouver sa place dans la société.

Il s’agit de retrouver une citoyenneté pleine et entière après avoir réussi à contrôler ou vivre avec les symptômes. Le rétablissement est bien plus que la maîtrise des symptômes, c’est aussi et d'abord retrouver une estime de soi, des rôles valorisants et un bien-être.

Le rétablissement n’est pas la guérison, ni même la stabilisation des symptômes. Ce n’est pas non plus l’absence de handicap qui peut rester bien présent. Ce n’est pas la capacité et encore moins l’obligation à vivre ou travailler « comme tout le monde ».

La notion de rétablissement s’articule autour de cinq principes clés (Samantha Copeland, 1997) : 

  • L’espoir: la personne qui connaît des difficultés de santé mentale se rétablit autant que possible, atteint un état de rétablissement stable et entreprend alors de réaliser ses rêves et ses objectifs.
  • La responsabilité personnelle : il incombe à chacun, avec l’aide des autres, d’agir et de faire ce qu’il faut pour continuer à aller bien.
  • L’éducation : il s’agit d’apprendre tout ce que l’on peut sur ce que l’on éprouve afin de pouvoir prendre les bonnes décisions concernant tous les aspects de la vie.
  • Le plaidoyer pour soi-même : il s’agit de savoir communiquer avec les autres de façon efficace afin d’obtenir ce dont on a besoin, ce qu’on veut et ce qu’on mérite.
  • Le soutien : en travaillant sur son propre rétablissement, savoir accepter le soutien d’autrui et savoir aider autrui aide à se sentir mieux.

II. Les facteurs favorisant le rétablissement 

Le Dr Alexis Erb les décrit ainsi :

  • Des structures sanitaires accompagnantes (hôpitaux de jours, CMP, CATTP, CESAME) et des praticiens formés(psychiatres, psychologues, neuro-psychologues, infirmiers, psycho-motriciens, médecins de famille etc.)
  • Des hébergements et logements accompagnés (foyers thérapeutiques, centres d’accueil, appartements thérapeutiques, baux glissants etc.)
  • Un accès au travail via des institutions visant la réadaptation par le travail (Établissements et Services d’aide par le travail [ESAT], entreprises adaptées, des aides à la recherche d’emploi, à la ré-orientation etc.)
  • Des aides juridiques et économiques (allocation aux adultes handicapés, mesures de protection etc.) 
  • Des accompagnants dans la vie sociale (assistants sociaux, SAVS [Services d’aide à la vie sociale] et SAMSAH [Service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés]).
  • Un tissu social accueillant (associations, GEM [Groupes d’entraide mutuelle])

La proportion de malades susceptibles de parvenir au rétablissement croit. Elle a été évaluée par plusieurs études :

  • 20 à 30%        (40 à 60% partiellement rétablis) (Hopper et al 2007)
  • 40 %              (AlAqeel et al Harv Rev Psychiatry 2012)
  • 13,5 %            (Jääskeläinen et al Schizophr Bull 2013)
  • 37.9%            (25.2% en utilisant les critères les plus strictes) (Lally et al, British Journal of Psychiatry, 2017)

Les personnes atteintes de troubles psychiques ayant atteint un degré satisfaisant de « rétablissement » sont souvent à même de vivre une vie professionnelle normale ou d’être autrement utile à la société.

4 - Gestion pénale des malades psychiques

Ce chapitre a été écrit avec le concours de l’association d’avocats pénalistes, de Prison Insider et d’Avocats pour la Défense des Droits des Détenus. Il a pour objet principal de signaler des arrêts de jurisprudence importants.

4.1 - Bref rappel du droit de l’irresponsabilité pénale

4.1.1 - Législation sur la responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux

4.1.1.1 - Les textes établissant l’irresponsabilité pénale

A. Principe

Art. 122-1 du Code pénal adopté par l’Assemblée nationale en 2009, modifiant la formulation ancienne de l’article 64 CP de 1808.

« N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes 

« La personne qui était atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine ou en fixe le régime » .

B. Exceptions

L'article 122-1-1 du Code pénal, créé par la loi du 24 janvier 2022 dispose "« Le premier alinéa de l'article 122-1 n'est pas applicable si l'abolition temporaire du discernement de la personne ou du contrôle de ses actes au moment de la commission d'un crime ou d'un délit résulte de ce que, dans un temps très voisin de l'action, la personne a volontairement consommé des substances psychoactives dans le dessein de commettre l'infraction ou une infraction de même nature ou d'en faciliter la commission»

En ce qui concerne la simple altération du discernement, l'article 122-1-2 précise que la diminution de peine prévue au second alinéa de l'article 122-1 n'a pas vocation à s'appliquer lorsque "lorsque cette altération résulte d'une consommation volontaire, de façon illicite ou manifestement excessive, de substances psychoactives." .

C. Précisions procédurales

La loi du 24 janvier 2022 insère au deuxième alinéa de l’article 706-120 la diposition suivant « Lorsque le juge d'instruction, au moment du règlement de son information, estime que l'abolition temporaire du discernement de la personne mise en examen résulte au moins partiellement de son fait et qu'il existe une ou plusieurs expertises concluant que le discernement de la personne était seulement altéré, il renvoie celle-ci devant la juridiction de jugement compétente qui statue à huis clos sur l'application du même article 122-1 ; si la personne n'est pas déclarée pénalement irresponsable, le dossier est renvoyé à une audience ultérieure pour être examiné au fond conformément aux dispositions relatives aux jugements des crimes ou des délits. »

Suite à la publication d'un décret d'application discuté, le garde des Sceaux a apporté des précisions utiles en rappelant que l'expression "résulte au moins partiellement de son fait" implique que le « le comportement à l’origine de l’abolition du discernement, faisant objet d’une divergence d’expertises, doit émaner d’une personne qui disposait d’une volonté suffisante et dont le discernement n’était pas déjà aboli. Si tel était le cas[…], notamment si l’abolition du discernement résulte de l’arrêt du traitement d’une personne déjà atteinte d’une grave pathologie mental ce comportement ne pourra pas justifier le renvoi de la personne devant la juridiction de jugement en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 706-120 du code de procédure pénale ». 

D. Réflexions sur le concept d'irresponsabilité pénale en droit français

Analyse :

  • Le « trouble mental » inclut les troubles de la volonté et de l’intelligence et est plus large que le terme de démence employé dans l’ancien article 64.
  • Disparition du discernement : perte de la capacité de comprendre et perte de la capacité de vouloir
  • Existence du trouble mental au moment des faits
  • En cas de trouble mental postérieur aux faits, si ce trouble mental survient alors qu’une procédure est en cours, l’action publique est suspendue.

Problème :

L’état des connaissances scientifiques ne permet pas de distinguer entre abolition et altération, ni de savoir dans quel état se trouvait la personne « au moment des faits »

Référence :  thèse du Dr Christophe PERRAULT pour le diplôme de docteur en médecine, spécialité psychiatrie intitulée : « Abolition et altération du discernement au sens de l’Article L122-1 du Code pénal) quelles définitions, quels diagnostiques psychiatriques »

Résumé : « L'expertise psychiatrique pénale de responsabilité constitue une interface majeure entre soins et justice et l'article 122-1 du Code Pénal en est le pivot central. La loi prévoit que l'expert rende sa décision en discutant la qualité du discernement de l'auteur présumé d'infraction pénale. Ce terme ne bénéficie cependant d'aucune définition consensuelle qu'elle soit juridique ou médicale. S'ajoute à ce constat une possible sur-pénalisation des sujets relevant de l'alinéa 2 de cet article de loi. Après avoir interrogé le concept de discernement et proposé une définition s'appuyant sur la psychopathologie classique et les apports plus récents des neurosciences, l'objectif de ce travail est de déterminer quels diagnostics psychiatriques sont associés à l'abolition et à l'altération du discernement. Six cent un rapports d'expertises psychiatriques pénales ont été rétrospectivement inclus. Une analyse univariée suivie d'une régression logistique multivariée ont été conduites. L'abolition du discernement était associée au diagnostic de trouble psychotique, l'altération aux diagnostics de trouble psychotique, de trouble de personnalité et de retard mental. » http://thesesante.ups-tlse.fr/280/

4.1.1.2 - Conséquences de l’irresponsabilité pénale en raison d’un trouble mental

La loi du 25.02.2008 a créé les articles 706-119 et suivants du code pénal qui ont instauré une procédure de jugement pendant laquelle la juridiction déclarera :

  • Qu’il existe des charges suffisantes contre la personne d’avoir commis les faits reprochés ;
  • Mais que le mis en cause est irresponsable car son discernement est aboli
  • Qu’il sera soumis à une ou plusieurs mesures de sûreté (hospitalisation complète sous contrainte et interdictions)
  • Que sa responsabilité civile est maintenue

L'hospitalisation complète (article 706-135 du code de procédure pénale)

"Sans préjudice de l'application des articles L. 3213-1 et L. 3213-7 du code de la santé publique, lorsque la chambre de l'instruction ou une juridiction de jugement prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner, par décision motivée, l'admission en soins psychiatriques de la personne, sous la forme d'une hospitalisation complète dans un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 du même code s'il est établi par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la procédure que les troubles mentaux de l'intéressé nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police est immédiatement avisé de cette décision. Le régime de cette hospitalisation est celui prévu pour les admissions en soins psychiatriques prononcées en application de l'article L. 3213-1 du même code."

Les mesures de sûreté (article 706-136 du code de procédure pénale)

"Lorsque la chambre de l'instruction ou une juridiction de jugement prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner à l'encontre de la personne les mesures de sûreté suivantes, pendant une durée qu'elle fixe et qui ne peut excéder dix ans en matière correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement : 

1° Interdiction d'entrer en relation avec la victime de l'infraction ou certaines personnes ou catégories de personnes, et notamment les mineurs, spécialement désignées ; 
2° Interdiction de paraître dans tout lieu spécialement désigné ; 
3° Interdiction de détenir ou de porter une arme ; 
4° Interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole spécialement désignée, dans l'exercice de laquelle ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs, sans faire préalablement l'objet d'un examen psychiatrique déclarant la personne apte à exercer cette activité ; 
5° Suspension du permis de conduire ; 
6° Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis. 

Ces interdictions, qui ne peuvent être prononcées qu'après une expertise psychiatrique, ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est susceptible de faire l'objet. 

Si la personne est hospitalisée en application des articles L. 3213-1 et L. 3213-7 du code de la santé publique, les interdictions dont elle fait l'objet sont applicables pendant la durée de l'hospitalisation et se poursuivent après la levée de cette hospitalisation, pendant la durée fixée par la décision."

4.1.2 - Jurisprudence sur la responsabilité pénale des personnes atteintes de troubles mentaux

4.1.2.1 - Reconnaissance de l’irresponsabilité en cas de prise de produits stupéfiants ou d’alcool sous certaines conditions

La jurisprudence classique de la Cour de cassation en matière de produits stupéfiants ou d’alcool retient que la personne ne peut s’exonérer de responsabilité en alléguant une telle consommation. En revanche, cette faute peut, dans des cas de maladies mentales sévères, ne pas pouvoir être opposée aux personnes.

Cour de cassation, Chambre criminelle,  14 mai 1997,  N° 95-84279 https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007570046

« soumis à un traitement anti-comitial lourd, B. était au moment des faits, sous l'empire d'un état alcoolique de 2,34 gr pour mille et se trouvait, dès lors, dans un état second où la volonté n'est plus intervenue que sous forme de réflexe totalement inadapté à la situation du moment; que, par ailleurs, aucun des actes commis par le demandeur dans la nuit du 5 au 6 janvier 1989 n'était cohérent, l'intéressé ne s'étant nullement rendu compte de sa méprise et se trouvant dans un état de totale désorientation (arrêt, page 15); qu'ainsi, en déclarant le demandeur coupable de blessures involontaires, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, d'où il résultait nécessairement qu'au moment des faits, B... était atteint d'un trouble psychique ayant aboli son discernement ; »

Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 mai 2010, N° 10-80279 (https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000022340326&fastReqId=867843682&fastPos=1) :

La chambre de l’instruction rend une ordonnance de non-lieu fondée sur l’irresponsabilité pénale de la personne. La partie civile forme un pourvoi en cassation.

Plusieurs expertises psychiatriques conduisent à l’abolition du discernement de l’intéressé pour cause de schizophrénie.

Les experts révèlent une telle atteinte de la personne mise en examen par la schizophrénie que le motif antisémite qui aurait pu présider à la commission des faits (celui-ci étant dans son entourage proche alimenté par une thématique antisémite, puisque sa mère avant d’être elle-même internée tenait des propos antisémites) n’est pas retenu par les experts psychiatres qui considèrent que le passage à l’acte s’est fait dans un contexte délirant dont l’auteur n’a même pas conscience.

Le collège d’experts (trois experts près la Cour de cassation) met en exergue une pathologie qui colonise la totalité du champ psychique. Le sujet est soumis à une force psychotique à laquelle il ne peut résister.

La chambre de l’instruction affirme que la méconnaissance par les experts du casier judiciaire de l’intéressé ne saurait remettre en causes leurs conclusions dès lors qu’ils ont eu connaissance de son dossier médical.

Elle affirme également que ce collège d’experts n’avait pas à répondre aux avis formulés par les experts choisis par les parties civiles puisque ceux-ci n’avaient pas examiné le mis en examen ni pris connaissance de son dossier médical.

Elle affirme enfin, au sujet d’une responsabilité pénale dont l’intéressé ne pourrait au regard de la jurisprudence classique de la Cour de cassation en matière de cannabis s’exonérer en alléguant une telle consommation, que celle-ci est en l’espèce sans incidence sur un éventuel rétablissement de responsabilité puisque la maladie mentale sévère le prive de toute lucidité sur son état. Il n’a pas la capacité d’agir volontairement quand il omet de prendre ses médicaments ou quand il fait usage de stupéfiants ou d’alcool. Ce qui signifie que la faute qui peut être opposée à une personne poursuivie concernant la prise de produits stupéfiants ou d’alcool et qui entrainerait une responsabilité pénale peut dans des cas de maladies mentales sévères ne pas pouvoir être opposée aux personnes.

La partie civile reproche à la chambre de l’instruction de ne pas avoir suffisamment répondu à certains raisonnements qu’elle présentait :

  • Une juridiction de jugement n’avait pas reconnu l’irresponsabilité pénale de l’intéressé pour des faits de trafic de stupéfiants commis quelques jours avant l’assassinat ;
  • Les juges ne pouvaient s’en remettre purement et simplement aux conclusions des experts pour déterminer l’existence ou non de l’élément intentionnel.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que la chambre de l’instruction avait suffisamment motivé sa décision au regard des différents argumentaires qui lui étaient présentés.

La force probante des expertises psychiatriques faisant l’unanimité doit être constatée.

Cour de cassation, ch. criminelle, Arrêt n°404 du 14 avril 2021 (20-80.135) (Affaire Sarah Halimi) : https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/404_14_46872.html

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt précisant les conditions de reconnaissance de la responsabilité pénale prévue à l’article 122-1 du Code pénal. Elle devait juger de la responsabilité pénale d’un homme, accusé des faits de séquestration d’une famille et du meurtre d’une femme. La situation est aggravée par le caractère antisémite de l’acte. L’intéressé souffrait de bouffées délirantes aigües au moment des faits en raison d’une consommation régulière de cannabis. Deux des trois expertises psychiatriques réalisées concluent à l’abolition de son discernement. 

La Cour de cassation se range à l’avis majoritaire des psychiatres. Elle déclare que "La notion d’abolition du discernement posée par l’article 122-1 du code pénal  a été récemment précisée par la cour de cassation  dans un arrêt du 14/04/2021 CCrim, CCass confirmant une décision de la Chambre de l’instruction déclarant irresponsable une personne qui avait commis un crime sous l’emprise du cannabis. La Cour a ainsi précisé que "Les dispositions de l’article 122-1 du code pénal ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition du discernement." (§29)

La Cour "justifie la décision de la chambre de l’instruction qui, pour retenir l’existence d’un trouble mental ayant aboli le discernement de la personne mise en examen, retient que celle-ci a agi sous l’emprise d’un trouble psychique constitutif d’une bouffée délirante d’origine toxique causé par la consommation régulière de cannabis, qui n’a pas été effectué avec la conscience que cet usage de stupéfiant puisse entrainer une telle manifestation."

"Le discernement de la personne mise en examen était aboli au moment des faits. Le récit de monsieur Z, corroboré par celui des membres de la famille, montre que ses troubles psychiques avaient commencé le 2 avril 2017, et ont culminé dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, dans ce que les experts psychiatres ont décrit de manière unanime comme une bouffée délirante."(§24)

Le fait que cette bouffée délirante soit due à la consommation régulière de cannabis « ne fait pas obstacle à ce que soit reconnu l’existence d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, puisqu’aucun élément du dossier n’indique que la consommation de cannabis par l’intéressé ait été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiant puisse entrainer une telle manifestation. » (§26) 
" Il n’existe pas de doute sur l’existence chez monsieur Z au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes." (§27)

Des voix politiques se sont élevées contre ce jugement et sont à l’origine de propositions de lois et de l’annonce d’un projet de loi visant à exclure de la reconnaissance de l’irresponsabilité pénale les commettants ayant absorbé intentionnellement des substances nocives.

Quelques liens pour comprendre l'affaire :

4.1.2.2 - Reconnaissance de l’abolition du discernement

La Cour de cassation a énoncé que, conformément à l'article 706-133 du code de procédure pénale, lorsque la juridiction estime applicables les dispositions de l'article 122-1, 1er alinéa, du code pénal, elle rend une décision déclarant que la personne a commis les faits qui lui sont reprochés et qu'elle est irresponsable pénalement en raison d'un trouble psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits. En revanche, la juridiction ne peut pas, avant de déclarer le prévenu irresponsable pénalement, énoncer que celui-ci est coupable des faits qui lui sont reprochés.

Le prévenu avait assassiné le médecin psychiatre qui le soignait, l’abolition du discernement a  été retenue et il a été déclaré irresponsable pénalement.

La chambre de l’instruction de la CA de Montpellier a fait application de l’article 122-1 du code pénal. Les parties civiles forment un pourvoi en cassation.

La chambre de l’instruction a retenu l’abolition du discernement pour les motifs suivants :

  • Les cinq experts (dont certains agrées près la Cour de cassation) qui ont examiné l’intéressé ont à l’unanimité conclu à l’abolition du discernement, ce dernier souffrant d’une schizophrénie paranoïde ;
  • Résistance de la pathologie aux soins après plusieurs mois de traitements ;
  • L’intéressé était atteint depuis 5 ans de troubles mentaux justifiant des soins intensifs et son maintien dans un service psychiatrique spécialisé ;
  • Il n’existe aucune divergence de diagnostic entre les différents experts intervenus et les psychiatres des urgences psychiatriques ayant eu à connaître son cas avant les faits ;
  • L’intéressé avait été hospitalisé à l’UMD, ce qui démontre les réalités de troubles mentaux.

Les parties civiles font grief à l’arrêt attaqué pour les motifs suivants :

  • Outre l’accord unanime des experts sur l’abolition, le juge relève que l’intéressé était atteint avant les faits d’une pathologie en voie de rémission si bien que les médecins l’ont considéré comme non dangereux ;
  • L’intéressé a été capable de raisonner au moment des faits, des témoins l’ayant considéré comme lucide ;
  • La préméditation (M. s’était muni d’un couteau de cuisine) est incompatible avec l’abolition du discernement.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que les juges du fond avaient suffisamment motivé leur décision. Ils s’étaient fondés sur l’unanimité des rapports d’expertises lesquels expliquaient que, bien que l’auteur ait été en mesure de raisonner, son raisonnement était biaisé parce qu’alimenté par des hallucinations et des délires modifiant sa perception de la réalité. Il se trouvait donc en dehors de la réalité au moment des faits.

Selon la Cour, la préméditation n’exclut donc pas l’abolition du discernement dans les cas de schizophrénie. La Cour ne retient pas la même solution lorsque la personne est atteinte d’autres troubles psychiques. Elle considère alors qu’il existe un doute quant à l’abolition et renvoie la personne devant la Cour d’assises.

  • Cour d'appel de Pau , 14 décembre 2007, 78/82007 :

Affaire Romain Dupuy à Pau :  Le prévenu était accusé du double meurtre d’une infirmière et d’une aide- soignante de l’ hôpital psychiatrique. L’une d’elle avait été décapitée et sa tête posée sur le poste de télévision. Plus tard il avait tiré sur des policiers qui lui demandaient ses papiers. L’abolition du discernement a été retenue.

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000019581726
  • Cour d’appel de Paris, 13 oct. 2004 : JurisData n° 2004-271888 :

Elle ordonne la relaxe d'une personne poursuivie pour violence perpétrées sur un policier qui empêchait l'intéressé d'atteindre un aéroport alors que l'expertise faisait état de troubles de nature hallucinatoire ordonnant au malade de prendre l'avion.

La chambre de l’instruction rend une ordonnance de non-lieu fondée sur l’irresponsabilité pénale de la personne mise en examen.

Trois expertises psychiatriques concluent à l’abolition du discernement au moment des faits pour cause de schizophrénie.

La partie civile forme un pourvoi en cassation aux motifs que la chambre de l’instruction n’a pas suffisamment répondu aux observations formulées par ses soins concernant l’absence d’abolition du discernement (ils se fondaient sur les circonstances du passage à l’acte lesquelles selon eux faisaient apparaître une organisation minutieuse et calculée qui excluait l’abolition du discernement).

La Cour de cassation rejette leur pourvoi en considérant que la chambre de l’instruction a suffisamment motivé sa décision en se fondant sur les expertises psychiatriques versées aux débats.

(NB : En cas de schizophrénie unanimement déclarée par plusieurs expertises, la Cour de cassation a tendance à exclure la responsabilité alors même que des éléments objectifs démontrent que des actes de préméditations ont été accomplis de manière lucide.)

La chambre d’accusation rend une ordonnance de non-lieu. Trois expertises concluent à l’abolition du discernement du mis en examen au moment des faits et à son irresponsabilité pénale.

Les parties civiles forment un pourvoi en cassation aux motifs que les rapports d’expertises sont soumis à la libre appréciation du juge et à la libre discussion des parties et que les observations formulées par leurs soins ont été évincées par la chambre d’accusation qui n’y a pas suffisamment répondu.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que la question de la personnalité du mis en examen est une question d’ordre technique qui ne saurait résulter d’une démarche dépourvue de toute compétence scientifique et de la rigueur corrélative qu’elle implique.

Quatre expertises psychiatriques concluent à l’existence d’une psychose dissociative de type schizophrénique ayant aboli le discernement de la personne qui a agi à son insu.

La chambre d’accusation a rendu une ordonnance de non-lieu et a refusé la comparution personnelle de la personne mise en examen au regard de l’impossibilité médicalement constatée pour lui de comparaitre.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la partie civile.

4.1.2.3 - Cassation d’un arrêt reconnaissant l’irresponsabilité pour vice de forme

Cour de Cassation, chambre criminelle, 03/03/2010

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000022136274

Le prévenu avait fait une tentative d’homicide volontaire sur des militaires de la gendarmerie. L’irresponsabilité pénale n’est pas retenue car le prévenu n’avait pas au préalable été mis en examen, il n’était que témoin assisté. Il résulte des articles 706-120 et 706-125 du code de procédure pénale que les juridictions d'instruction ne peuvent prononcer une décision d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental qu'à l'égard d'une personne mise en examen. Encourt dès lors la censure l'arrêt de la chambre de l'instruction qui déclare pénalement irresponsable un témoin assisté

4.1.2.4 - Rejet d’une demande de reconnaissance d’irresponsabilité

Cour de cassation, chambre criminelle, 4 mars 2015 -n° 13-86954

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000030331331 Le traumatisme crânien, dû à une conduite en état d’ivresse, ne pouvant, postérieur aux faits, justifier le refus de se soumettre à un test d’alcoolémie, la demande de reconnaissance d’irresponsabilité pénale est rejetée.  « M. X..., dont l'alcoolémie n'a pas été mesurée, a été victime d'une amnésie totale due à un traumatisme crânien, qui expliquait son comportement et le fait qu'il n'ait gardé aucun souvenir des faits postérieurs à l'accident ;[…] la cour d'appel a souverainement estimé que M. X...n'était pas atteint, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, au sens de l'article 122-1 du code pénal ; »

4.2 - L’expertise psychiatrique

Cette section, dont le plan est calé sur celui du code de procédure pénale et sur la chronologie de celle-ci, se propose de rappeler sommairement les principales règles avec un focus sur les circonstances particulières liées à la connaissance ou la supposition de troubles psychiques chez la personne mise en cause. Le sujet de l’expertise sera au cœur des développements.

4.2.1 - Fiabilité de l’expertise de responsabilité pénale ?

En matière pénale, l’expertise de la personne atteinte d’une maladie psychiatrique est un élément déterminant de sa défense.

Les règles qui régissent cette expertise varient en fonction des modes de poursuites et du stade de la procédure autour de principes communs :

Objectifs :

  • Déterminer si, au moment des faits le mis en cause présentait ou non une pathologie mentale et si en conséquence le tribunal ou la cour d’assises peut prononcer une peine.
  • C’est au travers de l’intentionnalité du crime et du délit qu’est étudiée en droit pénal français l’irresponsabilité pénale

 Principes :

  • Tout crime est intentionnel
    • Tout délit est en principe intentionnel sauf imprudence, négligence ou mise en danger
    • Il n’y a pas de contravention s’il y a force majeure.
    • Les exclusions de la faute => décrites en droit pénal français avec les causes objectives d’irresponsabilité et les causes subjectives d’irresponsabilité (cause présumée : la minorité et cause non présumée).
    • Les causes objectives d’irresponsabilité : justification fondée sur une injonction ou justification fondée sur une permission (ex. le militaire, le policier)
    • Les causes subjectives d’irresponsabilité : le trouble mental, l’erreur et la contrainte
    • Le trouble mental : cause non présumée de non imputabilité
    • l’auteur d’une infraction pénale peut être présumé irresponsable :
      • Pour le mineur de moins de 13 ans : irréfragablement irresponsable du fait de sa présumée non-imputabilité
      • Pour le mineur de plus de 13 ans : bénéfice d’une présomption d’irresponsabilité

Les méthodes des experts

L’expertise psychiatrique telle qu’elle fonctionne en France comporte des lacunes notables :

  • Durée trop courte :

L’examen de la personne incriminée est souvent réduit, de l’ordre de 30 minutes.

  • Intervention trop loin des faits :

Cet examen, alors que l’évaluation de la responsabilité pénale porte sur l’état de la personne au moment des faits, se déroule dans le temps à distance des faits, de l’ordre de 3 à 6 mois plus tard. Placé dans une cellule surpeuplée, bruyante et confrontée au caïdat, cette personne a souvent construit une relation aux autres arcboutée sur un déni de la maladie, produisant un effort considérable pour paraître « normale ». D’autres personnes, envahies par les symptômes de leur maladie, ont développé un sentiment de persécution et de perturbation dans la perception des attitudes des tiers, et sont sujettes à de violentes angoisses qui se traduisent par des attitudes d’apeurement et de prostration mutique. Tel est aussi le comportement des rares mis en examen qui rencontrent l’expert peu après leur incarcération, sidérés par la brutalité de l’univers dans lequel ils viennent de basculer. Ces différentes attitudes peuvent s’observer, pour une même personne, au cours de sa détention, avec les évolutions de son environnement et de sa maladie. Celle-ci, non soignée en général (en moyenne l’attente est de 6 mois pour obtenir un premier entretien avec un psychologue), s’aggrave avec le temps, pouvant conduire à de nouveaux épisodes de décompensation. 

  • Manque d’informations sur la personnalité

L’expert ne demande généralement pas la communication de son dossier médical lorsque celle-ci était déjà soignée pour des troubles psychiques avant les faits, ni ne cherche à collecter des informations historiques, familiales (en contactant la famille) et sociales qui permettraient à l’expert d’enrichir son analyse. S’il a connaissance d’un suivi psychiatrique préexistant aux faits, il cherchera éventuellement à se faire communiquer le dossier médical, mais celui-ci lui sera souvent refusé, en raison du secret médical. A noter que si l’expertise a été ordonnée par un juge d’instruction, l’expert doit obtenir de ses confrères l’information médicale dont il a besoin, ces derniers étant dans ce cadre dispensés de leur obligation de confidentialité.

L’expert ne sollicite ni les témoins des faits, alors que ceux-ci sont particulièrement importants dans la possibilité pour l’expert de répondre à la question : « Au moment des faits le mis en examen connaissait-il une abolition ou une altération partielle de son discernement ? ». Ce sont eux qui peuvent décrire le comportement de la personne, ses délires ou hallucinations éventuels, ses dires et propos incohérents ou sans rapport avec la situation, l’impossibilité d’entrer en relation avec elle et de la raisonner etc..

  • Cadre matériel prégnant

L’entretien se déroule dans la cellule ou dans le parloir « avocats » lorsque la personne est détenue au moment de l’expertise, sous surveillance, ce qui ne favorise pas un « colloque singulier » entre le psychiatre et le patient examiné. Souvent, ce dernier ne comprend pas bien les enjeux de cette rencontre, s’affirmant indemne de toute maladie, ou adoptant une attitude hostile, absente ou sidérée, qui n’offre pas au psychiatre expert les conditions d’un véritable examen clinique. Il est donc important que l’expert mentionne l’échange qu’il a pu effectivement avoir avec le patient.

Intervenant généralement plusieurs mois (4 à 6 mois) après la commission des faits, l’expert psychiatre rencontre soit en prison, soit à son bureau, une personne qui n’est plus dans la phase de décompensation (ou crise) ayant présidé à l’acte délictueux. Selon le moment de cette rencontre, il la découvrira donc dans une phase de la maladie et un état psychologique qui peuvent être très différents ce qu’ils étaient au moment des faits, ne lui permettant pas d’apporter une réponse fiable à la question : « Au moment des faits le mis en examen connaissait-il une abolition ou une altération partielle de son discernement ? »

Il en va de même lorsque des soins psychiatriques ont été mis en place peu après les faits incriminés, ou l’incarcération, et que des praticiens ont travaillé avec le patient pour lui permettre de sortir de son état psychiatrique aigu. S’il adhère aux soins, le mis en examen apparaîtra alors comme disposant de ses facultés, permettant à l’expert de porter un jugement négatif quant à la gravité de sa maladie psychiatrique, ou même quant à son existence : en effet, il ne dispose pas en général du dossier médical (voir plus loin). De plus, le déni de la maladie, qui est un symptôme majeur de la psychose, conduira la personne examinée à se déclarer en bonne santé, ne mentionnant pas l’existence d’un suivi psychiatrique. L’inexistence de la maladie psychiatrique sera également souvent constatée s’il s’agit d’une première décompensation ou crise, dès lors que l’épisode aigu est passé. La personne peut en effet adopter pour un moment un comportement tout à fait « normal ».

Il est essentiel, pour l’avocat de la personne atteinte d’une maladie psychiatrique, de veiller particulièrement à cet acte de procédure. 

  • Manque de bases scientifiques de l’expertise

Il est frappant de constater la fréquence des expertises psychiatriques contradictoires. En analysant la littérature disponible sur ce sujet, on constate qu’il n’existe pas de bases scientifiques qui permettraient de définir une « abolition du discernement » et de la distinguer d’une « altération ». Une étude menée sur 600 expertises[1] montre que le principal point commun entre d’une part celles qui concluent à l’abolition et d’autre part celles qui concluent à l’altération du discernement réside dans la personne même de l’expert qui les réalise.

Dans le même sens, sont aussi très éclairantes et préoccupantes les études[2] qui démontrent que la tendance de nombreux juges est d’appeler comme experts, régulièrement, les mêmes personnalités dont ils connaissent les prismes d’analyse et de jugement. Il sera donc important pour la défense du prévenu ou de l’accusé de demander et d’obtenir une (ou plusieurs) contre-expertises, en choisissant soigneusement le second expert. En matière criminelle, celle-ci ne peut être refusée par le magistrat instructeur.

Lorsque la prévenue était hébergée chez ses parents pour de se reposer suite à son accouchement, elle a porté de multiples coups de couteau et de cutter à son neveu, âgé de 10 ans, décédé à la suite de ses blessures, à sa nièce, âgée de 4 ans, et à son fils, âgé de six semaines. Mise en examen, elle est placée en détention provisoire puis fait l'objet d'une hospitalisation sous contrainte.

Il résulte des pièces du dossier que la prévenue a fait l'objet de trois expertises destinées à apprécier sa responsabilité pénale.

Les deux premiers experts ont conclu pour l’un à une altération du discernement de la prévenue, pour l’autre à l’irresponsabilité pénale de l’intéressée et ont tous deux été entendus par la chambre de l’instruction.

Une troisième expertise, qui a conclu à l'abolition du discernement, a été menée par deux experts qui n’ont pas été entendus à l’audience. En statuant sur l'issue de la procédure sans entendre aucun des experts qui ont établi cette dernière expertise, la chambre de l'instruction méconnaît les textes susvisés.

Avis autorisés sur la crédibilité des expertises

Les expertises font régulièrement l’objet de critiques. 

L’IGAS, dans un rapport de 2019 déclare « On ne peut que constater... la faible cohésion de la profession [des psychologues] au sein de laquelle certaines spécialités revendiquent une forte autonomie (les psychanalystes notamment)...
La déontologie n’est que peu enseignée durant le cursus universitaire. Le code de déontologie, non légalisé, demeure donc un code éthique indicatif.
»

Dans la tribune « Pourquoi les psychanalystes doivent être exclus des tribunaux », la réalisatrice Sophie Robert explique « Dans les tribunaux, les psychanalystes peuvent aujourd’hui utiliser leur diplôme de psychologie ou de médecine (quand ils les ont) pour émettre des expertises qui n’ont aucun fondement médical ni scientifique, en violation complète avec le code de la santé publique. Les conséquences sociales peuvent être dramatiques : diagnostics fantaisistes et non reconnus par les nosographies internationales en vigueur, non prise en compte des besoins des personnes handicapées ou des malades psychiatriques, exclusion scolaire et sociale... »


[1] Christian Perrault -ABOLITION ET ALTERATION DU DISCERNEMENT (AU SENS DE L’ARTICLE 122-1 DU CODEPENAL): QUELLES DEFINITIONS, QUELS DIAGNOSTICS PSYCHIATRIQUES ? A propos de 601 rapports d’expertises psychiatriques pénales – Thèse de doctorat soutenue le 25 octobre 2013 -UNIVERSITE TOULOUSE III – PAUL SABATIER FACULTE DE MEDECINE

[2] Caroline Protais - Sous l'emprise de la folie ? : L'expertise judiciaire face à la maladie mentale (1950-2009) – Paris, EHESS, coll. « Cas de figure » 2016 [issue de la Thèse de doctorat Sous l'emprise de la folie : la restriction du champ de l'irresponsabilité psychiatrique en France (1950-2007) -2011] 

4.2.2 - L’expertise psychiatrique obligatoire

4.2.2.1 - Pour certains crimes et délits

En application de l’article 706-47-1 du Code de Procédure Pénale (CPP), les personnes poursuivies du chef de l’une des infractions énumérées à l’article 706-47 du même code doivent obligatoirement être soumises à une expertise psychiatrique avant tout jugement au fond. 

Encourt la cassation l'arrêt qui déclare coupable le prévenu des faits d’agression sexuelle sans qu’il n’ait été soumis à une expertise psychiatrique, y compris en cas de requalification des faits par la juridiction de jugement (Cass. crim., 23 sept. 2015, n°14-84842, Bull. crim., n°207, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000031225896&fastReqId=1227304355&fastPos=1). 

Il en est donc ainsi pour les infractions suivantes : 

  • Crimes de meurtre ou d'assassinat prévus (articles 221-1 à 221-4 du Code Pénal) lorsqu'ils sont commis sur un mineur ou lorsqu'ils sont commis en état de récidive légale ;
  • Crimes de tortures ou d'actes de barbarie prévus (articles 222-1 à 222-6 du Code Pénal) et crimes de violences sur un mineur de quinze ans ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (article 222-10 du Code Pénal) ;
  • Crimes de viol prévus aux articles 222-23 à 222-26 du Code Pénal;
  • Délits d'agressions sexuelles prévus aux articles 222-27 à 222-31-1 du Code Pénal ;
  • Délits et crimes de traite des êtres humains à l'égard d'un mineur prévus aux articles 225-4-1 à 225-4-4 du Code Pénal ;
  • Délit et crime de proxénétisme à l'égard d'un mineur prévus au 1° de l'article 225-7 et à l'article 225-7-1 du Code Pénal ;
  • Délits de recours à la prostitution d'un mineur prévus aux articles 225-12-1 et 225-12-2 du Code Pénal ;
  • Délit de corruption de mineur prévu à l'article 227-22 du Code Pénal ;
  • Délit de proposition sexuelle faite par un majeur à un mineur de quinze ans ou à une personne se présentant comme telle en utilisant un moyen de communication électronique, prévu à l'article 227-22-1 du Code Pénal ;
  • Délits de captation, d'enregistrement, de transmission, d'offre, de mise à disposition, de diffusion, d'importation ou d'exportation, d'acquisition ou de détention d'image ou de représentation pornographique d'un mineur ainsi que le délit de consultation habituelle ou en contrepartie d'un paiement d'un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation, prévus à l'article 227-23 du Code Pénal ;
  • Délits de fabrication, de transport, de diffusion ou de commerce de message violent ou pornographique susceptible d'être vu ou perçu par un mineur, prévus à l'article 227-24 du Code Pénal ;
  • Délit d'incitation d'un mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle ou à commettre cette mutilation, prévu à l'article 227-24-1 du Code Pénal ;
  • Délits d'atteintes sexuelles prévus aux articles 227-25 à 227-27 du Code Pénal.

L’expertise peut être ordonnée : 

  • Dès le stade de l’enquête par le procureur de la République,
  • Par le magistrat instructeur dans le cadre d’une ouverture d’information,
  • Par la Juridiction de jugement avant de dire droit, 
  • Par le JAP avant la tenue d’un débat contradictoire ou d’une audience devant le TAP dans le cadre d’une procédure de requête en aménagement de peine. 

Les règles relatives à la commission d’un expert, à l’étendue de sa mission et à une demande de contre-expertise diffèrent selon le magistrat ayant ordonné l’expertise. Elles sont précisées dans les développements suivants.

4.2.2.2 - Lorsque la personne poursuivie est un majeur protégé

Le majeur protégé est une personne qui fait l'objet d'une mesure de protection juridique dans les conditions prévues au titre XI du livre Ier du code civil. En application de l’article 706-115 du CPP, les majeurs protégés poursuivis doivent obligatoirement être soumis avant tout jugement au fond à une expertise psychiatrique. Cette expertise a pour objet d’évaluer la responsabilité pénale de l’intéressé au moment des faits.  

Habituellement, en début de la première audition de la mesure de garde-à-vue ou à l’occasion de l’audition libre, il est demandé à la personne poursuivie si elle fait l’objet d’une mesure de protection judiciaire et la réponse est consignée sur PV. Dans l’affirmative, les articles 706-112 à 706-118 s’appliquent à tous les stades de la procédure (poursuite, instruction et jugement). Encourt la cassation, l’arrêt qui méconnait ces textes (Cass. crim. 14 oct. 2014, n°13-82584, Non publié au Bulletin, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029606575&fastReqId=70805670&fastPos=1). 

L’article 706-115 du code de procédure pénale prévoit que toute personne majeure bénéficiant d’une mesure de protection juridique doit être soumise à une expertise médicale si elle fait l’objet de poursuites pénales. Cette expertise a pour but d’évaluer la responsabilité pénale du prévenu au moment des faits. Le manquement à ce préalable obligatoire au procès par l’Autorité à l’initiative des poursuites empêche la personne d'être jugée conformément à son degré de responsabilité pénale. Cela porte alors une “atteinte substantielle à ses droits”. En cas d’absence d’une expertise médicale, il est possible de demander la relaxe de la personne ou de présenter une requête en nullité. ( Cass. Crim. 16 déc. 2020, n°19 83.619, https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/2601_16_46142.html)

Dans le cas où la personne poursuivie était sous protection judiciaire alors que cette information était inconnue à l’ensemble des acteurs de la chaine pénale, une requête en révision d’une condamnation au motif que la juridiction de jugement ignorait, au jour du procès, que l’intéressé était placé sous le régime de la curatelle renforcée est recevable sans toutefois entrainer une suspension de l’exécution de la peine à ce stade de la procédure (Cass. Crim, 31 mars 2015, n° 15-80599, Non publié au Bulletin, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000030449958&fastReqId=852832440&fastPos=1). 

L’expertise visée à l’article 706-115 du CPP peut également avoir pour objet d’évaluer l’aptitude du majeur protégé à comparaître devant une juridiction de jugement. 

A été considérée comme apte à comparaitre devant une juridiction de jugement une prévenue dont l’expert désigné en application de l’article 706-115 du CPP précise que si elle « n'était pas en mesure de comprendre toute la subtilité des débats, elle était apte à comparaître devant une juridiction pénale et était accessible à une sanction pénale, y compris d'emprisonnement, et apte à comprendre qu'elle était ainsi punie pour une faute commise » (Cass. crim. 14 Nov. 2019, n°18-86077, Non publié au Bulletin, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000039418999&fastReqId=659884114&fastPos=1). 

Voir compléments sur le statut du majeur protégé dans la section dédiée au sujet dans ce même kit

4.2.3 - L’expertise facultative dans les différentes phases de la procédure pénale, comment la demander ?

Les droits de la défense sont particulièrement restreints au cours de l’enquête préliminaire. Si au cours de l’audition libre ou de la garde à vue, l’intéressé a le droit d’être informé des faits qui sont retenus contre lui et de la possibilité pour lui d’être assisté par un avocat, il ne peut en revanche contester à ce stade de la procédure la légalité des actes d’enquêtes ou former des demandes d’actes.

Il existe cependant une possibilité procédurale : l’avocat peut - sous certaines conditions - solliciter l’examen psychiatrique de son client au cours de l’enquête préliminaire. L’article 77-2 du code de procédure pénaleprévoit en effet la possibilité pour la personne ayant été entendue librement ou au cours d’une garde à vue de consulter le dossier de la procédure.

Cette demande doit être présentée :

  • postérieurement à l’année qui s’est écoulée à compter du premier de ces actes,
  • par lettre recommandée avec accusé de réception ou par déclaration au greffe contre récépissé.

Dans le cas où une telle demande lui a été présentée, le procureur de la République doit, lorsque l'enquête lui paraît terminée et s'il envisage de poursuivre la personne par citation directe ou selon la procédure prévue à l'article 390-1, aviser celle-ci, ou son avocat, de la mise à la disposition de son avocat, ou d'elle-même si elle n'est pas assistée par un avocat, d'une copie de la procédure et de la possibilité de formuler des observations ainsi que des demandes d'actes utiles à la manifestation de la vérité dans un délai d'un mois, par LRAR ou déclaration au greffe contre récépissé. 

La lecture combinée des articles 77-1 et 77-2 du code de procédure pénale fonde la recevabilité d’une demande d’examen scientifique utile à la manifestation de la vérité (Cass. Crim. 31 mai 2016 n°14-87678, Non publié au Bulletin, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000032634606&fastReqId=1164620052&fastPos=1). Une expertise psychiatrique est un examen scientifique utile à la manifestation de la vérité. 

Toutefois, ces missions techniques ou examens scientifiques ne sont pas soumis à l’ensemble des prescriptions du code de procédure pénale relatives aux expertises et notamment à la possibilité de demander une contre-expertise (Cass. Crim 5 mars 2019 n°17-87402, Non publié au Bulletin, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000038238537&fastReqId=1307528213&fastPos=1). Dans le prolongement de ce motif, il a été jugé qu’une cour d'appel ne peut annuler un examen technique ou scientifique au seul motif de l'impossibilité d'ordonner un contre-examen (Même arrêt). 

Par ailleurs, lorsque la personne poursuivie est déférée devant le procureur de la République qui envisage de la poursuivre selon la procédure de la comparution immédiate (ou de la comparution immédiate à délai différé) ou par convocation par procès-verbal, elle peut, par la voix de son avocat, soumettre à l’appréciation du procureur de la République l’opportunité de commettre un expert psychiatre (Article 393 CPP alinéa 4).

En cas de refus du procureur de la République de faire procéder à une expertise psychiatrique, l’avocat devra saisir la juridiction de jugement de cette demande. L’avocat en charge de la personne mise en examen et affectée de troubles psychiatriques qui souhaite convaincre les juges de l’abolition ou de l’atténuation du discernement de son client au moment des faits a intérêt à ce que la présence de ces troubles soit constatée par un expert judiciaire.

L’expertise diligentée au cours de l’instruction a un caractère contradictoire. L’avocat de la personne mise en examen peut demander la modification de la mission de l’expert ainsi qu’un complément d’expertise ou une contre-expertise. Si le recours contre l’ordonnance de rejet de la demande de commission d’expert est soumis au filtre du président de la Chambre de l’instruction, le respect du principe du contradictoire permet, le recours contre l’ordonnance de rejet de la demande de contre-expertise en appel.

4.2.3.1 - La demande de commission d’expert

Par son arrêt du 24 août 2016 (n°16-83546, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000033072193&fastReqId=799984251&fastPos=1), la chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé qu’aucune disposition du code de procédure pénale ne faisait obligation au magistrat instructeur d’ordonner une expertise psychiatrique, que l’instruction soit ouverte en matière criminelle ou en matière délictuelle.

L’avocat d’une partie à la procédure peut formuler des demandes d’actes au visa des articles 80-1-1, 81, 82-1, 99, 156 et 167 du code de procédure pénale.

Le code prévoit de manière générale la possibilité pour l’avocat de formuler toute demande d’acte utile à la manifestation de la vérité (Article 81 du code de procédure pénale).

La demande de commission d’expert répond à une nécessité judiciaire plus particulière. Elle est prévue à l’article 156 du code. L’avocat peut demander que la personne qu’il assiste fasse l’objet d’une expertise psychiatrique ou de toute autre expertise nécessaire à la manifestation de la vérité. L’article 156 opère un renvoi à l’article 81 du code sur les règles relatives aux formes de la demande : elle doit être écrite et motivée et être faite par déclaration au greffe du juge d’instruction saisi du dossier ou par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au greffe. 

Attention : la demande qui serait formulée non conformément aux prescriptions de l’article 81 serait déclarée irrecevable. Il est ainsi nécessaire de l’adresser, tant sur l’enveloppe que dans le corps du courrier, au greffe du magistrat instructeur et non au magistrat instructeur lui-même.

Il est prévu un délai d’un mois, qui court à compter de la réception de la demande, pour statuer par une ordonnance écrite et motivée.

Le refus d’expertise psychiatrique ou d’expertise supplémentaire ne peut être admis qu'autant que l'arrêt ne présente pas de contradiction interne entre les constatations de fait et le refus d'expertise (Cass. crim., 21 janv. 1992 : JurisData n° 1992-002353, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007502946&fastReqId=437483905&fastPos=1).

Au titre du recours dont dispose l’avocat pour contester le refus de commission d’expert, l’avocat peut interjeter appel de l’ordonnance de refus dans le délai de dix jours à compter de sa notification. 

Il s’agit toutefois d’un appel soumis au filtre du président de la Chambre de l’instruction. L’appel des ordonnances rejetant une demande de commission d’expert est régi par l’article 186-1 du code de procédure pénale qui restreint le droit d’appel relatif à certaines demandes limitativement énumérées. Il appartient à l’avocat d’annexer à l’acte appel, une écriture motivée en droit et en fait au soutien de sa demande. Cette pratique, non obligatoire et peu répandue, peut toutefois convaincre le président de la Chambre de l’instruction de ne pas faire usage de son pouvoir de filtrage. 

Dans le cas où l’intéressé se heurterait au silence du magistrat instructeur à l’issue du délai d’un mois à compter de sa réception, il lui appartiendra de saisir par requête motivée en droit et en fait, le président de la Chambre de l’instruction qui statuera conformément à l’article 186-1 (Procédure de l’appel filtré).

En effet, le dossier de l’information est transmis au président de la Chambre de l’instruction qui décide dans le délai de huit jours à compter de la réception du dossier de l’opportunité de saisir ou non la Chambre de l’instruction. 

Sa décision est insusceptible de recours sauf en cas d’excès de pouvoir. L’excès de pouvoir doit être attaqué par un pourvoi en cassation. La chambre criminelle de la Cour de cassation a pu admettre l’excès de pouvoir dans les cas suivants : 

4.2.3.2 - La demande de modification de la mission de l’expert commis par le juge d’instruction

Lorsque le magistrat instructeur commet un expert judiciaire, il doit en informer sans délai le procureur de la République et les parties (Article 161-1 CPP). Ces dernières disposent d’un délai de 10 jours à compter de la notification de l’ordonnance de commission pour demander selon les règles prévues à l’article 81 dixième alinéa la modification des questions posées par le magistrat instructeur.

Ils peuvent également demander l’adjonction à l’expert désigné d’un autre expert de leur choix.

Celui-ci doit figurer sur la liste des experts de la Cour de cassation ou sur l’une des listes des experts dressés par les Cours d’Appel. Ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’une juridiction peut nommer un expert ne figurant pas sur l’une de ces listes (Article 156 CPP).

L’ordonnance de rejet de ces demandes, qui doit intervenir dans le délai de 10 jours à compter de leur réception, peut être contestée devant le président de la Chambre de l’instruction dans un délai de 10 jours à compter de la notification de l’ordonnance. Ces règles sont également applicables en l’absence de réponse du magistrat instructeur dans les 10 jours de leur réception. La décision du président de la Chambre de l’instruction doit être motivée. Elle est insusceptible de recours.

Le magistrat instructeur peut refuser la demande de modification de la mission de l’expert ou d’adjonction d’un expert lorsque l’urgence commande que l’expertise soit réalisée dans les plus brefs délais. L’urgence doit être caractérisée. La Cour de cassation exerce un contrôle de l’urgence. L’ordonnance de rejet serait entachée de nullité si l’urgence n’était pas caractérisée.

Au titre des demandes utiles à la défense de l’intéressé, l’avocat peut solliciter que soient entendues telles ou telles personnes (par exemple les parents qui pourront utilement décrire les différentes manifestations de la maladie psychiatrique de leur enfant ou le médecin de l’intéressé). Cette demande est fondée sur l’alinéa premier de l’article 164 du Code de procédure pénale : « les experts peuvent recevoir, à titre de renseignement et pour le seul accomplissement de leur mission, les déclarations de toute personne autre que la personne mise en examen, le témoin assisté ou la partie civile. ».  Le médecin qui, ainsi requis, témoigne en justice, ne peut être puni pour violation du secret professionnel.

Il peut également être demandé que le dossier médical de l’intéressé soit communiqué à l’expert. Ou bien l’avocat de l’intéressé dispose d’une copie de ce dossier (l’article L. 1111-7 du Code de la santé publique) et le verse au dossier au soutien de sa demande, ou bien il sollicite du magistrat instructeur de se faire communiquer le dossier afin de le transmettre à l’expert.

4.2.3.3 - La demande de complément d’expertise ou d’une contre-expertise

Lorsqu’une expertise psychiatrique a été diligentée par le magistrat instructeur, d’office ou à la demande des parties, les conclusions de cette expertise ou le rapport intégral sont notifiées : 

  • Soit lors d’un interrogatoire, les parties et leurs avocats étant convoqués au moins cinq jours ouvrables avant la tenue de celui-ci,
  • Soit par lettre recommandée avec accusé de réception,
  • Soit par télécopie. 

Le délai laissé aux parties pour formuler une demande de complément ou de contre-expertise est précisé par le magistrat instructeur. Il ne peut être inférieur à quinze jours à compter de l’envoi des conclusions de l’expert. À peine d’irrecevabilité, la demande doit être motivée en droit et en fait. 

Voir dans le chapitre Stratégies de plaidoiries, la section présentant 4 exemples de mémoires pour demander des contre-expertises ou des compléments d’expertise.

On pourra aussi se référer à la thèse du Dr Christophe PERRAULT pour le diplôme de docteur en médecine, spécialité psychiatrie intitulée : « Abolition et altération du discernement au sens de l’Article L122-1 du Code pénal) quelles définitions, quels diagnostics psychiatriques », ainsi résumée par l’auteur :

« L'expertise psychiatrique pénale de responsabilité constitue une interface majeure entre soins et justice et l'article 122-1 du Code Pénal en est le pivot central. La loi prévoit que l'expert rende sa décision en discutant la qualité du discernement de l'auteur présumé d'infraction pénale. Ce terme ne bénéficie cependant d'aucune définition consensuelle qu'elle soit juridique ou médicale. S'ajoute à ce constat une possible sur-pénalisation des sujets relevant de l'alinéa 2 de cet article de loi. Après avoir interrogé le concept de discernement et proposé une définition s'appuyant sur la psychopathologie classique et les apports plus récents des neurosciences, l'objectif de ce travail est de déterminer quels diagnostics psychiatriques sont associés à l'abolition et à l'altération du discernement. Six cent-un rapports d'expertises psychiatriques pénales ont été rétrospectivement inclus. Une analyse univariée suivie d'une régression logistique multivariée ont été conduites. L'abolition du discernement était associée au diagnostic de trouble psychotique, l'altération aux diagnostics de trouble psychotique, de trouble de personnalité et de retard mental. »

http://thesesante.ups-tlse.fr/280/

4.2.3.4 - La requête en nullité du rapport d’expertise

La nullité du rapport d’expertise peut être soulevée devant la Chambre de l’instruction au cours de l’instruction, selon les règles communes des requêtes en nullité (Art 170 à 174-1 du CPP). 

Voir dans le chapitre Stratégies de plaidoiries, la section présentant un exemple de mémoire demandant la nullité d’une expertise

4.3 - Points de vigilance tout au long de la procédure pénale

4.3.1 - Pendant l’enquête préliminaire

4.3.1.1 - L’interpellation

L’interpellation (ou arrestation) peut être effectuée par tout individu si la personne arrêtée est manifestement en train de commettre un crime ou un délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement (art. 73 CPP). Elle peut également l’être dans le cadre d’une instruction pénale ou suite à une enquête préliminaire. Elle ne débouche pas nécessairement sur une mesure de garde à vue.

Lors de l’interpellation, la personne ne peut être menottée ou entravée que si elle apparaît dangereuse pour elle-même ou autrui, ou si elle est susceptible de tenter de prendre la fuite (art. 803 CPP).

4.3.1.2 - La garde à vue

La garde à vue  est décidée par un officier de police judiciaire (OPJ) qui en établit procès-verbal et en informe le procureur de la République dans l’heure suivant l'interpellation. Le Parquet, seul, peut décider de mettre un terme à ladite mesure.  L’Officier de Police ou de Gendarmerie a pour mission de rechercher, pendant la garde à vue, tous les éléments, traces et indices (à charge et à décharge), d’en acter les résultats pour les présenter à la Justice.  Ces constats factuels et objectifs formeront le socle des décisions du Parquet. La collecte d’informations sur la santé mentale du mis en cause peut amener l’Officier de Police Judiciaire à requérir une expertise dans les meilleurs délais.

La garde à vue des personnes placées sous tutelle ou sous curatelle est encadrée (article 706-112-1 CPP). Si « les éléments recueillis au cours de la garde à vue d’une personne font apparaître que celle-ci fait l’objet d’une mesure de protection juridique », le curateur ou le tuteur doit être avisé ; la même chose vaut pour les personnes bénéficiant d’une mesure de sauvegarde de justice ; ceci dans un délai de 6 heures à compter du moment où est apparue l'existence d'une mesure de protection juridique. Le mandataire peut désigner un avocat, demander qu’il en soit désigné un et demander que la personne soit examinée par un médecin. Toutefois le procureur peut décider que l’avis est différé ou n’est pas délivré « afin de permettre le recueil ou la conservation des preuves ou de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l'intégrité physique d'une personne ».

Si un examen médical n’est pas demandé par la personne gardée à vue, le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire, un membre de sa famille peut le requérir. L’examen médical est alors de droit (article 63-3 du code pénal).

Si le gardé à vue a exprimé le souhait de bénéficier du droit à l'assistance d'un avocat, sa première audition par l'officier de police judiciaire ne peut débuter sans la présence de ce dernier jusqu'à la fin d'un délai de deux heures, sauf si le procureur autorise une audition immédiate sans attendre son avocat en raison des nécessités de l’enquête.

À son arrivée, l'avocat peut s'entretenir seul avec son client pendant 30 minutes et consulter :

  • ses procès-verbaux d'audition,
  • le procès-verbal constatant le placement en garde à vue,
  • le procès-verbal de notification des droits
  • l'éventuel certificat médical établi.

Il peut ensuite assister à toutes les auditions et confrontations, prendre des notes, poser des questions et présenter des observations écrites.

L’officier de police judiciaire peut toutefois refuser que l’avocat pose des questions ou bien la totalité des questions qu’il avait prévue de poser. Dans ce cas, l’avocat ne manquera pas de rédiger un mémoire dans lequel il relatera les questions refusées.

L’avocat doit s’assurer, s’il y a lieu, que l'altération des facultés mentales de la personne au moment des faits délictueux a été prise en compte dès l'établissement des procès-verbaux d'audition. Il pourra mettre en avant l'article 122-1 du Code Pénal qui organise la reconnaissance de l’altération ou bien de l’abolition du discernement de l’intéressé au moment de la commission des faits.

4.3.1.3 - Les pouvoirs du procureur

Une palette de choix s'offre au procureur en fonction de la gravité de l'acte commis, de sa complexité (dissimulation, complices ou non, etc.) et de sa perception de la personnalité du commettant :

  • Classement sans suite. En ce cas, il ne peut prendre lui-même aucune mesure de sûreté, ni davantage saisir quelque juridiction que ce soit pour qu'elle prononce de semblables mesures. Il ne peut qu'informer le préfet afin que celui-ci examine l'éventualité d'une hospitalisation en soins sans consentement. L’intéressé (ou son avocat) peut demander une copie complète de la procédure ayant abouti à un classement sans suite.
  • Renvoi devant le tribunal de police pour des faits contraventionnels (actes mineurs).
  • Mise en œuvre d'une procédure alternative aux poursuites (articles 41-1 et 41-2 du code de procédure pénale). Le procureur peut, pour les personnes qui ont commis une infraction et dont l’identité et le domicile sont connus :
  • Procéder ou faire procéder à un rappel des obligations de la loi en orientant l’auteur des faits vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle (stage ou formation…) (art.41-1 CPP),
  • Proposer une médiation entre l’auteur des faits et la victime, la réparation des dommages commis, etc.,
  • Proposer ou faire proposer une composition pénale (peine d’amende ou peine d’emprisonnement assortie d’une ou plusieurs contraventions connexes).
  • Contrôle judiciaire avec obligations et contraintes particulières jusqu’au jugement,
  • Demande qu’il soit procédé à une ou plusieurs expertises psychiatriques (soit l’expertise est obligatoire, voir chapitre 1 ; soit elle est facultative, voir ci-dessous),
  • Saisine du préfet afin qu’il décide d’une hospitalisation pour recevoir des Soins Psychiatriques sur Décision d'un Représentant de l'État (SPDRE),
  • Saisir le tribunal correctionnel selon l'une des procédures de comparution immédiate, comparution à délai différé ou comparution avec reconnaissance préalable de la culpabilité,
  • Ouverture d’une information judiciaire (obligatoire en cas de crime, facultative pour les délits) et, par conséquent, saisine d'un juge d'instruction pour mener l’instruction judiciaire qu’il conclura, soit par une ordonnance de non-lieu (abandon des poursuites), soit par une ordonnance de renvoi devant une juridiction pénale, soit par une ordonnance d’irresponsabilité pénale.

Curateur et tuteur doivent être avisés par le procureur de l'engagement de la procédure contre une personne protégée (article 706-113 CPP).

NB : Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 11 mai 2021, n°20-82.267, Publié au bulletin : La Cour de cassation a jugé que, pour écarter le moyen de nullité du réquisitoire introductif, en ce que la curatrice n’a pas été informée que cet acte d’orientation des poursuites, l’article 706-113 du code de procédure pénale prévoit que le curateur ou le tuteur d’une personne majeure protégée doit être avisé des poursuites dont elle fait l’objet qu’au moment de la mise en examen.

Pour ne pas retenir la nullité des perquisitions, la Cour retient que la procédure ne contrevient pas à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce qu’aucun interrogation n’a été effectué, que l’intéressé n’a pas contesté l’authenticité des biens saisis et que les enquêteurs ignoraient la mesure de protection.

4.3.2 - Les procédures « simplifiées » de jugement du tribunal correctionnel

4.3.2.1 - La comparution immédiate

La comparution immédiate s'applique aux délits punis d'au moins 2 ans de prison (6 mois pour un flagrant délit). Le procureur renvoie le prévenu devant le tribunal immédiatement après la fin de sa garde à vue. Le prévenu est retenu en cellule jusqu'à sa comparution (article 395 CPP).

Avant l’audience de comparution immédiate, dans le cadre de l’étape appelée « Permanence d’Orientation Pénale », le prévenu est reçu par un enquêteur chargé de réaliser une « enquête sociale rapide ». Cette enquête a pour but de recueillir puis vérifier les éléments sociaux, familiaux, professionnels et de santé relatifs au prévenu susceptibles d'éclairer le juge sur le contexte de la commission des faits.

L’article 395 du code de procédure pénale prévoit que « Le prévenu est retenu jusqu'à sa comparution qui doit avoir lieu le jour même ; il est conduit sous escorte devant le tribunal ». Si le tribunal ne peut se réunir le jour même (cas des « petits » tribunaux et des veilles de weekend ou jours fériés), le procureur peut saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) pour prendre des mesures garantissant la présence du prévenu. Le JLD peut alors décider un contrôle judiciaire, une assignation à résidence avec surveillance électronique ou une détention provisoire (voir document « Eviter l’incarcération »). En cas de détention provisoire, le prévenu est placé en maison d'arrêt et doit comparaître au plus tard le troisième jour ouvrable suivant. À défaut, il est mis d'office en liberté.

L’obligation de prévenir le tuteur ou le curateur est un droit fondamental ainsi que l’ont établi la Cour de Cassation et le Conseil Constitutionnel.

 « Lorsqu'il est établi, au cours de la procédure, qu'une personne majeure fait l'objet d'une mesure de protection juridique, le procureur de la République ou le juge d'instruction doit aviser des poursuites son curateur ou son tuteur » Cass. crim. 3 mai 2012 (N° 11-88725). https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000025992269

Cette jurisprudence a été confirmée : « Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que le curateur de la prévenue n'avait été informé ni des poursuites ni du jugement de condamnation prononcé à son encontre et qu'il n'avait pas été avisé de la date d'audience, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé » Cass. Crim. 29 janvier 2013 (N°12-82100) https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000027019351&fastReqId=712825609&fastPos=1

puis confirmée, même en cas de relaxe, d’acquittement ou de non-lieu ou de déclaration d’irresponsabilité pénale : « Le procureur de la République, lorsqu'il poursuit un majeur protégé en vue de son jugement, en avise le curateur ou le tuteur, ainsi que le juge des tutelles. Il doit faire de même en cas de relaxe, d'acquittement, de déclaration d'irresponsabilité ou de condamnation. » Cass. crim. 24 juin 2014, N° 13-84364 https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000029152388.

La décision du Conseil constitutionnel n° 2018-730 QPC du 14 septembre 2018 l’a également confirmé.

Toutefois, la nullité de la procédure n’est pas encourue si et seulement si les autorités ignoraient la statut de majeur protégé (dans ce cas, procédure de révision : cf. Plus haut). En cas de doute, il est fait obligation aux magistrats (siège ou parquet selon stade de la procédure de faire procéder à une expertise sous peine d’annulation de la poursuite).

« Il se déduit des articles 706-113 et D. 47-14 du code de procédure pénale que le curateur d'une personne majeure protégée doit être avisé de la date de toute audience concernant celle-ci, en ce compris l'interrogatoire de première comparution. En cas de doute sur l'existence d'une mesure de protection juridique, le procureur de la République ou le juge d'instruction doit faire procéder aux vérifications nécessaires préalablement à cet acte. Encourt la censure l'arrêt d'une chambre de l'instruction qui, d'une part, après avoir constaté que figuraient dans la procédure, préalablement à l'interrogatoire de première comparution, des indications données par des membres de sa famille sur une schizophrénie dont souffrirait l'intéressé et une main-courante remontant à quelques années le qualifiant de majeur sous curatelle, ainsi qu'une expertise psychiatrique réalisée récemment dans un dossier distinct faisant état à son sujet d'une tutelle, retient que ces éléments n'étaient pas suffisants pour faire naître un doute sur l'existence d'une mesure de protection légale, d'autre part, ne caractérise pas une circonstance insurmontable ayant fait obstacle à la vérification qui s'imposait » : Cass. Crim. 19 septembre 2017 (N° 17-81919). https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000035612587&fastReqId=251658703&fastPos=1

Le prévenu peut refuser la comparution immédiate lorsque, au début de l’audience, le président du tribunal correctionnel lui pose obligatoirement la question de son acceptation en présence de son avocat (article 397-1 du code de procédure pénale). L'avocat peut aussi demander au président le report du jugement pour qu'une expertise psychiatrique soit réalisée et mieux préparer le dossier de défense (voir ci-dessous). Si le renvoi est de de droit, le tribunal peut refuser d’ordonner l’expertise psychiatrique. Ce choix peut éventuellement entraîner le placement en détention provisoire du prévenu pendant le temps de l'instruction.

La demande d’expertise :

L’avocat de la personne poursuivie peut demander que soit ordonné tout acte nécessaire à la manifestation de la vérité (Article 397-1 CPP). 

Si l’affaire n’est pas en état d’être jugée, le tribunal peut la renvoyer à une audience qui ne peut se tenir dans un délai inférieur à deux semaines et supérieur à six semaines lorsque la peine encourue est inférieure à sept ans d’emprisonnement. Lorsque la peine encourue est supérieure à sept ans d’emprisonnement, ce délai ne peut être inférieur à deux mois ni supérieur à quatre mois (article 397-1 CPP).

Le tribunal doit statuer sur la demande d’expertise par jugement motivé. Il s’agit d’un jugement avant dire droit qui ne sera susceptible d’appel qu’avec le jugement au fond.

Il est donc essentiel pour l’avocat de réunir un maximum de pièces médicales qui rendent sa demande d’expertise psychiatrique bien fondée. Voir en fin de kit le modèle de mémoire récapitulatif suggéré par l’UNAFAM

Lorsque le tribunal fait droit à cette demande, il doit être statué sur le sort de la personne poursuivie jusqu’à la prochaine audience (Article 397-3 CPP). La personne peut être placée ou maintenue sous contrôle judiciaire. Elle peut également être maintenue ou placée en détention provisoire (voir document « Eviter l’incarcération »). Cette décision est exécutoire par provision.

Lorsque la personne est placée en détention provisoire, le jugement doit intervenir dans un délai de deux mois à compter de sa première comparution, faute de quoi elle sera remise en liberté. Ce délai est porté à quatre mois si la peine encourue est supérieure à sept ans (Article 397-3 du code de procédure pénale).

4.3.2.2 - La comparution à délai différé

La comparution à délai différé a été créée par la loi du 19 mars 2019 (article 397-1-1 CPP). Cette procédure permet au procureur de faire juger une personne peu de temps après sa garde à vue, mais sans la libérer.

Elle permet de poursuivre rapidement le prévenu devant le tribunal correctionnel mais dans un délai légèrement supérieur aux 20 heures de la procédure de comparution immédiate, avec un report rendu nécessaire parce que les résultats de réquisitions et d'examens techniques ou médicaux nécessaires au jugement n'ont pas encore été obtenus (test ADN, analyses toxicologiques, exploitations téléphoniques, etc.).

Le procureur présente le prévenu au Juge des Libertés et de la Détention (JLD) afin qu’il le place sous contrôle judiciaire, en assignation à résidence sous surveillance électronique ou encore en détention provisoire (voir document « Eviter l’incarcération »).

En cas de détention provisoire, le prévenu doit comparaître au plus tard dans les 2 mois. À défaut, il est mis d'office en liberté.

La demande d’expertise :

L’avocat de la personne poursuivie pourra, jusqu'à l’audience de jugement, formuler des demandes d’actes. Il pourra ainsi demander qu’un expert psychiatre soit commis pour examiner la personne (397-1-1 CPP). Outre la demande d’acte ponctuel, l’avocat peut demander au tribunal que soit ordonné un supplément d’information.

4.3.2.3 - La comparution avec reconnaissance préalable de la culpabilité

La procédure de « comparution avec reconnaissance préalable de la culpabilité » (CRPC) (Articles 495-7 et suivants du code de procédure pénale), appelée familièrement le « plaider-coupable », est mise en œuvre par le procureur lorsqu'un prévenu reconnaît les faits qui lui sont reprochés et que ceux-ci sont simples.

Le procureur reçoit d’abord, seul, le prévenu en présence de son avocat (obligatoirement) pour proposer une sanction. Si le prévenu est d’accord, il est par la suite présenté devant un juge du tribunal correctionnel pour « homologuer » la décision du procureur.

La demande d’expertise :

La demande de commission d’expert présentée soit devant le procureur de la République, soit devant le magistrat du siège, a le même effet que la contestation de la reconnaissance des faits. La personne poursuivie comparait donc devant le tribunal correctionnel et les règles relatives aux demandes d’expertises à l’audience correctionnelle seront alors applicables (voir paragraphe 6.b).

Le décret n°2023-89 du 13 février 2023 relatif à l’application de l’article 706-115 du Code de procédure pénale (publié au Journal officiel du 14 février 2023) tire la conséquence de l'article 706-115 du Code de procédure pénale qui dispose que le majeur protégé poursuivi doit nécessairement faire l’objet d’une expertise médicale afin d’évaluer sa responsabilité pénale au moment des faits, avant tout jugement au fond, en cas de comparution avec reconnaissance préalable du culpabilité. Le décret supprime la voie de poursuite qui est la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité de la liste des alternatives aux poursuites pour lesquelles cette expertise n’est pas obligatoire, telle que prévue par l’article D. 47-22 du Code de procédure pénale. Il en est de même pour l'ordonnance pénale.

4.3.3 - La procédure devant le juge d’instruction

L’instruction est une enquête préalable confiée par le procureur de la République, suite à un réquisitoire introductif, à un juge d’instruction en vue d’établir l’existence ou non de charges suffisantes pour poursuivre la personne présumée avoir commis une ou des infractions.

Durant l’instruction, la procédure est très encadrée légalement : ainsi des délais stricts s’appliquent pour chaque phase de la procédure, dont le non-respect entraine la mise en liberté d’office lorsque la personne est incarcérée en attente de jugement.

Le rôle du juge d’instruction

Un Juge d’Instruction est systématiquement saisi en matière criminelle et éventuellement en matière correctionnelle lorsque l’affaire apparaît complexe.  L’enquête du Juge d’Instruction est menée à charge et à décharge. Le juge d’instruction dispose de nombreux moyens d’investigation (enquêtes, auditions du mis en examen, de témoins, perquisitions, expertises, écoutes téléphoniques...). Il est assisté des officiers de police judiciaire (OPJ). Ses décisions sont prises par ordonnances notifiées à chacune des parties prenantes au dossier (mis en cause, victimes, avocats…). L’instruction est conduite sous le sceau du secret.

La pratique de l’instruction en matière criminelle implique toujours l’audition de proches de la famille pour l’enquête dite de personnalité. Cette enquête est faite soit par la police ou la gendarmerie soit par des enquêteurs habilités. Le juge peut, dans tous les cas, s'il a un doute sur la santé mentale du prévenu ou sur proposition de l’avocat, ordonner une expertise psychiatrique (voir ci-dessous).

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 8 juin 2017, n°17-80.709, Publié au bulletin : Dans le cadre d’une commission rogatoire, le fils du mis en examen pour viol aggravé sur son ex-compagne est interrogé par les services de police. Celui-ci est majeur protégé placé sous le régime de la curatelle renforcée. Il révèle, en tant que témoin, spontanément le projet d’assassinat par son père de cette ex-compagne et fournit certaines précisions. Le juge d’instruction procède ensuite  à l’audition du fils du mise en examen, ce dernier confirme ses déclarations. Le juge d’instruction entend le curateur du témoin et décide de mettre en examen le père pour tentative d’assassinat et le fils du chef pour complicité. Sur ce, la Cour de cassation retient que les questions du juge d’instruction excédaient de simples vérifications sommaires, le témoin étant amené à confirmer ses déclarations incriminantes hors la présence d’un avocat.

Le Juge d’Instruction peut rendre différents types d’ordonnances :

  • d’expertise,
  • de refus de mise en examen (contrairement au réquisitoire du parquet),
  • de mise en liberté sous contrôle judiciaire,
  • de fin d’information (qui précède l’ordonnance de règlement qui peut être un renvoi devant le tribunal correctionnel, la cour d’assises, de non-lieu etc…),
  • de mise en accusation devant la Cour d’assises, de non-lieu partiel ou total, de dessaisissement, de refus d’informer si les faits sont prescrits.

Au vu de la gravité de l'infraction, du passé judiciaire, des besoins de l'instruction, de l'état de santé et d'une évaluation de la dangerosité de la personne mise en examen, le juge d’instruction peut saisir le JLD afin que ce dernier le place ou le maintienne en détention. À l’occasion de l’ordonnance de renvoi devant une juridiction de jugement, le magistrat instructeur - par ordonnance séparée - ordonne le maintien (ou non) en détention provisoire ou sous CJ de la personne mise en examen. (voir document « Eviter l’incarcération »).

Le juge d’instruction émet également des mandats :

  • Le mandat de comparution concernant le mis en cause ou des témoins,
  • Le mandat de recherche, ordre donné à la force publique de rechercher une personne. Ce n’est pas un titre de détention,
  • Le mandat d’amener, ordre donné à la force publique de conduire immédiatement devant lui une personne lorsque celle-ci ne s’est pas présentée à une convocation. C’est un titre de détention provisoire de 4 jours au plus en maison d’arrêt,
  • Le mandat d’arrêt, ordre donné à la force publique de rechercher une personne et de la conduire devant le juge d’instruction après l'avoir, le cas échéant, conduite à la maison d'arrêt indiquée sur le mandat, où elle sera détenue.

En cas de trouble psychique survenu après les faits :

Le juge d'instruction, tant que dure la maladie, ne peut plus interroger le mis en examen, ni le confronter avec quiconque, et doit surseoir à statuer en ce qui le concerne (Cass. crim., 13 oct. 1853 : DP 1853, 5, p. 204), mais il peut toujours, sans se livrer à des actes de poursuites personnelles impliquant le mis en examen, procéder à des constatations et enquêtes, entendre des témoins et rassembler des indices ou des éléments à charge ou à décharge.

Lorsque l'altération des facultés mentales d'une personne mise en examen est telle que celle-ci se trouve dans l'impossibilité de se défendre personnellement contre l'accusation dont elle fait l'objet, fût-ce en présence de son tuteur ou de son curateur et avec l'assistance d'un avocat, il doit être sursis à son renvoi devant la juridiction de jugement après constatation que l'intéressé a recouvré la capacité à se défendre (Cass. crim., 19 sept. 2018, n° 18-83.868, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000037450771&fastReqId=1894438026&fastPos=1).

4.3.4 - La procédure devant la Chambre de l’instruction

A.      Le rôle de la Chambre de l’Instruction :

C’est une chambre de la Cour d’appel qui statue en appel notamment :

  • Sur les contentieux en matière d’instruction :  celui de la détention provisoire (dans ce cas, en aucun cas, elle ne réexamine l’affaire et ne statue sur le fond) et celui du « fond » : requête en nullité, appel d’une ordonnance de règlement, appel d’un refus d’acte (en cas d’appel d’une ordonnance de règlement, elle réexamine l’affaire au « fond »). Dans les autres cas, elle ne peut le faire que si elle décide « d’évoquer l’affaire au fond »). La procédure d’évocation obéit à des règles strictes.
  • Sur les décisions de placement en soins sans consentement à la demande du représentant de l’Etat (SPDRE).
  • En matière de reconnaissance d’irresponsabilité pénale (voir paragraphe b).

Ses audiences sont contradictoires :

  • L’intéressé doit obligatoirement être convoqué pour assister à l’audience et s’exprimer à peine de nullité de la procédure pour les appels des ordonnances de placement ou de maintien en détention provisoire. « Lorsque la chambre de l’instruction est saisie d’un recours contre une ordonnance d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, le président procède à l’interrogatoire de la personne mise en examen, si elle est présente, et reçoit ses déclarations. L’interrogatoire de la personne mise en examen, dans le cadre de cette procédure, constitue une obligation substantielle. L’arrêt doit porter mention qu’il a été procédé, le cas échéant, conformément à la loi, à cet interrogatoire. […] La personne qui comparaît devant la chambre de l’instruction, saisie d’une ordonnance de transmission de pièces pour cause de trouble mental, doit être informée de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire. »» (cass. crim. 8 juillet 2020, n°19-85954, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000042128033&fastReqId=1674052700&fastPos=1). 
  • La présence de l’intéressé est soumise à l’appréciation de la Chambre de l’Instruction en cas d’appel de refus de mise en liberté avec demande de comparution personnelle. Une particularité existe dans le cas où l’intéressé n’a pas comparu personnellement dans les 4 derniers mois).
  • Exception : en ce qui concerne les appels des ordonnances de règlement, des refus d’acte, ou requêtes ne nullité, il ne comparait pas.

La Chambre de l’Instruction rend des arrêts susceptibles de pourvoi en cassation dans un délai de 5 jours. En cassation, l’affaire est réexaminée sur la seule forme, la Cour s’assurant que toutes les procédures de l’instruction ont été respectées.

B.      La reconnaissance de l’irresponsabilité pénale par la chambre de l’instruction :

À la fin de l’instruction, le magistrat instructeur qui envisage de déclarer la personne irresponsable pénalement (Article 122-1 alinéa 1 du code pénal) en informe le procureur de la République et les parties (Article 706-119 CPP).

Le procureur de la République dans ses réquisitions, et les parties dans leurs observations, doivent alors préciser si elles souhaitent saisir la Chambre de l’instruction pour qu’il soit statué sur l’irresponsabilité pénale de la personne mise en examen.

La procédure devant la Chambre de l’instruction peut aboutir au prononcé de mesures de sûreté telles que l’hospitalisation sans le consentement de la personne dans une unité de soins psychiatriques (Article 706-135 CPP). Lorsque le procureur de la République ou les parties ont précisé souhaiter que la Chambre de l’instruction soit saisie de la question de l’irresponsabilité pénale de la personne mise en examen, le magistrat instructeur ordonne, lors du règlement de l’instruction, la transmission du dossier par le procureur de la République au procureur général afin qu’il saisisse la Chambre de l’instruction. Il peut aussi ordonner d'office cette transmission (Article 706-120 CPP).

L'ordonnance de transmission de pièces prolonge les mesures de contrainte (détention provisoire et contrôle judiciaire) jusqu'à la comparution devant la chambre de l'instruction, sauf décision contraire du juge.

La procédure devant la Chambre de l’instruction (que ce soit en procédure d’appel ou en cas de saisine, suite à la transmission par le juge d’instruction), est prévue aux articles 706-122 et suivants du CPP.

En cas de saisine directe, la chambre doit statuer, si l'ordonnance de saisine n'a pas mis fin à la détention provisoire, dans les six mois de sa saisine en matière criminelle et dans les quatre mois en matière correctionnelle.

Les parties ou le procureur de la République peuvent demander la comparution personnelle de la personne mise en examen. Habituellement, la Chambre de l’instruction ordonne une expertise afin d’évaluer l’aptitude de l’intéressé à comparaitre devant elle. La chambre de l’instruction peut refuser sa comparution si son état de santé ne le permet pas.

Ainsi la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 18 février 1998, statuant sur le fait que « la chambre d'accusation, après avoir exposé les faits et analysé les conclusions concordantes des quatre expertises psychiatriques et médico-psychologique, [a conclu] que l'inculpé, atteint d'une psychose dissociative de type schizophrénique, ayant commis " à son insu " les actes qui lui sont reprochés, n'est pas pénalement responsable ». 


Elle a rejeté le pourvoi N° 97-81702 97-84855de parties civiles demandant la comparution du prévenu ainsi que la publicité des débats, considérant que la santé de celui-ci ne le permettait pas. Pour rejeter leur demande tendant à la publicité des débats et du prononcé de l'arrêt, les juges ont énoncé que l'article 199-1 du Code de procédure pénale « subordonne une telle mesure à la possibilité d'une comparution personnelle de la personne mise en examen à l'audience ». https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007070111

Si la personne mise en examen comparait, il est procédé à son interrogatoire. 

Les experts l’ayant examiné sont également entendus et « encourt la censure l’arrêt dont les mentions ne permettent pas à la Cour de cassation de s’assurer que l’un des experts, au moins, a été entendu. » (cass. crim. 8 juillet 2020, n°19-85954, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000042128033&fastReqId=1674052700&fastPos=1). 

Les témoins cités par les parties ou le ministère public peuvent également être entendus. Leur audition est toutefois soumise à l’appréciation du président de la Chambre de l’instruction.

Des questions peuvent être posées à la personne mise en examen, à la partie civile, aux témoins ainsi qu’aux experts par le procureur général et les avocats de la personne mise en examen et l’avocat de la partie civile.

La chambre de l’instruction peut rendre une décision de non-lieu si les charges retenues contre la personne mise en examen ne sont pas suffisantes. 

Elle peut également renvoyer la personne devant la juridiction compétente si les charges sont suffisantes et qu’elle ne fait pas application du premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal.

Lorsqu’elle fait application de l’article 122-1 du code pénal, elle rend un arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale. Elle statue également sur la demande de dommages et intérêts et peut prononcer des mesures de sûreté dont l’hospitalisation sous contrainte (voir chapitre 8). L’arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale met fin à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire. Il est susceptible d’un pourvoi en cassation (Article 706-126 CPP).

C.      Soulever la nullité du rapport d’expertise :

La nullité du rapport d’expertise peut être soulevée devant la Chambre de l’instruction au cours de l’instruction, selon les règles communes des requêtes en nullité (Art 170 à 174-1 du CPP). 

Pour rappel, le motif de la nullité doit être tiré de la méconnaissance d’une formalité substantielle du code de procédure pénale ou de toute autre disposition de ce code. Cette méconnaissance doit causer un grief aux intérêts de la personne mise en examen (Article 171 CPP).  À titre d’exemple, est nulle une ordonnance du Juge d'instruction désignant des experts qui ne comporte pas la signature du magistrat (Cass. crim., 22 oct. 1986, n° 86-94398, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007061667&fastReqId=330661424&fastPos=1).

De même, « un expert ne figurant plus sur les listes prévues à l'article 157 du code de procédure pénale, même s'il a été admis à l'honorariat, ne peut être choisi à titre exceptionnel que par une décision motivée, faute de quoi la désignation est entachée de nullité » (Cass. crim., 13 nov. 2008, n° 08-81446, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000019771793&fastReqId=1484791773&fastPos=1).

Si « l'expert figurant sur l'une des listes prévues par l'article 157 du Code de procédure pénale n'a pas à renouveler, avant d'accomplir sa mission, le serment qu'il a prêté lors de son inscription sur cette liste » (Cass. crim., 30 avr. 1996, n° 96-80829, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007066161&fastReqId=1062397969&fastPos=1), les experts ne figurant sur aucune des listes mentionnées à l'article 157 prêtent, chaque fois qu'ils sont commis, le serment prévu par la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires devant le juge d'instruction ou le magistrat désigné par la juridiction. Le procès-verbal de prestation de serment est signé par le magistrat compétent, l'expert et le greffier. En cas d'empêchement, dont les motifs doivent être précisés, le serment peut être reçu par écrit, et la lettre de serment est annexée au dossier de la procédure (Art. 160 du Code de procédure pénale).

Voir aussi fiche Stratégies de plaidoirie, le mémoire D, exemple de requête en nullité

4.3.5 - Les procédures normales du tribunal de police et du tribunal correctionnel

4.3.5.1 - Le tribunal de police

Le tribunal de police traite des contraventions de 5ème classe et les sanctionne par des amendes. Le tribunal compétent est celui du lieu où l'infraction a été commise ou du lieu de résidence de l'auteur. Il peut être saisi par le procureur de la République (lui-même éventuellement saisi par la victime). Seul le procureur de la République peut saisir le tribunal de police d'une procédure simplifiée.

La convocation se fait par simple lettre ou par convocation remise par huissier ou par officier de police judiciaire. Le prévenu n'est pas obligé de se présenter personnellement. Il peut :

  • se faire représenter par son avocat
  • demander par lettre au président du tribunal à être jugé en son absence.

Selon l’article 10 du Code de procédure pénale, lorsque l'état mental d’une personne citée ou renvoyée devant une juridiction de jugement rend durablement impossible sa comparution personnelle dans des conditions lui permettant d'exercer sa défense, l'affaire doit être renvoyée à une audience ultérieure et le prévenu ne peut être jugé qu'après avoir recouvré la capacité de se défendre.

La procédure simplifiée :

Il n'y a pas de débat préalable. Le juge rend une ordonnance pénale au vu du seul dossier présenté par le procureur de la République.

Le prévenu condamné par ordonnance pénale peut faire opposition dans un délai de 30 jours à partir de la notification de la décision. L'opposition se fait soit par courrier, soit par déclaration orale au greffe du tribunal. L'affaire est alors rejugée par le même tribunal suivant la procédure ordinaire.

  • La procédure ordinaire :

Le jugement est rendu à l'issue des débats ou à une date ultérieure communiquée aux parties. Le juge statue en se fondant sur son intime conviction :

  • soit il constate que le prévenu n'a pas commis d'infraction et prononce sa relaxe,
  • soit il constate la réalité de l'infraction et la qualifie de contravention,
  • soit il renvoie l’affaire devant le tribunal correctionnel, 
  • soit il condamne l'auteur mais reporte sa décision sur la peine pour demander une enquête sur sa personnalité ou sa situation familiale ou sociale. Le résultat de cette enquête permet d'adapter la sévérité de la peine à la personne de l'auteur. Le juge fixe le délai dans lequel il doit rendre sa décision finale, de quatre mois maximum, renouvelable une fois.

Lorsqu'une partie n'a pas été informée de la tenue de l'audience et n'y est donc pas présente ni représentée, le jugement est rendu par défaut. Dans ce cas, la partie absente a la faculté de faire opposition au jugement. L'opposition se forme par déclaration au procureur de la République dans les 10 jours de la prise de connaissance du jugement (par sa signification par exemple). L'affaire est jugée à nouveau par le même tribunal.

  • L’appel :

Chaque partie peut faire appel par déclaration au greffe du tribunal qui a rendu la décision attaquée, dans un délai de 10 jours :

  • à partir du jugement, si la partie était présente ou représentée,
  • à partir de la signification, si la partie n'était ni présente ni représentée.

4.3.5.2 - Le tribunal correctionnel

La procédure :

Plusieurs procédures sont possibles : l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction, la citation directe par le parquet (voir paragraphe a), la comparution avec reconnaissance préalable de la culpabilité (CRPC), la comparution immédiate, la comparution à délai différé et la convocation sur procès-verbal. Le prévenu comparait, au terme de sa garde à vue, soit sur une convocation du procureur fixant une date et une heure de procès différée, soit sur ordonnance de renvoi du juge d’instruction. 

Pour les procédures autres que simplifiées, le principe est que le procès doit avoir lieu dans les 10 jours à 2 mois suivant la délivrance de cette convocation. Dans l'attente du jugement, le prévenu peut être soumis à un contrôle judiciaire ou à une assignation à résidence avec surveillance électronique ou une détention provisoire (voir document « Eviter l’incarcération »).

Selon l’article 10 du Code de procédure pénale, lorsque l'état mental d’une personne citée ou renvoyée devant une juridiction de jugement rend durablement impossible sa comparution personnelle dans des conditions lui permettant d'exercer sa défense, l'affaire doit être renvoyée à une audience ultérieure et le prévenu ne peut être jugé qu'après avoir recouvré la capacité de se défendre.

Le juge informe le prévenu, au début de l’audience, de son droit au silence, de son droit à répondre aux questions ou bien de faire des déclarations spontanées.

L'avocat du prévenu pourra, s'appuyant éventuellement sur un rapport d’expertise, s’efforcer de convaincre le juge que son client a agi sous l’emprise de la maladie, dans l’une des catégories prévues par l'article 122-1 du Code pénal, l'abolition ou l'altération du discernement.

Si la juridiction décide de rejeter la circonstance de l’abolition et de reconnaître la commission des actes en situation de simple altération du discernement, l’avocat s’efforcera alors d’obtenir le respect du principe de la diminution au tiers du maximum de la peine encourue (le tribunal ne peut le refuser que par une décision spécialement motivée) et la conversion de l’éventuelle peine de prison en une peine alternative à l’emprisonnement (voir document « Eviter l’incarcération »).

En application des articles 706-133 et 134 du code de procédure pénale, le tribunal peut déclarer que la personne a commis les faits mais qu’elle est toutefois irresponsable pénalement ; il statue sur la demande de dommages et intérêts et peut prononcer des mesures de sûreté (voir chapitre 8). Le jugement met fin à la détention provisoire ou au contrôle judiciaire.

La demande d’expertise :

Devant toute juridiction correctionnelle, l’avocat peut demander un supplément d’information.

La décision ordonnant le supplément d’information a la nature d’un jugement avant dire droit (Cass. Crim 1er février 2005 n°04-85351, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007070532&fastReqId=27244281&fastPos=1). L’appel de cette décision ne pourra intervenir qu’avec l’appel du jugement sur le fond.

En application de l’article 388-5 du CPP, cette demande peut être faite avant l’audience en cas de poursuites par citation (article 390 du CPP) ou convocation (article 390-1 du CPP). Il s’agit de conclusions écrites adressées par LRAR ou par remise au greffe contre récépissé. 

Cette demande peut également être formulée ultérieurement devant le tribunal correctionnel, y compris au cours des débats. Il s’agit là encore de conclusions écrites qui doivent être visées par le greffier et le président (Art. 459 du CPP). 

Le refus d’expertise psychiatrique ou d’expertise supplémentaire ne peut être admis qu'autant que l'arrêt ne présente pas de contradiction interne entre les constatations de fait et le refus d'expertise (Cass. crim., 21 janv. 1992 : JurisData n° 1992-002353, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007502946&fastReqId=437483905&fastPos=1).

Les règles relatives à la commission d’un expert par une juridiction de jugement sont identiques à celles relatives à la commission d’un expert par un juge d’instruction (Article 156 CPP).

En effet, l’article 434 du code de procédure pénale relatif à l’administration de la preuve au cours des débats devant le tribunal correctionnel précise la possibilité pour le tribunal l’ordonner la commission d’un expert conformément aux articles 156 à 166, 168 et 169 du même code.

Il est donc possible, pour une partie qui allègue l’existence d’une maladie psychiatrique, de demander qu’un expert soit commis pour la constater devant le tribunal correctionnel.

En revanche, dans la pratique, l’aspect contradictoire existant au cours de l’instruction avec la possibilité de demander la modification de la mission de l’expert, l’adjonction d’un expert ou encore une contre-expertise, est mis à mal par les contraintes du temps judiciaire qui sont celles de l’audience correctionnelle. Surtout, aucune disposition du CPP ne prévoit que les articles 161-1 du CPP (notification de la décision de commission d’expert en matière d’instruction) et 167 du même code (règles relatives à une demande de contre-expertise) s’appliquent devant une juridiction de jugement. En particulier, l’article 283 du Code de procédure pénale exclut l’application de l’article 167 du même Code. Rappelons que cet article prévoit, en autres, que le rapport d’expertise doit être notifié aux parties qui disposent d’un délai pour faire des observations, une demande de complément d‘expertise ou de contre-expertise. 

La Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 26 novembre 2002 (n°02-80347, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007601463&fastReqId=770016529&fastPos=1) que l’absence d’une possibilité de solliciter une contre-expertise ne violait pas le caractère équitable de la procédure « dès lors que la partie civile a eu connaissance du rapport de l'expert et a pu en discuter les conclusions à l’audience ». 

La CEDH a jugé en sens contraire dans une affaire MANTOVANELLI C. FRANCE (18 mars 1997, requête n° 21497/93, http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-62582). La motivation est extrêmement intéressante puisque, dès lors que « la question à laquelle l’expert était chargé de répondre se confondait avec celle que devait trancher le tribunal », et quand bien même « il n’est pas contesté que la procédure "purement judiciaire" s’est déroulée dans le respect du contradictoire » puisque les requérants ont « pu formuler, devant le tribunal administratif, des observations sur la teneur et les conclusions du rapport litigieux après qu’il leur fut communiqué », la CEDH « n’est pas convaincue qu’ils avaient là une possibilité véritable de commenter efficacement celui-ci ». En effet, l’expertise relève d’ «un domaine technique échappant à la connaissance des juges. Ainsi, bien que le tribunal administratif ne fût pas juridiquement lié par les conclusions de l’expertise litigieuse, celles-ci étaient susceptibles d’influencer de manière prépondérante son appréciation des faits. ».  C’est pourquoi, selon la Cour, les requérants n’ont pas eu « la possibilité de commenter efficacement l’élément de preuve essentiel. La procédure n’a donc pas revêtu le caractère équitable exigé par l’article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1). Partant, il y a eu violation de cette disposition (art. 6-1). » 

Rappelons « que tout juge national, en tant qu’il est chargé d’appliquer cette Convention, doit tenir compte des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sans attendre une éventuelle modification des textes » (Ass. Plein. 15 avril 2011, n° 10-30313, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000023908700&fastReqId=2027311116&fastPos=1 ; n°10-30316, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000023908701&fastReqId=73688715&fastPos=1 ; n°10-17049, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000023908698&fastReqId=982072356&fastPos=1 ; n°10-30242, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000023908699&fastReqId=137225587&fastPos=1 ; cass. crim. 8 juillet 2020, n°19-85954, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000042128033&fastReqId=1674052700&fastPos=1). 

Voir aussi fiche Stratégies de plaidoiries, exemple B de demande de contre-expertise : affaire traitée uniquement en enquête préliminaire ; l'expertise psychiatrique était obligatoire mais l'avocat n'y a eu accès qu'au moment du jugement ; d’où la demande devant le tribunal

Par ailleurs, les conséquences de la commission d’un expert par le tribunal correctionnel sont différentes selon le mode de poursuite de la personne. L’avocat doit, par conséquent, veiller à informer la personne qu’il existe des conséquences d’une telle demande sur sa liberté (voir chapitre 3 pour les procédures de comparution avec reconnaissance préalable de la culpabilité (CRPC), comparution immédiate et comparution à délai différé).

Lorsqu’une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel est rendue, les articles 434 et 463 du code de procédure pénale permettent à l’avocat de la personne poursuivie de formuler une demande d’expertise au tribunal saisi. Comme toute décision rendue par une juridiction pénale de premier ou second ressort, elle doit être motivée. 

Enfin, quand le tribunal correctionnel est saisi par une ordonnance de renvoi du Juge d’instruction, la demande de commission d’un expert devra être particulièrement justifiée au vu de la nécessité de procéder à une ultime expertise.

La requête en nullité du rapport d’expertise :

L’avocat de la personne poursuivie devant le tribunal correctionnel, lorsque celle-ci n’est pas renvoyée devant cette juridiction par l’ordonnance du Juge d’instruction, devra présenter sa requête en nullité avant toute défense au fond (Article 385 CPP).

La nullité de l’expertise doit être fondée sur l’atteinte portée aux intérêts de la personne poursuivie par la violation d’une formalité substantielle du code de procédure pénale (Article 802 CPP).

En application de l’article 77-1 du Code de procédure pénale « s'il y a lieu de procéder à des constatations ou à des examens techniques ou scientifiques, le procureur de la République ou, sur autorisation de celui-ci, l'officier ou l'agent de police judiciaire, a recours à toutes personnes qualifiées. ». Il s’agit de dispositions « édictées dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et que leur méconnaissance est constitutive d'une nullité à laquelle les dispositions de l'article 802 dudit Code sont étrangères » (Cass. crim., 14 oct. 2003, n° 03-84539, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007069832&fastReqId=1824868279&fastPos=1). Toutefois, « le procureur de la République qui ordonne l'expertise médicale prescrite par l'article 706-47-1, alinéa 3, du code de procédure pénale peut, dans les conditions de l'article 77-1 du même code, donner à un officier de police judiciaire l'instruction de requérir l'expert, cette autorisation du magistrat du ministère public n'étant soumise à aucune forme particulière ; qu'il ajoute que le prévenu avait la faculté de demander une contre-expertise devant les juridictions saisies de la poursuite » (Cass. crim. 17 mars 2014, n°13-87164, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029480621&fastReqId=100076142&fastPos=1).

Appel :

Le délai pour faire appel du jugement du tribunal correctionnel est de 10 jours. La déclaration d’appel doit être déposée au Greffe du tribunal qui a rendu le jugement.

4.3.6 - La procédure devant la Cour d’assises (ou la cour criminelle départementale)

Les cours criminelles ont été créées à titre expérimental pour éviter la correctionnalisation et l’engorgement des cours d’assises par la loi du 23 mars 2019 dans plusieurs départements. Elles sont composées de cinq magistrats, sans jury, et habilitées à juger les crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion criminelle. Les Cours d’assises continueront de juger les crimes punis de plus de vingt ans d’emprisonnement comme les meurtres et les assassinats et les crimes commis en récidive, ainsi que l’ensemble des crimes en appel. La procédure est la même devant les deux juridictions.

4.3.6.1 - La procédure

La Cour d’assises est saisie soit par le magistrat instructeur soit par la chambre de l’instruction.

Avant l'audience, le président procède à un interrogatoire formel de l'accusé dans les locaux de la Cour d’assises. Le président vérifie que l’accusé est bien assisté d'un avocat. L'accusé est également informé qu'il a droit à un interprète et qu’il a le droit de garder le silence.

Selon l’article 10 du Code de procédure pénale, lorsque l'état mental d’une personne citée ou renvoyée devant une juridiction de jugement rend durablement impossible sa comparution personnelle dans des conditions lui permettant d'exercer sa défense, l'affaire doit être renvoyée à une audience ultérieure et le prévenu ne peut être jugé qu'après avoir recouvré la capacité de se défendre.

L'audience devant la Cour d’assises est publique et contradictoire. Cependant, l'audience peut se dérouler à huis clos ou huis-clos partiel ou avec publicité restreinte :

  • si des victimes sont mineures ;
  • si, sur décision de la Cour, la publicité des débats est jugée dangereuse pour l'ordre public ou les mœurs ;
  • ou si une victime le demande et que le chef d'accusation porte sur un viol ou sur des actes de torture ou de barbarie accompagnés d'agressions sexuelles.

Le président peut également, à la demande de la victime et/ou de la partie civile, ordonner que l'audition ou la déposition de ces dernières fasse l'objet d'un enregistrement audiovisuel.

La personne accusée est obligatoirement assistée par un avocat. Le président présente les faits reprochés à l'accusé et les éléments à charge et à décharge le concernant.

Le président interroge ensuite l'accusé et procède à des auditions : les témoins, les experts puis les victimes. Les débats se terminent par les plaidoiries de l'avocat des victimes, si elles sont parties civiles, puis de l'avocat général et l'avocat de l'accusé. L’accusé a la parole en dernier.

Après la fin des débats, la Cour d’assises délibère. Le délibéré est secret et comporte deux phases :

  • la délibération sur la culpabilité,
  • la délibération sur la peine.

Lorsqu'est invoquée, comme moyen de défense, l'une des causes d'irresponsabilité pénale prévues par le Code pénal, la cour et le jury doivent être spécialement interrogés sur son existence (article 349-1 CPP).

La décision de la cour est prononcée en audience publique. La condamnation et la peine doivent être motivées.

Si l'accusé est acquitté, il est remis en liberté (sauf s’il est détenu pour une autre cause). S'il est condamné, le président l'informe qu'il peut interjeter appel de la décision et lui fait connaître le délai d'appel.

Comme devant le tribunal correctionnel, l'avocat de la personne pourra s'efforcer, s’appuyant sur des rapports d’expertise, de convaincre le Juge d'instruction, puis la cour et le jury, ou le collège de 5 magistrats dans les cours criminelles, selon ce qui apparaîtra le plus plausible et utile pour son client, que ce dernier a agi en état d’abolition du discernement ou d’altération du discernement. En cas de reconnaissance d’une abolition du discernement, la Cour peut ordonner des mesures de sûreté (voir chapitre 8). Le code pénal prévoit, dans le cas d’une reconnaissance par la Cour d’une altération du discernement, que le maximum de la peine encourue est diminué d’un tiers et que si, pour ce crime, la peine encourue est la réclusion criminelle ou la détention criminelle à perpétuité, la peine maximale encourue est de trente ans.

4.3.6.2 - La demande d’expertise

L’avocat peut solliciter une expertise avant la tenue de l’audience : en application de l’article 283 du CPP, le président, si l’instruction lui semble incomplète ou si des éléments nouveaux ont été révélés depuis la clôture, peut ordonner tous actes d’information qu’il estime utiles. 

L’avocat peut donc solliciter une expertise psychiatrique, particulièrement dans le cas où l’état de santé psychiatrique de son client est très compromis et où ce dernier n’est pas en état de comparaitre et de se défendre, même assisté d’un avocat. 

Il est donc essentiel pour l’avocat de produire, à l’appui de sa demande, des certificats médicaux. (voir en fin de kit le modèle de mémoire récapitulatif suggéré par l’UNAFAM)

L’avocat dépose des conclusions au greffe de la Cour d’Assises. 

Le président de la Cour d’assises dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour accueillir favorablement ou non cette demande. Si la requête est adressée au seul président, il n’est pas non plus tenu d’y répondre (Cass. Crim 15 novembre 2017 n°16-86913, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000036052094&fastReqId=1499375923&fastPos=1).

Si le président fait droit à cette demande, « Il y est procédé soit par le président, soit par un de ses assesseurs ou un juge d'instruction qu'il délègue à cette fin. Dans ce cas, les prescriptions du chapitre Ier du titre III du livre Ier doivent être observées, à l'exception de celles de l'article 167 » (Art. 283 CPP, alinéa 2). 

L’avocat peut solliciter une expertise pendant les débats et le président de la Cour peut ordonner d’office une expertise psychiatrique pendant les débats car, en application de l’article 310 du CPP, « Le président est investi d'un pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il peut, en son honneur et en sa conscience, prendre toutes mesures qu'il croit utiles pour découvrir la vérité. Il peut, s'il l'estime opportun, saisir la Cour qui statue dans les conditions prévues à l'article 316. ». 

Il est conseillé à l’avocat qui souhaite formuler une demande d’expertise psychiatrique, de le faire par conclusions écrites. La Cour d’assises est en effet tenue de statuer sur les conclusions écrites déposées par les parties (Article 315 CPP).

Le président dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour accueillir favorablement ou non la demande faite par l’avocat de la défense. En cas de refus, il convient de déposer des conclusions adressées à la Cour. 

La décision est prise par la cour seule et doit donc être cassée, dès qu'a été rendu par la cour et le jury réunis, l'arrêt incident rejetant avant clôture des débats la demande tendant à un nouvel examen mental de l'accusé (Cass. crim., 19 oct. 1949 : JCP G 1949, II, 5201, note J. Brouchot ; S. 1950, 1, p. 141, note L. Hugueney).

Doit être annulé l'arrêt par lequel la cour rejette les conclusions tendant à un examen mental de l'accusé par des motifs qui préjugent la question de responsabilité dont l'appréciation appartient à la cour et au jury (Cass. crim., 14 mai 1947 : Bull. crim. 1947, n° 130).

Le refus d’expertise psychiatrique ou d’expertise supplémentaire ne peut être admis qu'autant que l'arrêt ne présente pas de contradiction interne entre les constatations de fait et le refus d'expertise (Cass. crim., 21 janv. 1992 : JurisData n° 1992-002353, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007502946&fastReqId=437483905&fastPos=1).

Si le président a ordonné d’office une expertise et si aucun incident contentieux ni conclusions saisissant la Cour n’ont été déposés par l’avocat de la défense, la mesure ordonnée « n’est dès lors pas soumise aux prescriptions des articles 156 et suivants du Code de procédure pénale » (Cass. Crim 30 novembre 1988 n°87-84330, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007063415&fastReqId=76855507&fastPos=1).

N’est pas considéré comme tel un supplément d’information consistant en « l’examen médical de l’accusé à effet de dire si son état de santé est compatible avec la détention » (Cass. crim. 15 février 1956, Bull. crim. n°45), pas plus qu’en « un examen médical visant à déterminer si l’état de santé de l’accusé lui permet de subir l’interrogatoire et de comparaitre ultérieurement devant la cour d’Assises » (Cass. crim. 10 avr. 1962, Bull. crim. n°176). 

4.3.7 - Les mesures de sûreté suite à la déclaration d’irresponsabilité pénale

Lorsque la chambre de l'instruction ou une juridiction de jugement prononce une déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner à l'encontre de la personne concernée, outre l’hospitalisation en soins sans consentement (article 706-135 CPP), les mesures suivantes (article 706-136) :

1° Interdiction d'entrer en relation avec la victime de l'infraction ou certaines personnes ou catégories de personnes, et notamment les mineurs, spécialement désignées ;

2° Interdiction de paraître dans tout lieu spécialement désigné ;

3° Interdiction de détenir ou de porter une arme ;

4° Interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole spécialement désignée, dans l'exercice de laquelle ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs, sans faire préalablement l'objet d'un examen psychiatrique déclarant la personne apte à exercer cette activité ;

5° Suspension du permis de conduire ;

6° Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis.

Ces interdictions ne peuvent être prononcées qu'après une expertise psychiatrique.

Elles s'exécutent pendant une durée fixée par la juridiction dans un maximum de dix ans si la poursuite était exercée pour délit et de vingt ans si les faits commis étaient criminels. En cas d'hospitalisation complète, les mesures s'appliquent immédiatement mais les délais recommencent à courir après la sortie.

La méconnaissance de ces interdictions par la personne qui en a fait l'objet est punie de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. Si toutefois son état de maladie n'avait pas cessé, elle pourrait, dans cette poursuite, comme dans la poursuite principale, être déclarée irresponsable de la violation de l'interdiction qui lui avait été imposée.

La personne qui fait l'objet d'une ou plusieurs de ces mesures de sûreté peut demander au juge des libertés et de la détention du lieu de la situation de l'établissement hospitalier ou de son domicile d'ordonner sa modification ou sa levée qui ne peut être décidée qu'au vu du résultat d'une expertise psychiatrique. Le juge statue en chambre du conseil sur les conclusions du ministère public, le demandeur ou son avocat entendus ou dûment convoqués. Il peut solliciter l'avis préalable de la victime. En cas de rejet de la demande, aucune demande ne peut être déposée avant l'expiration d'un délai de six mois.  

4.3.8 - Les dommages-intérêts en complément d’une décision pénale

L'audience correctionnelle ou criminelle achevée, une audience civile peut suivre. Si l'accusé a été reconnu coupable, les juges statuent sur les dommages et intérêts réclamés par la victime, sans participation des jurés.

Si la personne a été acquittée, ses demandes d'indemnisation pour détention injustifiée seront examinées ultérieurement par d'autres instances. Il en va de même pour les demandes d'indemnisation présentées par la victime. 

L'article 414-3 du Code civil déclare que « celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'empire d'un trouble mental, n'en est pas moins obligé à réparation ». C'est devant la juridiction civile que la responsabilité civile du malade mental doit être mise en cause (CA Limoges, 25 janv. 1991 : JurisData n° 1991-040017 ; CA Aix-en-Provence, 12 mai 1995 : JurisData n° 1995-047856). Quelques cours d'appel statuent cependant en sens contraire et se prononcent sur les conséquences civiles des faits poursuivis (CA Paris, 15 nov. 1995 : JurisData n° 1995-023913 ; CA Paris, 9 nov. 2004 : JurisData n° 2004-272649 ; CA Orléans, 10 janv. 2005 : JurisData n° 2005-273299). Un arrêt de la cour d'appel de Paris est même allé plus loin en jugeant que la relaxe lui imposait de rejeter la demande d'indemnisation (CA Paris, 12 déc. 2004 : JurisData n° 2004-271289).

Selon l’article 10 du Code de procédure pénale, lorsque l'état mental d’une personne citée ou renvoyée devant une juridiction de jugement rend durablement impossible sa comparution personnelle dans des conditions lui permettant d'exercer sa défense et que la prescription de l'action publique se trouve ainsi suspendue, le président de la juridiction peut, d'office ou à la demande du ministère public ou des parties, décider, après avoir ordonné une expertise permettant de constater cette impossibilité, qu'il sera tenu une audience publique pour statuer uniquement sur l'action civile. La personne doit alors être représentée à cette audience par un avocat.

4.4 - Des solutions permettent d’éviter l’incarcération

Cette section a largement été écrite par l’association Avocats pour la Défense des Droits des Détenus (A3D) et à partir de l’intervention de Mme Virginie Peltier, professeur en droit privé et sciences criminelles à l’université de Bordeaux (https://www.youtube.com/watch?time_continue=1&v=-BEknKVwaFE&feature=emb_logo) Elle vise à fournir le maximum d’information sur une matière complexe pour laquelle les réformes législatives s’empilent à rythme rapide.

4.4.1 - Introduction : le sens de la peine

Objectifs et individualisation des peines :

L’objectif de la peine est fixé à l’article 130-1 du Code pénal qui dispose :

« Afin d'assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions :

1° De sanctionner l'auteur de l'infraction ;

2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. »

La peine poursuit trois objectifs : la protection de la société, la prévention de la commission de nouvelles infractions et la restauration de l’équilibre social tout en respectant les intérêts de la victime. Elle a pour fonctions de sanctionner l’auteur de l’infraction mais aussi de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion.

Le principe d’individualisation des peines est fixé à tant par l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen que par l’article 132-1 du code pénal

« Toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée. »

Les études sont formelles : les courtes peines favorisent la récidive.

Une étude du Sénat de 2007  https://www.senat.fr/rap/l06-358/l06-3581.html#toc25   soulignait que les courtes peines sans aménagement provoquent un fort taux de récidive dans la première année après la sortie de détention.

L’étude de Camille Allaria et Mohamed Boucekine[1] montre que la population des justiciables qui cumule le double critère d’être sans logement et en grande difficulté psychique est largement plus incarcérée à l’issue des audiences en comparution immédiate que les individus qui ne cumulent pas ces deux critères. Cette population est également incarcérée pour de courtes durées : parmi les personnes incarcérées répondant aux critères étudiés, près de 4 individus sur 10 ont des peines inférieures à 6 mois. : http://journals.openedition.org/champpenal/11327.

Les personnes sans logement et en grande difficulté psychique commettent en effet des délits très souvent liés à leur mode de vie et à leur trouble psychique. En l’absence de conditions de soins et de soutien social, il leur est très difficile d’évoluer. Les séjours à la rue, a fortiori après des séjours en prison qui ont interrompu le travail de suivi social et médical (non-observance des traitements, effet rebond dû à l’arrêt brutal des traitements neuroleptiques, absorption et mélange de substances psychoactives), favorisent la décompensation des personnes en grande difficulté psychique et la réitération d’actes délinquants : la survie dans la rue implique des actes déviants ( comme le fait d’uriner dans la rue à proximité d’une école, d’un jardin public, d’une plage ou de casser un carreau pour dormir dans une voiture) qui, s’ils sont repérés et étiquetés comme tels, sont souvent qualifiés de délits par les autorités judiciaires. Elles sont alors condamnées à de courtes peines.

Or, une étude du Sénat de 2010[2] démontre que les courtes peines de prison entrainent des ruptures dans le suivi médico-social des individus, ruptures qui peuvent s’avérer déterminantes. Sur le plan médical, « la perte de contact avec la réalité [privation de liberté, de l’environnement familial, de sexualité, etc.] est en effet un élément central de tout trouble psychiatrique. Or, la vie carcérale est un facteur majeur de déréalisation ». Se vérifie alors ce que les Anglo-saxons appellent l’effet « revolving door » (porte tambour) : à peine sorties de prison, ces personnes commettent un nouveau petit délit à nouveau sanctionné par une courte peine, etc., etc.


[1] Camille Allaria et Mohamed Boucekine, « L’incarcération des personnes sans logement et en grande difficulté psychique dans les procédures de comparution immédiate », Champ pénal/Penal field [En ligne], 18 | 2019, mis en ligne le 05 décembre 2019, consulté le 19 janvier 2020. URL : http://journals.openedition.org/champpenal/11327 ; DOI : 10.4000/champpenal.11327

[2] Barbier G., Demontes C., Lecerf J.-R., Michel J.-P., 2010, Rapport d’information sur les personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions, Sénat, n° 434, session ordinaire de 2009-2010.

4.4.2 - Eviter la détention avant jugement

Le rôle du Juge des Libertés et de la Détention (JLD) 

Le JLD contrôle la légalité de la privation de liberté dans les lieux dans lesquels il intervient : en détention provisoire, en rétention ou sous soins sans consentement.  Il statue par ordonnance motivée à la suite d’une procédure contradictoire.

Il décide de la détention provisoire (durées maximales : 4 mois en procédure correctionnelle et 1 an en procédure criminelle, renouvelables dans certaines conditions), qui est en principe une mesure d’exception : elle répond aux besoins de l’instruction ou à des mesures de sûreté.

Le JLD prend des ordonnances de mandat de dépôt, puis de renouvellement ou non renouvellement du mandat de dépôt. Il instruit aussi les demandes de mise en liberté et peut prolonger des gardes à vue.

Des mesures alternatives peuvent être décidées par le JLD ou le juge d’instruction :

Des mesures alternatives peuvent être décidées par le JLD ou le juge d’instruction :

  • Le contrôle judiciaire : la personne est soumise à des interdictions et /ou obligations telles que le dépôt d’une caution financière, le pointage dans un commissariat, un suivi socio-éducatif ou médical, une interdiction de fréquenter certains lieux, certaines personnes… (article 138 du Code de Procédure Pénale),
  • L’assignation à résidence avec placement sous surveillance électronique (ARSE) : l’intéressé est assigné à résidence avec des conditions de sortie et d’éventuelles obligations (Art. 142-5 CPP).

La demande d’expertise de la personne placée en détention provisoire 

En application de l’article 147-1 du code de procédure pénale, la personne placée en détention provisoire peut solliciter la désignation d’un expert afin d’évaluer la compatibilité de son état de santé psychique avec son maintien en détention.

En cas d'urgence, la mise en liberté peut être ordonnée au vu d'un certificat médical établi par le médecin responsable de la structure sanitaire dans laquelle cette personne est prise en charge ou par le remplaçant de ce médecin. Dans les autres cas, un expert sera désigné.

Cette demande peut être faite en matière délictuelle et criminelle à tous les stades de la procédure. Elle est expressément exclue lorsqu’il existe « un risque grave de renouvellement de l’infraction ».

La mise en liberté peut être assortie d’un placement sous contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence avec surveillance électronique.

La demande, dument complétée par des pièces médicales, doit être adressée au magistrat instructeur selon la procédure classique de demande d’acte (Article 81 du CPP).

L'évolution de l'état de santé de la personne peut constituer un élément nouveau permettant qu'elle fasse l'objet d'une nouvelle décision de placement en détention provisoire, selon les modalités prévues au présent code, dès lors que les conditions de cette mesure prévues à l'article 144 sont réunies.

4.4.3 - Eviter l’incarcération au moment du jugement : les peines alternatives

La loi prévoit que l’emprisonnement doit être considéré comme une sanction ou mesure de dernier recours. Ainsi le juge correctionnel doit motiver spécialement chaque décision d’incarcération pour expliquer son caractère « indispensable » (article 132-19 du Code Pénal). La motivation se fait au regard de 3 critères cumulatifs : les faits de l’espèce, la personnalité de l’auteur et sa situation matérielle, familiale et sociale. La motivation doit être concrète et est contrôlée par la Cour de Cassation.

Des paliers sont définis (article 464-2 du Code de Procédure Pénale). Pour une peine d’une durée inférieure ou égale à un an, le juge doit aménager la peine, ou motiver spécialement l’incarcération. Pour une peine d’une durée supérieure à un an, aucun aménagement n’est possible mais le juge doit également motiver spécialement sa décision de prononcer une peine d’incarcération supérieure à un an.

Le juge peut également décider de peines alternatives exécutées en dehors de la prison, dites pour cela « de milieu ouvert », par opposition à l’exécution de la peine en établissement pénitentiaire dite en « milieu fermé ».

L’ensemble des mécanismes décrit présente l'immense avantage de permettre à une personne malade de poursuivre un traitement dans des conditions normales. Certaines des obligations assignées aux condamnés par les jugements dans ce cadre incluent en effet des obligations de suivre des soins.

Le juge correctionnel peut prononcer, à la place d’une peine de prison, différentes peines : l’amende, le jour-amende, les peines privatives ou restrictives de droits, la peine de stage et la sanction-réparation (article 131-3 CP) :

A. Le jour-amende (article 131-5 CP) :

« Lorsqu'un délit est puni d'une peine d'emprisonnement, la juridiction peut prononcer une peine de jours-amende consistant pour le condamné à verser au Trésor une somme dont le montant global résulte de la fixation par le juge d'une contribution quotidienne pendant un certain nombre de jours. Le montant de chaque jour-amende est déterminé en tenant compte des ressources et des charges du prévenu ; il ne peut excéder 1 000 euros. Le nombre de jours-amende est déterminé en tenant compte des circonstances de l'infraction ; il ne peut excéder trois cent soixante. »

B. La peine de stage (article 131-5-1 CP) :

« Lorsqu'un délit est puni d'une peine d'emprisonnement, la juridiction peut, à la place de l'emprisonnement, prescrire que le condamné devra accomplir un stage de citoyenneté, tendant à l'apprentissage des valeurs de la République et des devoirs du citoyen. Les modalités et le contenu de ce stage sont fixés par décret en Conseil d'Etat. La juridiction précise si ce stage, dont le coût ne peut excéder celui des amendes contraventionnelles de la 3e classe, doit être effectué aux frais du condamné.

Cette peine ne peut être prononcée contre le prévenu qui la refuse ou n'est pas présent à l'audience. Toutefois, cette peine peut être prononcée lorsque le prévenu, absent à l'audience, a fait connaître par écrit son accord et qu'il est représenté par son avocat. »

La liste des stages comprend le stage de citoyenneté, le stage de sensibilisation à la sécurité routière, ou encore le stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants.

C. Les peines restrictives de liberté (article 131-6 CP) :

a. Suspension de permis, annulation, confiscation, etc.

b. Le travail d'intérêt général (TIG) (article 131-8 CP) :

La personne condamnée évite l'incarcération si elle accepte de travailler pendant une durée définie dans le cadre d'un organisme chargé d'une mission d'intérêt général. Sa durée est comprise entre 20 et 400 heures. Il est applicable aux mineurs de 16 à 18 ans s’ils étaient âgés de 13 ans au moment des faits.

Le TIG peut être prononcé même si le prévenu n’est pas présent à l’audience et même s’il n’a pas fait connaître son consentement. En ce cas, le juge de l’application des peines est chargé de recueillir son consentement par la suite. La Cour de Cassation a également estimé que « le demandeur ne saurait se faire un grief d’un défaut de motivation de la peine de travail d’intérêt général au regard de sa situation personnelle, dès lors que le prononcé d’une telle peine étant subordonné à l’accord préalable de l’intéressé, il implique nécessairement la prise en compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de la situation personnelle de celui-ci » (Cass. Crim., 16 avril 2019, n°18-83434, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000038440297&fastReqId=1707652234&fastPos=1). Il semble donc que le consentement du prévenu dispenserait de l’obligation de motivation.

Le TIG peut également être prononcé dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire, d’une surveillance judiciaire ou un aménagement de peine (article 132-45 du Code Pénal).

c. La sanction-réparation (article 131-8-1 CP) :

« La sanction-réparation consiste dans l'obligation pour le condamné de procéder, dans le délai et selon les modalités fixées par la juridiction, à l'indemnisation du préjudice de la victime.

Avec l'accord de la victime et du prévenu, la réparation peut être exécutée en nature. Elle peut alors consister dans la remise en état d'un bien endommagé à l'occasion de la commission de l'infraction ; cette remise en état est réalisée par le condamné lui-même ou par un professionnel qu'il choisit et dont il rémunère l'intervention. »

Une peine est prévue en cas de non- respect de la mesure : jusqu’à 6 mois d’emprisonnement et 15 000 € d’amende.

4.4.4 - L’exécution de la peine d’emprisonnement hors les murs de la prison

Le prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme n’implique pas automatiquement l’incarcération.

En effet, plusieurs mécanismes, soit au moment du prononcé de la peine soit en aménagement de peine, permettent d’éviter l’incarcération. En effet, outre les mécanismes développés dans cette partie, le juge correctionnel peut prononcer une peine de prison tout en prononçant son aménagement ab initio (voir paragraphe 3.b). Pour une peine d’une durée inférieure ou égale à un an, le juge doit aménager la peine, ou motiver spécialement l’incarcération (article 464-2 CPP). S’il prononce l’aménagement, il peut décider du type d’aménagement ou renvoyer au juge d’application des peines le soin de définir celui le plus en adéquation avec la personnalité du condamné.

La détention à domicile sous surveillance électronique permet de ne pas être incarcéré et d’effectuer sa peine à domicile.  La personne porte un bracelet à la cheville et doit respecter des horaires fixés par le magistrat pendant lesquels elle doit demeurer dans un périmètre spécifié. A d’autres heures, elle peut être autorisée à sortir du domicile pour travailler, recevoir des soins, suivre une formation, participer à la vie familiale, etc. Si la personne ne respecte pas les horaires où elle doit rester au domicile, le juge peut décider de révoquer la mesure et de l’incarcérer.

La DDSE peut êtreprononcée en tant que peine ou en tant qu’aménagement de peine. Sa durée ne peut dépasser 6 mois. Elle est applicable aux mineurs de plus de 13 ans.

Le sursis simple dispense le condamné d’exécuter tout ou partie de la peine prononcée. Le sursis simple peut être total ou partiel.

Il ne peut être appliqué que pour les peines prononcées au maximal de 5 ans. Le condamné peut en bénéficier si, dans les cinq ans qui ont précédé les faits, il n’a pas été condamné à une peine privative de liberté pour crime ou délit de droit commun. Les sursis déjà prononcés alors que la personne était mineure sont, sauf exception, purgés du casier judiciaire aux 18 ans de l’intéressé.

Le sursis simple peut être révoqué si, dans le délai d’épreuve, la personne condamnée commet un crime ou un délit pour lequel une nouvelle condamnation est prononcée ; cette révocation n’est pas de droit et doit être motivée. Le tribunal qui révoque le sursis peut décider de mettre à exécution tout ou partie de la peine avec sursis. Si le sursis initial était un sursis partiel, la révocation du sursis ne peut être prononcée qu'une seule fois. La peine avec sursis ne peut pas être révoquée à plusieurs reprises.

Depuis le 24 mars 2020, les anciennes peines de sursis avec mise à l'épreuve (SME), de sursis assorti d'un travail d'intérêt général (STIG) et de contrainte pénale sont regroupées au sein du sursis probatoire.

Le sursis probatoire suspend l'exécution d'une peine d'emprisonnement, à condition que le condamné respecte les obligations et interdictions qui lui sont fixées par le tribunal. Il peut être total, c'est-à-dire que toute la peine de prison est suspendue et ne sera pas mise à exécution si le condamné respecte les obligations et interdictions fixées par le tribunal. Il peut aussi être partiel, c'est-à-dire qu'une partie de la peine est suspendue et qu'une autre partie, qui est de la prison ferme, doit être exécutée.

Le sursis probatoire peut être appliqué aux peines suivantes :

  • peines de prison de 5 ans maximum
  • peines de prison de 10 ans maximum en cas de récidive.

Le sursis probatoire total ne peut pas être prononcé si le condamné est en état de récidive et que :

  • il a déjà été condamné 2 fois à des sursis probatoires pour des délits identiques ou assimilés
  • ou qu'il a déjà été condamné 1 fois à un sursis probatoire pour des délits identiques ou assimilés à l'infraction qui est jugée et que cette nouvelle infraction est grave (crime, violences volontaires, agression sexuelle, atteinte sexuelle), ou a été commise avec la circonstance aggravante de violence.

Le sursis probatoire ne peut pas non plus être prononcé si une peine de travail d'intérêt général (TIG) et/ou un suivi socio-judiciaire a été prononcé par le tribunal.

Les obligations de la personne condamnée sont fixées directement par le tribunal qui prononce la condamnation. Le juge de l'application des peines (JAP) contrôle le respect de ces obligations. Certaines mesures sont obligatoires et tous les condamnés doivent les respecter (article 132-44 du Code pénal). Selon sa situation et l'infraction qu'il a commise, le condamné peut être en plus soumis à plusieurs autres mesures choisies par le tribunal ou le JAP durant le délai d'épreuve (article 132-45 du Code pénal), comme par exemple celle de se soigner. La personne est alors contrainte de suivre les soins décidés par un psychiatre référent, une rupture de soins pouvant entraîner une incarcération. Cette obligation de soins peut également être décidée par le juge de l'application des peines. Cette condamnation est souvent prononcée quand les personnes ont des conduites addictives (alcool, drogues illicites, etc.) ou souffrent de troubles psychiques.

Le sursis probatoire peut être accompagné d’un suivi renforcé (article 132-41-1 du Code Pénal) quand les faits de l’espèce, la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale du condamné le justifient. Si la juridiction de jugement a assez d’éléments, elle peut définir les obligations et interdictions imposées, ou à défaut laisser le JAP les définir. Si la juridiction n’a pas décidé du suivi lors du prononcé du sursis, le JAP peut décider de le mettre en place à tout moment. Le suivi doit faire l’objet d’une évaluation au minimum une fois par an.

Le condamné doit respecter l’ensemble de ces obligations pendant une durée appelée délai probatoire. La durée du délai probatoire est fixée par le tribunal. Si le condamné n'est pas en récidive, le délai probatoire est compris entre 1 et 3 ans. Si le condamné est en récidive, le délai probatoire est compris entre 1 et 5 ans. En cas de double récidive, le délai probatoire peut aller de 1 à 7 ans.

Le délai probatoire est suspendu pendant toute incarcération (assignation à résidence sous bracelet électronique, détention provisoire, et emprisonnement en prison ou aménagé en DDSE, en semi-liberté ou en placement à l'extérieur).

Si le condamné a respecté toutes les obligations qui lui étaient imposées pendant la durée du délai probatoire, la peine ne sera pas mise à exécution. Elle sera effacée du bulletin n°2 du casier judiciaire, mais restera sur le bulletin n°1.

Si le sursis probatoire n'est pas respecté, le sursis probatoire peut être révoqué. Cela veut dire que la personne effectue tout ou partie de la peine prononcée initialement. Le sursis probatoire peut être révoqué en partie ou entièrement.

D. L’ajournement de peine (article 132-60 CP) :

L’ajournement de peine est prononcé lorsque le condamné est en voie d’être reclassé. Si à l’issue du délai fixé par la juridiction, les conditions de la dispense de peine sont remplies, elle est prononcée.

E. Le fractionnement de peine (article 132-27 CP) :

Le fractionnement de peine est prononcé pour motif d'ordre médical, familial, professionnel ou social, lorsque la peine prononcée est inférieure ou égale à 2 ans si la personne est primaire ou un an si elle est récidiviste. Le fractionnement ne peut excéder 4 ans et ne peut être inférieur à des périodes de 2 jours.

4.4.5 - Le suivi socio-judiciaire (SSJ)

Le suivi socio-judiciaire concerne tant la matière correctionnelle que criminelle. Il ne peut toutefois être une peine principale qu'en matière correctionnelle (Art. 131-36-7 CP). En tant que peine complémentaire, il accompagne une peine privative de liberté sans sursis (Art. 131-36-5 CP). Le suivi socio-judiciaire peut s'appliquer à une personne libre comme à une personne qui est déjà incarcérée.

Le suivi socio-judiciaire est applicable aux mineurs. Cependant, par exception, le mineur ne peut faire l'objet d'un suivi socio-judiciaire assorti d'un placement sous surveillance électronique mobile.

A. Infractions encourant le suivi socio-judiciaire

L'article 131-36-1, alinéa 1er, du code pénal dispose que la juridiction de jugement peut prononcer un suivi socio-judiciaire « dans les cas prévus par la loi », c’est-à-dire en cas d’une des infractions suivantes :

  • meurtre ou assassinat précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie (Art. 221-9-1 CP) ;
  • infractions visées aux articles 222-23 à 222-32, soit viol simple ou aggravé, agression sexuelle simple ou aggravée et exhibition sexuelle (art. 222-48-1) ;
  • infractions visées aux articles 227-22 à 227-27, soit corruption de mineurs, diffusion, fabrication, etc. d'images pornographiques contenant l'image d'un mineur, diffusion, fabrication transport de messages pornographiques ou violents ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, atteinte sexuelle sans violence ni contrainte sur un mineur de 15 ans simple ou aggravée (art. 227-31) ;
  • « atteintes volontaires à la vie » du chapitre relatif aux atteintes à la vie de la personne (Art. 221-9-1) ;
  • infractions prévues par la section « De l'enlèvement et de la séquestration » (art. 224-10) ; disparitions forcées (Art. 221-15) ;
  • infractions de la section « de la réduction en esclavage et de l'exploitation de personnes réduites en esclavage » (Art. 224-10) ;
  • infractions prévues aux articles 322-6 à 322-11, soit les destructions et dégradations dangereuses pour les personnes (art. 322-18) ;
  • infractions de violences aggravées visées aux articles 222-10, 222-12, 222-13 et 222-14, soit respectivement violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité (art. 222-10), une incapacité totale de travail durant plus de huit jours (art. 222-12), ou, sans incapacité, que ce soit à titre occasionnel (art. 222-13) ou habituel (art. 222-14) ;
  • menaces commises par le conjoint de la victime ou le partenaire lié à la victime par un PACS ou par son ancien conjoint, son ancien concubin ou l'ancien partenaire lié à celle-ci par un PACS (art. 222-48-1) ;
  • lorsqu'un assassinat a été commis sur un magistrat, un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l'administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l'autorité publique, à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions ainsi que le meurtre en bande organisée contre ces praticiens (art. 221-3  et 221-4) ou encore en matière de terrorisme (art. 421-7).

Le suivi socio-judiciaire est obligatoire, lorsqu'il s'agit d'infractions et violences des articles 222-8, 222-10, 222-12,222-13 et 222-14 lorsqu'elles sont commises sur un mineur de quinze ans par un ascendant légitime, naturel ou adoptif et constituent des violences habituelles (art. 222-48-1, al. 3), sauf exceptions précisées dans la loi.

B. Obligation dans le cadre du suivi socio-judiciaire :

Le SSJ emporte, pour le condamné, l'obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines et pendant une durée déterminée par la juridiction de jugement, à des mesures de surveillance et d'assistance destinées à prévenir la récidive.

La durée du suivi socio-judiciaire ne peut excéder dix ans en cas de condamnation pour délit ou vingt ans en cas de condamnation pour crime. Toutefois, en matière correctionnelle, cette durée peut être portée à vingt ans par décision spécialement motivée de la juridiction de jugement ; lorsqu'il s'agit d'un crime puni de trente ans de réclusion criminelle, cette durée est de trente ans ; lorsqu'il s'agit d'un crime puni de la réclusion criminelle à perpétuité, la cour d'assises peut décider que le suivi socio-judiciaire s'appliquera sans limitation de durée, sous réserve de la possibilité pour le tribunal de l'application des peines de mettre fin à la mesure à l'issue d'un délai de trente ans, selon les modalités prévues par l'article 712-7 du code de procédure pénale.

Selon l'article 131-36-4 du code pénal, le SSJ est (sauf décision contraire de la juridiction) assorti d'une injonction de soins. Cependant, celle-ci ne peut être prononcée que « s'il est établi » que l'intéressé « est susceptible de faire l'objet d'un traitement », ce qui est déterminé par une expertise médicale. L’injonction de soins a un caractère obligatoire pour le condamné. À défaut de soumission aux soins, est applicable la mise à exécution d'une peine prédéterminée par la juridiction répressive.

4.4.6 - Éviter l’exécution de l’incarcération après la condamnation

Une fois la condamnation prononcée par la juridiction de jugement, le juge d’application des peines (JAP) devient seul compétent concernant l’exécution de la peine. Il est ainsi compétent pour prendre l’ensemble des décisions développées dans cette partie.

4.4.7 - Principaux critères de décision du Juge d’Application des Peines (JAP)

Cette synthèse a été en partie réalisée à partir du témoignage de plusieurs Juges d’Application des Peines.

Le Juge d’Application des Peines est le magistrat référent lorsque la condamnation privative ou restrictive de liberté devient définitive. Il est compétent pour octroyer, contrôler et sanctionner les mesures d’aménagement de peine prononcées sur la base d’un rapport du Conseiller Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (CPIP) ou sur réquisition du procureur  de la République (Art 712-4 CPP).

Les décisions d’aménagements de peines du JAP se font en débat contradictoire avec la personne concernée.

Décision du Conseil Constitutionnel n°2020-884 QPC du 12 février 2021 M. Jacques G.

"Lorsque le condamné est un majeur protégé, ni les dispositions contestées, ni aucune autre disposition législative n'imposent au juge de l'application des peines d'informer son tuteur ou son curateur afin qu'il puisse l'assister en vue de l'audience. Or, en l'absence d'une telle assistance, l'intéressé peut être dans l'incapacité d'exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d'exprimer sa volonté en raison de l'altération de ses facultés mentales ou corporelles, et ainsi opérer des choix contraires à ses intérêts. Faute de prévoir en principe une telle information, ces dispositions méconnaissent les droits de la défense. Censure."

Le JAP tenu par la demande d’aménagement de peine faite par le condamné. Toutefois, jusqu’au jour du débat contradictoire et y compris pendant le débat, l’intéressé peut solliciter une autre mesure d’aménagement de peine que celle sollicitée au départ. Le JAP ou la Chambre d’Application des Peines n’est pas tenu d’examiner cette demande.

Le JAP doit prendre en considération les intérêts de la victime ou de la partie civile au regard des conséquences éventuelles de ses décisions.

Les décisions du JAP sont susceptibles d’appel devant la Chambre de l’Application des Peines (CHAP) dans un délai de 10 jours.

Le JAP est assisté dans ses missions par les CPIP. Les entretiens individuels que ceux-ci ont avec les personnes sous main de justice leur permettent d’évoquer avec elles les modalités du déroulement de la peine prononcée et d’envisager, en accord avec elle, les éventuels aménagements de peine pouvant être proposés au juge. Une fois l’aménagement décidé (il en va de même pour une peine alternative prononcée dès le jugement), le CPIP veille au respect des obligations et interdictions définies par les magistrats.

Le JAP  peut procéder ou faire procéder sur l’ensemble du territoire national à tous examens, auditions, enquêtes, expertises, réquisitions permettant de rendre une décision d’individualisation de la peine ou de s’assurer qu’un condamné respecte les obligations qui lui incombent (Art.712-16 CPP).

Afin d’apprécier la demande d’aménagement de peine, le JAP prend en considération les éléments factuels que sont la nature, la gravité et la durée des faits, le lieu de commission par référence (lieu de résidence de la victime) et la date de la commission des faits.

Il prend également en compte de nombreux éléments de personnalité du condamné :

A. La situation professionnelle :

L’aménagement de peine n’est pas conditionné à l’emploi. Il peut notamment être prononcé en cas de recherche d’emploi ou de l’existence d’efforts sérieux de réadaptation, c’est-à-dire d’une implication dans un projet d’insertion et de probation, laquelle doit être prouvée par les pièces apportées à l’audience et par le rapport du CPIP. L’aménagement choisi peut être influencé par l’activité exercée (planning variable, non-réintégration quotidienne du domicile…).

B. L’hébergement :

En cas d’hébergement précaire ou instable, le JAP choisira plutôt le placement extérieur ou la semi-liberté plutôt que la DDSE.

Afin de maximiser les chances d’obtenir un aménagement de peine, il est donc primordial d’avoir un hébergement ou au logement adapté aux besoins de la personne (structure d’hébergement, structure médico-sociale, etc.). Il convient de se rapprocher du SPIP en vue d’engager les démarches. Toute demande d’hébergement ou de logement adapté doit être adressée au Service Intégré d’Accueil et d’Orientation[1] (SIAO), présent dans chaque département. Si la personne détenue présente un handicap justifiant une prise en charge dans une structure médico-sociale, une demande devra être déposée auprès de la MDPH en vue d’une décision d’orientation vers l’établissement adapté à sa situation (foyer d’accueil médicalisé, maison d’accueil spécialisé, etc.). Des associations gestionnaires de structures d’hébergement ou de structures médico-sociales sont susceptibles d’accueillir les personnes atteintes de troubles psychiques, notamment les membres de la Fédération des acteurs de la solidarité[2] (anciennement FNARS), de la Fédération Santé Habitat[3] (gestionnaire d'Appartements de Coordination Thérapeutique), du réseau des Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS)[4] et l'Association l'Îlot[5]. Enfin, il est possible de recourir à des dispositifs spécifiques. A titre d’exemple, le programme « Un chez soi d'abord »[6] présent dans de nombreuses villes en France, destiné à des malades psychiques sans solution d’hébergement, dont des sortants de prison, repose sur un accès direct au logement avec un fort accompagnement social et médical.

Le site de l’UNAFAM propose un répertoire des structures sociales et médico-sociales pouvant accueillir des personnes malades psychiques : http://www.unafam.org/-Les-structures-specialisees-.html

Certaines de ces structures sont conçues exclusivement pour les personnes handicapées psychiques, d’autres ne sont pas exclusivement consacrées au handicap psychique mais les accueillent en nombre significatif et dans des conditions adaptées. L’UNAFAM est organisée en délégations départementales présentes sur l’ensemble du territoire national, en lien avec les directions départementales des Agences Régionales de Santé et les Maisons Départementales du Handicap, auprès desquelles peuvent être demandées des informations fines sur les structures sanitaires et médico-sociales locales propres à la psychiatrie.

C. La situation pénale et le parcours pénal

Le JAP apprécie la volonté de changement, afin de vérifier l’adhésion du condamné au projet d’aménagement. Il s’appuie pour cela sur l’enquête du SPIP ainsi que sur l’entretien avec l’intéressé. Il s’intéresse aux antécédents judiciaires du condamné, afin de savoir si l’infraction pour laquelle il a été condamnée est isolée ou non. Si de précédentes mesures d’aménagement ont été prises, le JAP regarde si elles ont échoué, s’il y a eu des retraits de mesures ou des révocations de sursis et les dates de ces retraits et révocations.

D'autres éléments peuvent être pris en compte :

la situation familiale, les moyens de locomotion disponibles (possession du permis de conduire…), la situation financière (ressources et charges)...


[1] circulaire interministérielle du 13 mai 2016 relative à la coordination entre les SIAO et les SPIP pour l’accès à l’hébergement et au logement des personnes sortant de détention ou faisant l’objet d’une mesure de placement à l’extérieur

[2] http://www.federationsolidarite.org/

[3] http://www.sante-habitat.org/

[4]http://annuaire.action-sociale.org/etablissements/readaptation-sociale/centre-hebergement---reinsertion-sociale--c-h- r-s---214.html

[5] https://ilot.asso.fr/

[6] https://www.youtube.com/watch?v=l_rFTfvxgc0

5 - Les droits de la personne incarcérée

Ce chapitre a été écrit avec l’aide des associations Avocats pour la Défense des Droits des Détenus (A3D) et Prison Insider. Il apporte un éclairage sur une forme de droit en pleine évolution combinant droit administratif et droit des droits de l’Homme. La sélection de jurisprudence présentée la met en relief.

5.1 - Interdiction traitements inhumains et infamants, des atteintes à la dignité

C’est l’un des domaines où la jurisprudence se réfère fréquemment aux textes internationaux, en particulier à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, sur la base de laquelle plusieurs arrêts de la Cour Européenne des Doits de l’Homme ont condamné la France.

Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’homme Article 3 

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». 

Recommandation du Conseil de l’Europe N° R(87) 3 du 12 février 1987   Paragraphe 100.1

« Les aliénés ne doivent pas être détenus dans les prisons et des dispositions doivent être prises pour les transférer aussitôt que possible dans les établissements appropriés pour malades mentaux »

"En raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et eu égard aux contraintes qu'implique le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires. Les conditions de détention s'apprécient au regard de l'espace de vie individuel réservé aux personnes détenues, de la promiscuité engendrée, le cas échéant, par la suroccupation des cellules, du respect de l'intimité à laquelle peut prétendre tout détenu, dans les limites inhérentes à la détention, de la configuration des locaux, de l'accès à la lumière, de l'hygiène et de la qualité des installations sanitaires et de chauffage. Seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et des dispositions précitées du code de procédure pénale, révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique. Une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime qu'il incombe à l'Etat de réparer. A conditions de détention constantes, le seul écoulement du temps aggrave l'intensité du préjudice subi."

Dans un arrêt du 30 janvier 2020, la Cour de Cassation affirme qu’il « appartient au juge national, chargé d’appliquer la Convention, de tenir compte, sans attendre une éventuelle modification des textes législatifs ou réglementaires, de la décision de la Cour européenne des Droits de l’homme condamnant la France pour le défaut de recours préventif permettant de mettre fin à des conditions de détention indignes. Le juge judiciaire a l’obligation de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif permettant de mettre un terme à la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. En tant que gardien de la liberté individuelle, il incombe à ce juge de veiller à ce que la détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes et de s’assurer que cette privation de liberté est exempte de tout traitement inhumain et dégradant. La description faite par le demandeur de ses conditions personnelles de détention doit être suffisamment crédible, précise et actuelle, pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne.

Il appartient alors à la chambre de l’instruction, dans le cas où le ministère public n’aurait pas préalablement fait vérifier ces allégations, et en dehors du pouvoir qu’elle détient d’ordonner la mise en liberté de l’intéressé, de faire procéder à des vérifications complémentaires afin d’en apprécier la réalité. » https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/communiques_presse_8004/indignes_office_9802/conditions_detention_45105.html

L’état d’un prisonnier dont il est avéré qu’il souffre de graves problèmes mentaux et présente des risques suicidaires appelle des mesures particulièrement adaptées en vue d’assurer la compatibilité de cet état avec les exigences d’un traitement humain.

Violation de l’art. 3 : sanction disciplinaire maximale à l’encontre d’un détenu souffrant visiblement d’un trouble psychique pour une faute du premier degré, sans aucune prise en compte de son état psychique et alors qu’il s’agissait d’un premier incident

Violation de l’art. 3 : menotter une personne malade psychique pour une durée de 7 jours, sans justification psychiatrique ou traitement médical ; en plus, placé à l’isolement, donc sans traitement approprié

La Cour a conclu à la violation de l’article 3 en raison des conditions matérielles dans lesquelles les requérants ont été détenus en particulier du manque d’espace personnel dont ils ont disposé.

« 255.  La norme minimale pertinente en matière d’espace personnel est de 3 m², à l’exclusion de l’espace réservé aux installations sanitaires (Muršić, précité, §§ 110 et 114). Lorsque la surface au sol dont dispose un détenu en cellule collective est inférieure à 3 m², la Cour considère ce qui suit :

« 137. (...) le manque d’espace personnel est considéré comme étant à ce point grave qu’il donne lieu à une forte présomption de violation de l’article 3. La charge de la preuve pèse alors sur le gouvernement défendeur, qui peut toutefois réfuter la présomption en démontrant la présence d’éléments propres à compenser cette circonstance de manière adéquate (...).

138. La forte présomption de violation de l’article 3 ne peut normalement être réfutée que si tous les facteurs suivants sont réunis :

1) les réductions de l’espace personnel par rapport au minimum requis de 3 m² sont courtes, occasionnelles et mineures (...) ;

2) elles s’accompagnent d’une liberté de circulation suffisante hors de la cellule et d’activités hors cellule adéquates (...) ;

3) le requérant est incarcéré dans un établissement offrant, de manière générale, des conditions de détention décentes, et il n’est pas soumis à d’autres éléments considérés comme des circonstances aggravantes de mauvaises conditions de détention (...). » (idem, §§ 122 à 138). […]

« D’autres aspects des conditions de détention sont à prendre en considération dans l’examen du respect de cette disposition. Parmi ces éléments figurent la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base. Lorsqu’un détenu dispose dans la cellule d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m², le facteur spatial demeure un élément de poids dans l’appréciation du caractère adéquat ou non des conditions de détention. »

Violation de l’art. 3 : malade psychique placé en détention avec autres détenus non malades et traité de la même manière, alors que la nature de sa condition psychologique le rendait plus vulnérable que les autres

5.2 - Non-respect du droit aux soins en prison

  • Arrêt du CONSEIL D’ ETAT du 3 décembre 2018

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000037683080&fastReqId=580305725&fastPos=1

En raison, de la situation d’entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, l’appréciation du caractère attentatoire de la condition des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité… et le cas échéant de leur handicap.

Seule des conditions qui porteraient atteinte à la dignité humaine révèlent l’existence d’une faute grave de nature à engager la responsabilité de la puissance publique …qu’il  incombe à l’ Etat de réparer.

  • Décision du TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE NANTES du 15 janvier 2019.

http://nantes.tribunal-administratif.fr/A-savoir/Jurisprudence/Decisions-2019

L‘Etat a été condamné à verser 800 € à un détenu pour des conditions d’accès aux soins au cours d’extractions médicales.

Il se plaignait d’avoir été menotté et entravé pendant les rendez-vous qui se sont déroulés en présence constante du personnel de l’escorte pénitentiaire.

Il dit aussi avoir renoncé à de nouvelles extractions de peur de subir le même traitement.

  • Arrêt du CONSEIL D’ETAT du 26 avril 2019.

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do;jsessionid=A17A7F7A1AF6FA40440C5B95D6034846.tplgfr34s_3?oldAction=rechExpJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000038451685&fastReqId=919251186&fastPos=173

Il incombe à l’administration pénitentiaire de prendre les mesures propres à protéger la vie des détenus et en particulier d’accomplir toutes les diligences en vue de leur faciliter l’accès aux soins . ( art.R 6111-29 du code de la Santé Publique).

En l’espèce la détenue demandait la levée immédiate de la mesure d’isolement à la maison d’arrêt de Fresnes et de lui garantir sans délai un suivi psychiatrique régulier, à raison d’un rendez- vous minimum tous les quinze jours auprès d’un médecin psychiatre.

Jurisprudence de la CEDH au regard de l'article 3 de la Convention :

Article 3 - Interdiction de la torture
"Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants."

Violation de l’art. 3 : détention continue sans supervision médicale appropriée

« l’état d’un prisonnier souffrant de graves problèmes mentaux et présentant des risques suicidaires appelle des mesures particulièrement adaptées, quelle que soit la gravité des faits pour lesquels il a été condamné. »

  • Arrêt CEDH, Gömi c. Turquie, 19 février 2019, n°38704/11 – L’absence de prise en charge adéquate en détention d’une personne présentant des troubles mentaux viole l’article 3.

http://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-191067

En l’absence d’un suivi constant de l’évolution de sa maladie par une équipe spécialisée, les autorités n’ont pas prodigué au requérant un traitement médical approprié en milieu pénitentiaire. Eu égard aux circonstances particulières de la cause et au besoin urgent de mettre fin à la violation de l’article 3, la Cour considère qu’il incombe à l’Etat d’assurer au requérant atteint d’un trouble mental des conditions adéquates de détention dans un établissement apte à lui fournir le traitement psychiatrique nécessaire, ainsi qu’un suivi médical constant.

  • Arrêt CEDH : 23/02/2012. Le maintien d’un détenu schizophrène dans un établissement pénitentiaire inapte à l’incarcération des malades mentaux viole l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme

https://www.dalloz-actualite.fr/essentiel/schizophrenie-et-incarceration-attention-danger#.XZMjl1UzaM8

En l’espèce le requérant avait mis le feu à sa cellule et blessé grièvement un codétenu qui décéda des suites de ses blessures. La personne ayant ultérieurement été placé en hôpital psychiatrique, la Cour de Strasbourg refuse de considérer, comme le soutenait le requérant, que les conditions de sa comparution devant la cour d’assises et la cour d’assises d’appel ont méconnu le droit à un procès équitable protégé par l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH). En effet, s’ils rappellent que le droit d’un accusé de participer réellement à son procès présuppose qu’il « comprenne globalement la nature et l’enjeu pour lui du procès, notamment la portée de toute peine pouvant lui être infligée », ce qui peut imposer la mise en place de « garanties spéciales de procédure » destinées à « protéger ceux qui, en raison de leurs troubles mentaux, ne sont pas entièrement capables d’agir pour leur propre compte », les juges européens considèrent que « les autorités nationales ont veillé à ce que l’état de santé du requérant lui permette de se défendre convenablement ». 

« 87.  La Cour a jugé à de nombreuses reprises que la détention d'une personne malade peut poser problème sur le terrain de l'article 3 de la Convention (Mouisel, précité, § 37) et que le manque de soins médicaux appropriés peut constituer un traitement contraire à l'article 3 (İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000‑VII ; Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 112, 10 février 2004, et Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 51, 2 décembre 2004). En particulier, pour apprécier la compatibilité ou non des conditions de détention en question avec les exigences de l'article 3, il faut, dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur vulnérabilité et de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d'un traitement donné sur leur personne (voir, par exemple, Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 82, série A no 244, et Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 66, Recueil 1998‑V).

88.  La Cour rappelle que, pour statuer sur l'aptitude ou non d'une personne à la détention au vu de son état, trois éléments particuliers doivent être pris en considération : a) son état de santé, b) le caractère adéquat ou non des soins et traitements médicaux dispensés en détention, et c) l'opportunité de son maintien en détention compte tenu de son état de santé (Mouisel, précité, §§ 40-42 ; Melnik, précité, § 94, et Rivière c. France, no 33834/03, § 63, 11 juillet 2006). »

Violation de l’art. 3 : transferts fréquents et échec à prendre suffisamment en compte le besoin de soins spécialisés dans un établissement adapté de la personne, en plus des incertitudes prolongées après ses demandes de sursis

  • Arrêt CEDH L.B. c. Belgique, 2 octobre 2012 

http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-4102096-4819200 :

Violation de l’art. 5§1 : malade placé dans établissement pénitentiaire pendant 7 ans alors que toutes les autorités étaient d’accord que ce n’était pas adapté ; placement en annexe psychiatrique doit être temporaire, en attendant que les autorités trouvent structure plus adaptée

  • Arrêt Claes c. Belgique, 10 janvier 2013 

http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-1361768-1421350 :

Violation de l’article 3 : détention en annexe psychiatrique de prison pendant plus de 15 ans sans traitement approprié, sans réelle perspective de changement

Quels que soient les obstacles créés par le comportement de la personne, ils ne dispensent pas l’Etat de ses obligations à son égard en raison de la position d’infériorité et d’impuissance typique des patients confinés en hôpital psychiatrique et encore plus en milieu carcéral

Problème structurel : traitement dans annexes psychiatriques inadéquat, placement en-dehors des établissements pénitentiaires impossible à cause du manque de places dans hôpitaux psychiatriques ou parce que législation ne permettait pas aux autorités d’ordonner le placement dans structures externes

  • Arrêt CEDH Bamouhammad c. Belgique, 17 novembre 2015

http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-5224926-6478925:

Violation de l’art. 3 : transferts incessants entre établissements empêchant supervision psychologique appropriée et ayant conduit à détérioration de son état mental, en plus de placement à l’isolement pendant 7 ans et mesures de sécurité (menottes, fouilles) systématiques

  • Arrêt CEDH Murray c. Pays-Bas, 26 avril 2016

http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-5358649-6688638 :

Détenu sur les îles de Curaçao puis Aruba

Violation de l’art. 3 : bien qu’ayant été évalué comme nécessitant traitement psychiatrique avant d’avoir été condamné à la perpétuité, n’a jamais reçu traitement pendant son incarcération ; lien reconnu entre cette absence de traitement et risque de récidive l’a privé d’un droit effectif à voir sa condamnation réduite

La CEDH conditionne la régularité de la détention (article 5 de la Convention EDH) à l'exécution de la peine privative de liberté dans un établissement approprié :

Article 5 de la Convention – Droit à la liberté et à la sûreté
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
(...)
e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ; (...)».

  • Arrêt de principe en la matière

Arrêt CEDH Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985
https://www.doctrine.fr/d/CEDH/HFJUD/CHAMBER/1985/CEDH001-61983
Violation de l’article 5§1 : La Cour estime que la régularité de la détention implique qu’il y ait un lien entre le motif censé justifier la privation de liberté, et le lieu et les conditions de la détention. 
Ainsi, elle considère que, la détention d’une personne atteinte de troubles psychique ne sera considérée, en principe, comme régulière, que si elle se déroule « dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié»

Le juge italien a ordonné, compte tenu de son état de santé mental, le transfert en REMS d’une personne détenue souffrant de troubles psychiques. Ce transfert n’a pas eu lieu. La Cour considère que le maintien du requérant en détention ordinaire, pendant deux ans, sans bénéficier « d’aucune stratégie thérapeutique globale » constitue une violation de l’article 3 de la Convention. 

La Cour a également condamné l’état Italien sur le terrain de l’article 5§1 de la ConvEDH car il n’existait plus, de lien entre le motif censé justifier la privation de liberté et le lieu et les conditions de la détention. Le requérant nécessitait des soins en REMS du fait de son état de santé, et sa détention dans un établissement pénitentiaire ordinaire était inadapté. 

L’Etat défendeur avançait des arguments logistiques et financier, en expliquant qu’il n’y avait pas de places disponibles en REMS. La  Cour a refusé de faire droit à cet argument et regrette que les autorités nationales n’aient pas « créé  de nouvelles place au sein des REMS ni trouvé une solution. Il l[les autorités ]leur revenait d’assurer au requérant qu’une place en REMS serait disponible ou de trouver une solution adaptée »(§135).  

  • Arrêt CEDH Strazimiri c. Albanie, 34602/16, 21/01/2020

http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-6615177-8775561 :

Violation de l’art. 5§1 : Le requérant est placé dans établissement hospitalier pénitentiaire alors qu'il a été déclaré irresponsable. L'Etat aurait dû le placer dans un établissement spécialisé.

  • Arrêt CEDH  Rooman c. Belgique : 31 janvier 2019

https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:[%22001-189847%22]%7D

Le requérant se plaignait de n’avoir pu bénéficier d’une thérapie adéquate. En effet, M. Rooman, a été privé, pendant sa détention, de suivi psychologique et psychiatrique régulier. 

 Après avoir reconnu une violation de l’article 3, au motif que le détenu n’avait pas pu faire l’objet de soins appropriés, la Cour EDH analyse les exigences thérapeutiques allouées aux autorités, sous l’angle de l’article 5 de la Conv EDH.

La Cour EDH reconnaît que « l’administration d’une thérapie adéquate est devenue une exigence dans le cadre de la notion plus large de “régularité“ de la privation de liberté. » 

La Cour EDH justifie son « analyse de griefs similaires, mais examinés selon l’une ou l’autre disposition » en expliquant qu’elle « s’impose naturellement par l’essence même des droits protégés ».

Pour Karine SFERLAZZO-BOUBLI, L’administration effective de soins appropriés, condition sine qua non du respect de l’article 3 en matière de détentions d’individus atteints de troubles mentaux, est désormais une condition sine qua non pour atteindre le but thérapeutique de la détention, qui est une exigence découlant de l’article 5 de la ConvEDH.

  • Arrêt CEDH Dufoort c. Belgique, 10 janvier 2013

https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22fulltext%22:[%22dufoort%22],%22documentcollectionid2%22:[%22GRANDCHAMBER%22,%22CHAMBER%22],%22itemid%22:[%22001-115768%22]}

Violation de l’article 5§1 : La Cour décide que le maintien du requérant souffrant de troubles psychiques « dans un établissement, où il ne bénéficie pas de l’encadrement approprié à sa pathologie, a eu pour effet de rompre le lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle a lieu. ». 

  • Arrêt CEDH L.B. c. Belgique, 2 octobre 2012 

http://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-4102096-4819200 :

Violation de l’art. 5§1 : malade placé dans établissement pénitentiaire pendant 7 ans alors que toutes les autorités étaient d’accord que ce n’était pas adapté ; placement en annexe psychiatrique doit être temporaire, en attendant que les autorités trouvent structure plus adaptée.

5.3 - Mesures disciplinaires en milieu pénitentiaire

La faute disciplinaire consiste pour la personne détenue en un manquement à ses obligations. Celles-ci sont précisées dans le code de procédure pénale, ainsi que dans le règlement intérieur de l’établissement pénitentiaire dans lequel elle est détenue provisoirement ou en exécution de peine.

Ces manquements peuvent faire l’objet d’une procédure disciplinaire ainsi que d’une procédure pénale. La procédure pénale ne peut avoir lieu que lorsque les faits sont susceptibles de revêtir une qualification pénale.

L’opportunité des poursuites appartient au chef d’établissement pénitentiaire, lequel préside également la commission de discipline.

1. La Commission de discipline

La commission de discipline est composée de son président et de deux assesseurs (un gradé du personnel de l’établissement pénitentiaire et un membre extérieur manifestant un intérêt pour les questions relatives au fonctionnement des établissements pénitentiaires). La voix des assesseurs  est  consultative.

Si le chef de l’établissement décide d’une poursuite disciplinaire, la personne est convoquée par écrit devant la commission de discipline. Ses droits lui sont rappelés dans la convocation. Elle est informée des faits qui lui sont reprochés, de la date et de l’heure de sa comparution, du délai dont elle dispose pour préparer sa défense ainsi que de son droit d’être assistée par un avocat. Le délai pour préparer sa défense ne peut être inférieur à 24 heures.

2. Les sanctions disciplinaires

Les sanctions qui ont été prononcées par la commission de discipline à l’encontre d’une personne détenue constituent un critère d’appréciation de sa personnalité aux stades du jugement et de l’aménagement de peine. Toute sanction disciplinaire entraine de plein droit une décision de retrait des crédits de réduction de peine par le Juge d'Application des Peines.

Les fautes disciplinaires sont classées selon leur gravité en trois catégories (1er, 2nd, 3ème degré).

Les sanctions pouvant être prononcées diffèrent selon que la personne est majeure ou mineure.

Pour les personnes majeures, les sanctions sont prévues aux articles 57-7-33 et 34 du code de procédure pénale. Le panel des sanctions va de l’avertissement au placement en cellule disciplinaire.

La personne visée par les poursuites peut être placée en cellule disciplinaire ou confinée en cellule seule de manière préventive pendant deux jours ouvrables au maximum. Le placement n’est possible que lorsque les faits seraient constitutifs des fautes des premier et deuxième degré. De plus la mesure de placement doit être proportionnelle aux objectifs suivants : nécessité de mettre fin à la faute et/ou nécessité de maintenir l’ordre dans l’établissement.

3. Les recours contre les sanctions disciplinaires

La décision de la commission est rendue le jour même, et notifiée à l’intéressée et à son avocat. La personne dispose d’un délai de quinze jours à compter de la notification pour contester la décision devant la Direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP).

La DISP doit répondre à la demande dans un délai d’un mois à compter de la réception de la demande. Le silence de la DISP vaut rejet. La personne ne peut bénéficier de l’aide juridictionnelle dans le cadre du recours devant la DISP.

La personne peut contester la décision implicite ou explicite de la DISP en exerçant un recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif compétent (ressort dans lequel se trouve l’établissement pénitentiaire) dans le délai de deux mois à compter de la décision de rejet ou de l’échéance du délai de réponse.

Dans le cas où la personne est placée en cellule disciplinaire (de manière préventive ou à titre de sanction) et qu’il est manifeste qu’elle n’est pas l’auteure des faits qu’on lui reproche, elle peut saisir le Tribunal administratif d’un référé liberté sur le fondement de l’article L 521-2 du code de justice administrative. Le juge doit alors statuer dans un délai de 48 heures.

Lorsqu’il constate l’urgence ainsi que la violation manifeste d’une liberté fondamentale (traitements inhumains ou dégradants), le juge administratif peut suspendre la mesure manifestement illégale prise par l’administration. Ce recours n’est envisageable que s’il existe des éléments permettant de considérer qu’il y a eu violation manifeste d’une liberté fondamentale.

L’arrêt précité de la Cour de Cassation du 30 janvier 2020 étend ce pouvoir d’intervention en urgence au Juge des Libertés et de la Détention.

5.4 - Dignité et détention – Le recours de l’article 803-8 du Code de procédure pénale

Suite à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) le 30 janvier 2020 (arrêt JMB et autres c/France) pour l’indignité de ses conditions de détention ainsi que l’absence de voie de recours effective pour y mettre un terme, l’Etat a été mis dans l’obligation de mettre en place une voie de droit pour les détenus permettant de répondre rapidement aux atteintes portées à leur dignité.

En effet, par une décision du 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il incombait au législateur de garantir aux détenus la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine afin qu’il y soit mis fin .
La Cour de cassation avait déjà, le 8 juillet 2020, imposé au juge judiciaire d’ordonner la libération d’une personne en détention provisoire lorsqu’il n’existait aucun autre moyen de mettre fin à ses conditions de détention indignes.

C’est ainsi qu’une procédure particulière a été mise en place par la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 « tendant à garantir le respect de la dignité en détention » : article 803-8 du Code de procédure pénal), tant pour les détenus incarcérés à titre préventif que pour les détenus condamnés.

Peuvent être saisis :

  • Le juge des libertés et de la détention (JLD) en cas de détention provisoire (article 144-1 du code de procédure pénale, al.2 : « Sans préjudice des dispositions de l'article 803-8 garantissant le droit de la personne d'être détenue dans des conditions respectant sa dignité, le juge d'instruction ou, s'il est saisi, le juge des libertés et de la détention doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire, selon les modalités prévues à l'article 147, dès que les conditions prévues à l'article 144 et au présent article ne sont plus remplies. »
  • Le juge de l’application des peines (JAP) en cas de condamnation (article 707 du code de procédure pénale : « III.-Toute personne condamnée incarcérée en exécution d'une peine privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d'un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d'occupation de l'établissement pénitentiaire, dans le cadre d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur, de détention à domicile sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d'une libération sous contrainte, afin d'éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire. Le droit de cette personne d'être incarcérée dans des conditions respectant sa dignité est garanti par l'article 803-8. »)

Le requérant doit apporter, lors de l’introduction de sa requête, un commencement de preuve constitué « des allégations circonstanciées, personnelles et actuelles » de ses conditions de détention. Il pourra demander à se faire entendre s’il l’estime nécessaire. 

Dans un premier temps, le juge vérifie les allégations et recueille les observations fournies dans un délai de 10 jours par l’administration pénitentiaire. Il signale ensuite à l’administration les conditions de détention contraires à la dignité et lui accorde un délai de 10 jours à un mois pour y remédier. Celle-ci doit alors prendre toutes les mesures utiles, quitte à transférer le requérant dans un autre établissement pénitentiaire. 

Passé ce délai, si le juge constate qu’aucune mesure efficace n’a été prise pour mettre fin aux conditions de détention indignes, il peut ordonner par une décision motivée :

  • Le transfèrement ou l’aménagement de peine de la personne détenue 
  • La mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire, éventuellement assortie d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence avec bracelet électronique 

Cependant, le juge peut refuser d’ordonner de telles mesures si le requérant s’est préalablement opposé à un transfèrement proposé par l’administration pénitentiaire. Le requérant ne peut refuser le transfert que s’il porte une « atteinte excessive au droit au respect de sa vie privée et de sa vie familiale » en raison du lieu de résidence de sa famille. 

Enfin, ce recours peut se combiner aux procédures administratives. Il n’exclut pas, en effet, la possibilité de saisir le juge administratif des recours prévus aux articles L 521-1 à L 521-3 du Code de justice administrative. Cependant, ces procédures de référé sont limitées par les conditions strictes posées : le juge ne peut ordonner des mesures qu’au regard des moyens dont dispose l’administration pénitentiaire et des mesures déjà prises. 

Aussi, si les allégations de la requête du détenu sont "circonstanciées, personnelles et actuelles", le juge judiciaire la déclare recevable, fait procéder aux vérifications nécessaires et recueille les observations de l’administration pénitentiaire dans un délai de trois à dix jours.

Les décisions du juge peuvent faire l’objet d’un appel dans les 10 jours de la notification de la décision. L’appel du ministère public est suspensif s'il est formé dans un délai de 24 heures. 

Ce texte crée, en apparence, un recours efficace contre les conditions indignes de détention. Cependant, la Contrôleur générale des lieux de privation des libertés, Mme Dominique Simmonot, a observé que ce recours « ne peut être regardé comme suffisant pour préserver les droits des personnes détenues. Il semble au contraire avoir pour objectif principal de limiter les conséquences des jurisprudences en faisant obstacle aux recours qu’elles créent et même en restreignant les prérogatives du juge au profit de celles de l’administration pénitentiaire »[1]. Le rôle du juge semble relativement limité lors de la première phase du recours : Il constate simplement l’existence de conditions de détention indignes et demande à l’administration pénitentiaire d’agir. Celle-ci est seule compétente dans le choix des mesures à prendre et aucun pouvoir d’injonction déterminée n’est offert au juge. De plus, le risque de se voir éloigner de leurs familles risque de dissuader les détenus et prévenus de se saisir de ce recours prévient l’Observatoire international des prisons[2].

Le Conseil national des barreaux (en partenariat avec l'OIP, A3D, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature) organise des séminaires et met à disposition des avocats tout support utile à l'exercice de ce recours.
Revoir le webinaire " Indignité des conditions de détention".


[1] Lettre du CGLPL au Président et aux membres de la Commissions des lois du Sénat, réf. N° 173516/MS, 2 mars 2021. (http://www.senat.fr/seances/s202103/s20210308/s20210308002.html)

[2] Observatoire international des prisons (OIP)–Section française, « Dignité en détention : une loi en demi-teinte qui manque son objectif », 19 mars 2021 (https://oip.org/communique/dignite-en-detention-une-loi-en-demi-teinte-qui-manque-son-objectif/)

5.5 - Comparaison du respect des droits en prison dans huit pays européens

Prison Insider et l'UNAFAM ont publié "L'enfermement à la folie", une enquête sur le respect des droits des personnes ayant des troubles psychiques pendant leur incarcération, dans huit pays européens :

Extrait du site internet de Prison Insider : cliquez sur l'image pour lire la synthèse de l'enquête

6 - Le statut du majeur protégé, du tuteur et du curateur dans la procédure pénale

Ce chapitre, encore largement en chantier, a été rédigé par l’UNAFAM, avec le concours de plusieurs de ses bénévoles avocats, professeurs de droit et magistrats honoraires qui ont eu à traiter professionnellement de ce sujet complexe.

Difficile à respecter du fait de l’absence de fichier central des majeurs protégés que pourraient consulter les autorités judiciaires dans les différentes étapes de la procédure pénale afin d’identifier l’existence éventuelle d’une mesure de protection d’un mis en cause ou d’une victime, le statut du majeur protégé se précise peu à peu sous l’éclairage de la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH), de législations récentes et de la jurisprudence interne. Une synthèse de ce droit est proposée ici, élaborée par une équipe constituée d’un magistrat ayant exercé les fonctions de juge des tutelles, d’une avocate et d’un enseignant en droit. 

Un arrêt fondateur de la CEDH en date du 30 janvier 2001 (arrêt VAUDELLE) a précisé que « le fait pour une personne placée sous curatelle, de ne pas être assistée ni par son un curateur, ni par son avocat, constitue une violation du droit à un procès équitable. Qu’il n’y a pas de raison qu’un individu reconnu inapte à défendre ses intérêts civils, ne dispose pas d’une assistance pour se défendre contre une accusation pénale dirigée contre lui ».https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-63728%22]}

Sous l’impulsion de cet arrêt, les articles 706-112 et 706-113 ainsi que les articles D 47-14 à D 47-26 du CPP ont défini le statut du majeur protégé dans la procédure pénale.

6.1 - L’information obligatoire du tuteur/curateur tout au long de la procédure

 L’article 706-113 du CPP prévoit : « le procureur de la république ou le juge d’instruction avise le curateur ou le tuteur ainsi que le juge des tutelles des poursuites dont la personne fait l’objet. Il en est de même si la personne fait l’objet d’une alternative aux poursuites, (d’une médiation), d’une composition pénale, ou d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou si elle est entendue comme témoin assisté. »

NB : Conseil constitutionnel, 18 janvier 2024, n°2023-1076 QPC : La QPC porte sur la première phrase du premier alinéa de l’article 706-113 du code de procédure pénale qui indique : « Sans préjudice de l’application des articles 706-112-1 à 706-112-3, lorsque la personne fait l’objet de poursuites, le procureur de la République ou le juge d’instruction en avise le curateur ou le tuteur ainsi que le juge des tutelles ». Cette disposition réglemente l'accès à l'information du dossier et des actes procéduraux d'un tuteur ou d'un curateur en cas de poursuites ou d'alternative aux poursuites concernant un majeur protégé.

Le Conseil constitutionnel a énoncé que : « Dès lors, en ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la procédure font apparaître que la personne déférée fait l'objet d'une mesure de protection juridique, que le magistrat compétent soit, en principe, tenu d'avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d'être assistée dans l'exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense. ». Le Conseil constitutionnel a décidé de reporter au 31 janvier 2025 la date de l'abrogation de cet alinéa. En attendant, il a indiqué que, si, au cours de la procédure, des indices font apparaître que la personne susceptible d'être déférée fait l'objet d'une mesure de protection juridique, le curateur/tuteur doit être avisé par le magistrat compétent de son défèrement et, si tel est le cas, de sa retenue dans les locaux du tribunal.

L’article 706-113 alinéa 5 du CPP indique que « le curateur ou le tuteur est avisé de la date d’audience ». L’article D 47-20 du CPP ajoute qu’« en matière correctionnelle et criminelle, ainsi que pour les contraventions de la 5e classe, le ministère public avise le curateur ou le tuteur de la date et de l’objet de l’audience par lettre avec AR, 10 jours au moins avant la date d’audience ». 

Dans un arrêt rendu le 19/09/2017, la Cour de Cassation, a confirmé que « le curateur d’une personne majeure protégée doit être avisé de la date de toute audience concernant la personne protégée, et ce y compris l’interrogatoire de première comparution devant le juge d’instruction ».

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000035612587&fastReqId=251658703&fastPos=1

Le Conseil constitutionnel s’est également prononcé sur le sujet dans sa décision du 14 septembre 2018 faisant suite à une QPC: «  lorsque des poursuites pénales sont engagées à l'encontre d'un majeur protégé, le procureur de la République ou le juge d'instruction doit en informer son curateur ou son tuteur, ainsi que le juge des tutelles. Il en va de même lorsque le majeur protégé fait l'objet d'une alternative aux poursuites consistant en la réparation du dommage ou en une médiation, d'une composition pénale ou d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou lorsqu'il est entendu comme témoin assisté. Le curateur ou le tuteur est alors autorisé à prendre connaissance des pièces de la procédure et bénéficie de plusieurs prérogatives visant à lui permettre d'assurer la préservation des droits du majeur protégé. »  https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018730QPC.htm

L’obligation d’information avant le déclenchement des poursuites :

Cette exigence d’information du mandataire vaut également au stade de l’enquête.

Ainsi, dans le cas des perquisitions, l’article 706-112-3 du code de procédure pénale  prévoit : « lorsque les éléments recueillis au cours d'une enquête préliminaire font apparaître qu'une personne chez laquelle il doit être procédé à une perquisition fait l'objet d'une mesure de protection juridique révélant qu'elle n'est pas en mesure d'exercer seule son droit de s'opposer à la réalisation de cette opération, l'officier en avise par tout moyen son curateur ou son tuteur, afin que l'assentiment éventuel de la personne prévu aux deux premiers alinéas de l'article 76 ne soit donné qu'après qu'elle a pu s'entretenir avec lui. A défaut, la perquisition doit être autorisée par le juge des libertés et de la détention en application de l'avant-dernier alinéa du même article 76. ».

Ces exigences découlent notamment d’une modification de l’article 706-112-3 du code de procédure pénale, suite à la décision 2020-873 QPC du 15 janvier 2021 du Conseil Constitutionnel. Dans son ancienne rédaction, l’article ne prévoyait pas d’obligation d’aviser le tuteur ou le curateur préalablement à la réalisation de la perquisition, ce qui, selon le Conseil Constitutionnel, pouvait placer le majeur protégé « dans l’incapacité d'exercer avec discernement son droit de s'opposer à la réalisation d'une perquisition à son domicile » et méconnaissait le principe d’inviolabilité du domicile.

La Cour de cassation a également jugé le 22 juin 2021 que le délai de 6mois accordé au mis en examen pour soulever les nullités de la procédure ne s’appliquait pas au majeur protégé qui n’est pas accompagné par son tuteur ou son curateur. Dans ces circonstances, la Cour de cassation a considéré que « l’intéressé ne peut être regardé comme étant en mesure de connaître les éventuelles nullités affectant la procédure ».

Cass. crim., 6 juin 2023, n°23-81726, F–B : L’arrêt rendu par la Cour d’appel est cassé sur le fondement de l’article 706-113 du Code de procédure pénale, en raison du fait que le curateur (comme le tuteur) « doit être avisé de toute audience concernant le majeur protégé ». Or, en l’espèce, le courriel a été adressé à une adresse électronique qui n’est pas celle du curateur. En conséquence de cette cassation, la femme en curatelle a été remise en liberté, assortie d’une mesure de contrôle judiciaire.

6.2 - Le tuteur et le curateur peuvent être appelés comme témoins à l’audience

L’article 706-113, alinéa 5 du CPP dispose que « lorsque le curateur ou le tuteur est présent à l’audience, il est entendu par la juridiction en qualité de témoin. » L’article D 47-20 du même code précise qu’il « est tenu de prêter serment, mais qu’il n’a pas l’obligation de quitter la salle d’audience avant de déposer. » 

Par ailleurs, en vertu de l’article 310 du CPP, « le président (de la Cour d’assises) est investi d’un pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il peut, en son honneur et en sa conscience, prendre toutes mesures qu’il croit utiles à la manifestation de la vérité. [...] Il peut, au cours des débats, appeler, au besoin par mandat d’amener, et entendre toutes personnes, ou se faire apporter toutes nouvelles pièces qui lui paraissent, d’après les développements donnés à l’audience, utiles à la manifestation de la vérité  Dès lors le tuteur ou le curateur peut être entendu dans ce cadre sans prestation de serment. 

Le statut de témoin ne semble pas toujours adapté : il est peu probable que le curateur ou le tuteur ait été témoin des faits reprochés ; de même, s’il est amené à témoigner sur la personnalité et la moralité du majeur protégé, il peut se trouver en difficulté par rapport à la mission de protection qui est la sienne.

6.3 - La garde à vue : dérogation à l’obligation d’aviser le curateur et le tuteur ?

L’article 706-112-1 du CPP énonce : « Lorsque les éléments recueillis, au cours de la garde à vue d’une personne font apparaitre que celle-ci fait l’objet d’une mesure de protection juridique, l’officier ou l’agent de police judiciaire en avise le curateur ou le tuteur. S’il est établi que la personne bénéficie d’une mesure de sauvegarde de justice, l’OPJ ou l’APJ avise, s’il y a lieu le mandataire judiciaire désigné par le juge des tutelles. » […] Sauf en cas de circonstance insurmontable, qui doit être mentionnée au procès-verbal, les diligences incombant aux enquêteurs en application du présent article doivent intervenir au plus tard dans un délai de six heures à compter du moment où est apparue l’existence d’une mesure de protection juridique ».

La question a été débattue de savoir s’il s’agit d’une simple obligation de moyens  

La formulation de l’article 706-112-1 du CPP introduit en effet une potentielle conditionnalité : le curateur ou le tuteur doit être avisé « lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue d’une personne font apparaître que (la personne) fait l’objet d’une mesure de protection juridique… » 

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité le Conseil Constitutionnel a tranché dans une décision du 14 juin 2018. Concernant la garde à vue, « il résulte en revanche du 3 ° de l'article 63-1 du code de procédure pénale que le majeur protégé est, comme tout autre suspect majeur, immédiatement informé par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, de ses droits d'être assisté par un avocat, de faire prévenir certaines personnes de son entourage et, dans les conditions prévues à l'article 63-2 du même code, de communiquer avec elles. Le majeur protégé peut, à ce titre, demander à faire prévenir son curateur ou son tuteur. Les enquêteurs doivent alors, sauf circonstances insurmontables ou refus lié aux nécessités de l'enquête, prendre contact avec le curateur ou le tuteur dans les trois heures suivant la demande. Dans ce cas, le troisième alinéa de l'article 63-3-1 du même code prévoit que le curateur ou le tuteur peut désigner un avocat pour assister le majeur protégé au cours de la garde à vue, sous réserve de confirmation par ce dernier.[…] Dans le cas où il n'a pas demandé à ce que son curateur ou son tuteur soit prévenu, le majeur protégé peut être dans l'incapacité d'exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d'exprimer sa volonté en raison de l'altération de ses facultés mentales ou corporelles. Il est alors susceptible d'opérer des choix contraires à ses intérêts, au regard notamment de l'exercice de son droit de s'entretenir avec un avocat et d'être assisté par lui au cours de ses auditions et confrontations. » 

Le Conseil a, en conséquence, déclaré contraire à la constitution l’alinéa 1 de l’article 706-113 CPP qui ne prévoit pas « lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue d'une personne font apparaître qu'elle fait l'objet d'une mesure de protection juridique, que l'officier de police judiciaire ou l'autorité judiciaire sous le contrôle de laquelle se déroule la garde à vue soit, en principe, tenu d'avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d'être assistée dans l'exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense. » L’abrogation de cette disposition a été reportée au 1er octobre 2021.

https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018730QPC.htm

Dans sa réponse à la question d’un Sénateur publiée le 14 novembre 2019 au JO du Sénat, la Garde des Sceaux a toutefois tenté de nuancer le caractère absolu de cette obligation reconnu par le Conseil Constitutionnel en considérant que la recherche du tuteur ou du curateur ne serait, pour l’enquêteur, qu’une « obligation de moyens » : « Si ces nouvelles dispositions modifient le régime applicable aux personnes protégées placées en garde à vue et prescrivent un certain nombre de diligences aux services d'enquête, elles n'imposent nullement de modifier l'organisation actuelle des services de mandataires à la protection juridique des majeurs.[…] Comme toute diligence incombant aux enquêteurs, l'obligation d'aviser le tuteur ou le curateur n'est qu'une obligation de moyen et non de résultat. Ainsi, les circonstances insurmontables pouvant légalement justifier de ne pas aviser effectivement le tuteur ou le curateur peuvent résulter de l'impossibilité pour les enquêteurs de l'identifier ou de le contacter. En revanche, le fait de ne pas tenter de l'identifier ou de l'aviser alors que l'existence d'une mesure de protection est connue est susceptible d'être sanctionné. Par ailleurs, la généralisation d'astreintes n'apparaît pas constituer une réponse satisfaisante dans la mesure où, en pratique, il peut être difficile de déterminer si le tuteur-curateur est un membre de la famille, un professionnel exerçant individuellement ou membre d'une association et le cas échéant de déterminer à quel organisme il appartient. D'autres solutions sont dès lors préconisées par le ministère de la justice comme le recours à l'envoi de mail à l'association l'informant de la mesure et l'invitant à prendre attache rapidement avec le service d'enquête ou encore l'invitation du majeur protégé par les enquêteurs à demander un avocat et à faire l'objet d'un examen médical. »

https://www.senat.fr/questions/base/2019/qSEQ191012653.html

Cette information du mandataire souffre tout de même d’une exception qui remet en cause son caractère obligatoire. 

L’article 706-112-1 in fine dispose « Le procureur de la République ou le juge d'instruction peut, à la demande de l'officier de police judiciaire, décider que l'avis prévu au présent article sera différé ou ne sera pas délivré si cette décision est, au regard des circonstances, indispensable afin de permettre le recueil ou la conservation des preuves ou de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l'intégrité physique d'une personne. ». 

6.4 - Le juge des tutelles averti en cas de sauvegarde de justice ou de mandat de protection future

L’article 706-117 du CPP énonce « le procureur de la république ou le juge d’instruction avise le juge des tutelles des poursuites concernant une personne qui bénéficie d’une mesure de sauvegarde de justice ; le juge des tutelles peut désigner un mandataire spécial, qui dispose des prérogatives confiées au curateur ou au tuteur par l’article 706-113 du CPP ».

Ces prérogatives sont reconnues également au mandataire de protection future. 

Si les autorités judiciaires en charge du dossier (le procureur de la République et le juge d’instruction) ne respectent pas les obligations susvisées, la procédure est viciée. La cour de cassation a confirmé l’importance de cette information dans un arrêt en date du 14/04/2010 « le tuteur d’une personne majeure protégée doit être avisé des poursuites et des décisions de condamnation dont cette personne fait l’objet [… et] doit en outre être avisé de la date d’audience. » https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000022213127/.

La violation de ces droits est assimilée à une nullité d’ordre public, non subordonnée à la preuve d’un grief. Elle affecte les droits dont dispose le « curateur » ou le « tuteur » tout au long de la procédure, à savoir :

                     – être avisé des poursuites,

                       – prendre connaissance des pièces de la procédure ;

                       – disposer d’un permis de visite ;

                       – être avisé des différentes décisions judiciaires, de la date d’audience ;

                       – être entendu par la juridiction.

La cour de cassation a confirmé cette position dans un arrêt du 24/06/2014, précisant que : « le majeur sous curatelle ne peut défendre à une action en justice sans l’assistance de son curateur ; […] un majeur protégé faisant l’objet d’une mesure de curatelle, qui est à ce titre reconnu inapte à défendre seul ses intérêts civils et qui bénéficie d’une assistance à cet effet, doit disposer d’une assistance spécifique et permanente lui permettant un exercice effectif de ses droits à la défense, quel que soit le cadre de la procédure diligentée à son encontre ; que ce majeur protégé doit en conséquence pouvoir être assisté tout au long de la procédure par son curateur ; […] le défaut d’assistance du majeur protégé par son curateur, ne saurait être suppléé par la représentation dudit majeur par un avocat »

https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/3349_24_29557.html

6.5 - Difficultés de mise en œuvre de l’obligation d’information du tuteur/curateur

Les autorités policières et judiciaires sont souvent confrontées à des difficultés pratiques dans l’application de ces textes. En effet, la plupart du temps, le mis en cause ne fera pas état de l’existence d’une mesure de protection à son égard. De même, les médecins requis n’ont pas toujours connaissance d’une telle mesure.

L’article D 47-14-1 alinéa 2 du CPP précise que « si les éléments de la procédure font apparaître un doute sur l’existence d’une mesure de protection juridique, le procureur de la république, le juge d’instruction ou la juridiction de jugement procède ou fait procéder aux vérifications nécessaires. »

En l’absence de l’existence d’un fichier national de la protection juridique consultable (à l’instar du casier judiciaire de l’intéressé) les policiers ou les magistrats en charge du dossier ne peuvent savoir si la personne poursuivie fait l’objet d’une mesure de protection.

Ils peuvent consulter le répertoire civil, ou l’extrait d’acte de naissance de l’intéressé, lequel malheureusement ne mentionne que l’existence d’une mesure de protection, sans la désignation du nom de l’organe tutélaire.

Un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation en date du 11/12/2018 a ainsi confirmé un arrêt de chambre de l’instruction concernant une garde à vue non notifiée au tuteur au nom de l’impossibilité de vérifier l’existence d’une mesure de protection :« L’arrêt relève notamment que si des éléments faisant apparaître un doute sur l’existence d’une mesure de protection devaient conduire le procureur de la République, malgré les dénégations de l’intéressé, à effectuer les vérifications nécessaires afin d’établir l’existence actuelle d’une telle mesure, des circonstances insurmontables ont fait obstacle à la vérification qui s’imposait, dès lors que, d’une part, informé de la dangerosité pour autrui de M. X..., résultant de la multiplication par l’intéressé d’actes de délinquance d’une gravité croissante commis au cours de la première quinzaine d’août 2016, ainsi que de la carence de l’autorité administrative, faute d’exécution d’un l’arrêté préfectoral de réadmission de M. X... en hospitalisation complète du 9 août 2016, le procureur de la République ne pouvait différer sa décision sur les poursuites, d’autre part, à l’heure de cette décision, prise suite aux informations qui lui ont été transmises par le service enquêteur, le vendredi à 18 heures 50, le procureur de la République, non plus que le juge d’instruction, faute de fichier national des mesures de protection juridique consultable par l’autorité judiciaire dans les mêmes conditions que le fichier central du casier judiciaire, ne pouvaient ni vérifier l’existence d’une mesure de protection ni prendre connaissance de l’identité du curateur, le juge des tutelles détenant seul cette information. » 

https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/arrets_publies_8743/2018_8744/decembre_9074/3062_11_40951.html

Les magistrats peuvent en pratique toutefois se rapprocher des magistrats du service civil du Parquet, lesquels ont connaissance des décisions des juges des tutelles de leur ressort, puisqu’ ils font des réquisitions écrites aux audiences.

Enfin, l’obligation d’aviser le curateur ou le tuteur ne pèse pas sur le Juge des libertés et de la détention (JLD) lorsqu’il ordonne la mise en détention du mis en examen ou son placement sous contrôle judiciaire. De même cette obligation ne s’applique pas au juge de l’application des peines (JAP), qui est chargé d’aménager les sanctions prononcées par les juridictions.

Pour résumer, l’organe tutélaire :

  • doit être avisé des poursuites dont le majeur protégé fait l’objet
  • peut désigner ou faire désigner un avocat
  • peut solliciter une expertise médicale
  • peut prendre connaissance du dossier
  • peut s’entretenir avec le majeur protégé.
  • doit être avisé des dates d’audiences (devant le juge d’instruction et les juridictions de jugement).
  • peut être entendu en qualité de témoin (voir observations ultérieures).
  • doit être avisé des décisions rendues (y compris les décisions de relaxe, d’acquittement ou d’irresponsabilité pénale).
  • peut disposer d’un permis de visite si le majeur protégé est incarcéré (y compris en détention provisoire).

6.6 - L’exercice des voies de recours

En matière de curatelle : 

Aucun texte n’autorise le curateur à exercer une voie de recours pour le compte du majeur protégé à l’encontre d’une décision de justice rendue par une juridiction répressive.
Un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation en date du 2/09/2009 a rappelé que l’article 706-113 du CPP ne prévoit pas un droit d’appel pour le curateur : https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000021085200/

En matière de tutelle :


Certes, aucun texte ne prévoit pour le tuteur la possibilité de faire appel d’une décision rendue par une juridiction répressive à l’encontre du majeur protégé. De même le tuteur ne figure pas dans l’article 497 du CPP qui énumère la liste exhaustive des personnes ayant la faculté d’interjeter appel.
Néanmoins, il semble légitime que le majeur protégé dénué de capacité juridique, puisse être représenté par son tuteur dans les actes de procédure qu’il ne peut accomplir. Il parait en effet équitable qu’une personne sous tutelle condamnée à une peine d’emprisonnement en première instance, puisse faire appel par l’intermédiaire de son tuteur, alors qu’elle ne peut pas exprimer sa volonté.
Dans l’hypothèse où le tuteur rencontrerait une difficulté, par exemple en cas de conflit d’intérêt avec son protégé, il pourrait solliciter l’avis ou l’autorisation du juge des tutelles.
Il s’agit là de sauvegarder les droits fondamentaux du majeur protégé, lequel a, comme tout justiciable, droit à un procès équitable.

Le rôle du tuteur/curateur devant la juridiction d’application des peines 

Le tuteur ou le curateur a la possibilité, en vertu de l’article 712-16-3 du Code de procédure pénale, de « faire des observations écrites ou être entendu comme témoin par la juridiction de l'application des peines, sur décision de son président. », aux moments suivants : 

  • Lors du débat contradictoire tenu en chambre du Conseil concernant les mesures de placement à l'extérieur, de semi-liberté, de fractionnement et suspension des peines, de détention à domicile sous surveillance électronique et de libération conditionnelle (article 712-6 du code de procédure pénale) 
  • Lors du débat contradictoire tenu en chambre du Conseil concernant le relèvement de la période de sûreté, la libération conditionnelle ou la suspension de peine (article 712-13 du CPP)
  • Lors de l’audience d’appel des jugements sus mentionnés (article 712-12 du CPP). 

6.7 - L’expertise médicale

L’article 706-112-1 alinéa 2 du CPP prévoit que le curateur ou le tuteur peut demander que la personne soit examinée par un médecin.

L’article 706-115 du même code prévoit que « toute personne majeure bénéficiant d’une mesure de protection juridique faisant l’objet de poursuites pénales doit être soumise, avant tout jugement au fond, a une expertise médicale afin d’évaluer sa responsabilité pénale au moment des faits ». 

Toutefois, en matière correctionnelle, le juge peut décider par ordonnance motivée de ne pas soumettre l’intéressé à une expertise médicale dès lors que des certificats médicaux et expertises, figurant dans le dossier de protection juridique, apparaissent suffisants « pour apprécier si l’intéressé était ou non atteint, au moment des faits, d’un trouble psychique ayant aboli ou altéré son discernement », sauf opposition de la personne mise en examen ou du prévenu et de son avocat. (Article D 47-23)

 Un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation en date du 14/11/2019 a précisé que l’expertise médicale avait souligné que, « même si l’intéressé n’était pas en mesure de comprendre toute la subtilité des débats, il était apte à comparaitre devant une juridiction pénale et était accessible à une sanction pénale ». Dès lors, il appartenait aux enquêteurs de police et aux magistrats (Procureur de la République et juges d’instruction) de faire examiner le mis en cause par un médecin, « faute de quoi la procédure est viciée, s’agissant d’une atteinte aux droits de la défense ». https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=CASS_LIEUVIDE_2019-11-14_1886077&ctxt=0_YSR0MD0xNCBuwrAxOC04Ni4wNzfCp3gkc2Y9c2ltcGxlLXNlYXJjaA%3D%3D#

Dans un arrêt du 16/12/2020, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a cassé un arrêt de la Cour d’Appel de CHAMBERY, qui a condamné une personne sous curatelle sans avoir ordonné d’expertise médicale au motif que « Le défaut d’expertise porte une atteinte substantielle aux droits de la personne poursuivie bénéficiant d’une mesure de protection juridique à l’époque des faits, en ce qu’il ne lui permet pas d’être jugée conformément à son degré de responsabilité pénale. https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/2601_16_46142.html

Enfin, il y a lieu de rappeler que, trop souvent en l’absence d’expertise médicale, seul le certificat d’un médecin inscrit sur la liste du Procureur de la République, ou des certificats antérieurs à la mise sous protection soient versés au dossier. 

Cette pratique est regrettable.

6.8 - L’assistance obligatoire par l’avocat

L’arrêt de la CEDH du 31/01/2001 (arrêt VAUDELLE) affirme : « constitue une violation du droit à un procès équitable, le fait pour une personne placée sous curatelle, de ne pas être assistée ni par son curateur ni par un avocat ».

Au cours de la garde à vue, le curateur, le tuteur ou le mandataire spécial peut designer ou faire designer un avocat par le bâtonnier (article 706-112-1 du CPP). L’article 706-116 du même code prévoit que la personne poursuivie doit être assistée par un avocat.

A défaut de choix d’un avocat par la personne poursuivie, son curateur ou son tuteur, le Procureur de la République ou le juge d’instruction fait designer par le bâtonnier un avocat qui intervient en commission d’office. Les frais d’avocat sont à la charge de l’intéressé, sauf si celui-ci peut bénéficier de l’aide juridictionnelle.

Le majeur protégé ne bénéficie pas de l’aide juridictionnelle de droit. L’aide juridictionnelle provisoire peut lui être accordée en attente de l’obtention de l’aide juridictionnelle (les délais d’instruction des dossiers sont souvent longs).

NB : Si la personne doit être obligatoirement assistée par un avocat, la présence de l’avocat est non obligatoire en ce qui concerne la formulation d'une requête en mainlevée de la mesure d’hospitalisation sans consentement (Cour de cassation, première chambre civile, 31 janvier 2024, pourvoi 23-15.969 : Il résulte des articles L. 3211-12-2, L. 3211-12-4 et R. 3211-8 du code de la santé publique que la procédure suivie en matière de soins psychiatriques sans consentement n'est pas une procédure avec représentation obligatoire. Le patient peut seul former une requête en mainlevée de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12 du code de la santé publique, relever appel de la décision du juge des libertés et de la détention et s'en désister).

6.9 - Le majeur protégé, victime d’une infraction pénale 

Toute personne victime d’une infraction pénale peut déposer plainte devant les services de police, devant le Procureur de la République, ou se constituer partie civile entre les mains du juge d’instruction.

Si une personne faisant l’objet d’une mesure de protection rencontre des difficultés pour ce faire, elle peut être accompagnée par un proche, un membre d’une association d’aide aux victimes, ou par le mandataire judiciaire à la protection des majeurs (tuteur ou curateur).

Si son état ne lui permet pas d’accomplir une telle démarche, le tuteur ou le curateur peut la représenter ; s’il s’agit de faire valoir un droit extra-patrimonial, le mandataire devra solliciter au préalable l’autorisation du juge des tutelles (par exemple pour introduire une action en diffamation).

Les services de police, dans le cadre de l’enquête, peuvent procéder à l’audition du mandataire judiciaire à titre de simple renseignement.

Par ailleurs, l’article 434-3 du code pénal prévoit que « le fait, pour quiconque ayant connaissance de privations, de mauvais traitement, d’agressions ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison d’une maladie, infirmité, déficience physique ou psychique, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives, est puni d’une peine de prison et d’amende ».

Dès lors, si le mandataire judiciaire a eu connaissance de l’existence de ces faits, il doit les dénoncer et en rendre compte au juge des tutelles.

7 - Droit des soins sans consentement

Ce chapitre a principalement été rédigé par l’UNAFAM, association qui représente les familles dans les Commissions Départementales des Soins Psychiatriques aux côtés de médecins, associations de patients et, jusque récemment, de magistrats. Ont aussi fait des apports substantiels l’association Avocats, Droits et Psychiatrie ainsi que la Commission Santé et Bioéthique du Barreau de Paris.

7.1 - Une succession d’ajustements législatifs

Le Code de la santé publique définit les modalités de soins en psychiatrie. Il a fait l’objet de réformes successives à rythme rapide visant à encadrer une étrangeté juridique : des privations de liberté prises par des médecins.

La loi n°2011-803 du 5 juillet 2011 « relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge » a formulé le schéma général visant à « sécuriser les mesures de soins psychiatriques ». Cette loi a été modifiée par la loi n°2013-869 du 27 septembre 2013. Principes posés :

  • les soins psychiatriques libres sont la règle et les soins psychiatriques sans consentement l’exception ;
  • l’hospitalisation complète n’est plus que l’une des modalités de soins psychiatriques sans consentement ;
  • l’hospitalisation complète est le passage obligé pour entrer en soins psychiatriques sans consentement ;
  • au terme de la « période d’observation et de soins initiale » de soixante-douze heures, l’hospitalisation complète a vocation à s’ouvrirsur d’autres formes (« modalités ») de soins sans consentement.
  • les soins psychiatriques sans consentement sont dispensés exclusivement dans des établissements « désignés » par le directeur général de l’agence régionale de santé (article L. 3221-1 du Code de la santé publique).
  • les mesures de soins sans consentement n'ont pas vocation à être maintenues indéfiniment ;
  • elles doivent être levées dès que les conditions qui les ont justifiées ne sont plus réunies.

Les législateurs successifs ont fait planer sur les éventuels infracteurs à ce double postulat (directeurs d’hôpitaux ou médecins) l’ombre tant de dispositions de droit pénal général, que de dispositions spécifiques formulées aux articles L. 3215-1 à L. 3215-4 du Code de la santé publique.

La jurisprudence du Conseil d’Etat a donné une qualification juridique aux pratiques d’infidélité à ces principes. Ainsi un arrêt du Conseil d’Etat (CE, 18 octobre 1989, n°75096, Mme BROUSSE, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000007765340&fastReqId=459229246&fastPos=1) explique : « Une personne majeure présentant des signes d’aliénation mentale ne peut être retenue contre son gré dans un établissement d’hospitalisation que pendant le temps strictement nécessaire à la mise en œuvre des mesures d’internement d’office ou de placement volontaire, prévues par le Code de la santé publique … dès lors, le maintien contre son gré dans le service constitue une voie de fait ».

Les législateurs de 2011 et de 2013 ont posé un troisième postulat. Désormais, avant toute décision prononçant le maintien des soins, le deuxième alinéa de l’article L. 3211-3 du Code de la santé publique doit être appliqué. Il impose que : « L’avis de cette personne (la personne en soins psychiatrique sans consentement) sur les modalités de soins doit être recherché et pris en considération dans toute la mesure du possible ». Passer outre revient à prendre le risque de voir la décision faire l’objet d’une ordonnance de mainlevée du juge des libertés et de la détention (JLD), ainsi que l’a démontré un magistrat du TGI de Bordeaux. Ce dernier, dans une ordonnance du 16 avril 2013 (n°13/00440, https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/2013-04-16-jld-bordeaux.pdf), a levé la mesure sur le motif d’une procédure irrégulière de maintien de la mesure de soins car elle ne respectait pas la règle du principe du contradictoire.

La Cour de cassation a rendu ce principe applicable alors même qu’une décision de soins sans consentement n’en est qu’au stade du projet. Ainsi, dans une décision du 18 juin 2014 (n°13-16887, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029115529&fastReqId=442068419&fastPos=1), la première chambre civile de la Cour de cassation a confirmé une levée de mesure en soulignant qu’il ne ressortait pas « des pièces produites par le préfet au soutien de sa saisine du juge des libertés et de la détention, et pas davantage lors des débats en appel, que le patient ait été avisé au préalable, au fin de recueil de ses observations, du projet de décision préfectorale d’admission en hospitalisation complète ». Enfin, le juge judiciaire (CA d’Aix-en-Provence, ordonnance de mainlevée du 25 juillet 2014, n°2014/104, https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/2014-07-25-ca-aix-en-provence-mainlevee-sdre-abs-de-contradictoire.pdf) a qualifié cette violation du principe formulé par l’article L. 3211-3 de « violation du principe du contradictoire (qui) porte atteinte aux droits » du patient.

La loi n°2016-41 de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016 a ajouté des garanties en ce qui concerne la vérification de la nécessité et de la durée des mesures d’isolement et de contention. L’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique organise trois garanties :

  • les pratiques d’isolement et de contention doivent être un dernier recours ;
  • dans chaque hôpital un registre des mises en isolement et en contention est créé;
  • chaque établissement doit rédiger un rapport annuel précisant notamment la politique définie pour limiter le recours aux pratiques d’isolement et de contention.

Une décision du Conseil Constitutionnel du 19 juin 2020 (n° 2020-844 QPC, https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020844QPC.htm) a amené le gouvernement à organiser, dans l’urgence, à travers l’article 84 de la loi du 14 décembre 2020, le contrôle par le JLD de la durée de l’isolement et de la contention.

Par une ordonnance du 6 janvier 2021 (n°21/008), le JLD a accepté la transmission d’une QPC devant la Cour de cassation au sujet de l’article 84 de la Loi n°2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la Sécurité sociale pour l’année 2021 modifiant les articles L3222-5-1, L3211-1-12, et L3211-12-1 du Code de la Santé publique, au regard des article 34 et 66 de la Constitution. Les dispositions contestées fixent les modalités d’information et de contrôle du juge judiciaire des mesures d’isolement et de contention mises en œuvre dans le cadre des mesures de soins psychiatriques lors d’une hospitalisation complète. Il leur est reproché de représenter un “cavalier social” car intégrées à un texte législatif n’ayant que pour but les ressources et dépenses de la sécurité sociale (atteinte à l’article 34 de la Constitution). De plus, les dispositions ne prévoient pas l’intervention systématique du juge pour des situations constitutives de privation de liberté (atteinte à l’article 66 de la Constitution).

7.2 - Les procédures d’admission en soins sans consentement

7.2.1 - Soins sans consentement à la demande d’un tiers (SDT)

I. L’admission (normale) à la demande d’un tiers

L’article L. 3212-1 du Code de la santé publique fixe les conditions d’admission en soins sans consentement à la demande d’un tiers (SDT) :
« I. – Une personne atteinte de troubles mentaux ne peut faire l’objet de soins psychiatriques sur la décision du directeur d’un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 du Code de la santé publique que lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
1°. Ses troubles rendent impossible son consentement ;
2° Son état mental impose des soins immédiats assortis soit d’une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit une surveillance médicale régulière justifiant une prise en charge sous la forme mentionnée au 2° du I de l’article L. 3211-2-1 … »

Lorsque ces deux conditions de fond ne sont pas médicalement établies, le JLD décide de la mainlevée de la mesure.

Plusieurs éléments sont nécessaires, pour satisfaire à ces conditions.

A. Certificats médicaux

¨Pour satisfaire à ces conditions, deux certificats médicaux attestant de la présence de troubles mentaux et de l'impossibilité de consentir aux soins doivent être produits.

L’article L. 3212-1, II du Code de la santé publique précise : « … La décision d’admission est accompagnée de deux certificats médicaux circonstanciés, attestant que les conditions prévues aux 1° et 2° du présent article sont réunies … ».

Les « certificats médicaux », à la différence des « avis médicaux », doivent nécessairement :
- Faire suite à un examen clinique de la personne
- Être établis en conformité avec les règles de la déontologie médicale afférentes à ce type de document.

Ainsi, la chambre correctionnelle de la Cour d’appel d’Orléans a condamné à six mois de prison avec sursis et trois mille euros d’amende un médecin qui avait rédigé un certificat ayant permis une hospitalisation à la demande d’un tiers alors qu’il n’avait pas examiné la patiente.

Les certificats médicaux qui ont accompagné la demande sont les éléments les plus importants pour le JLD chargé d’apprécier l’existence des conditions de fond posées par l’article L. 3212-1, I. Si des éléments médicaux plus récents sont apportés, ils ne sont utiles que pour vérifier le maintien de l’existence de ces conditions à la date à laquelle le JLD effectue son contrôle.

L’article L 3212-1, II du Code de la santé publique dispose :
« … Le premier certificat ne peut être établi que par un médecin n’exerçant pas dans l’établissement accueillant le malade; il constate l’état mental de la personne malade, indique les caractéristiques de sa maladie et la nécessité de recevoir des soins. Il doit être confirmé par un certificat d’un second médecin qui peut exercer dans l’établissement accueillant le malade … ».

Les rédacteurs du premier et du second certificats doivent donc être des praticiens différents, et à la compétence légale différente. Le non-respect de la compétence légale formulée par l’article L. 3212-1 constitue une irrégularité qui peut être soulevée devant le JLD[1].

Les certificats médicaux doivent apporter les preuves de la nécessité de la mesure. Voir l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille du 7 juillet 2008.

Sur le fondement de l’article L. 3212-8 du Code de la santé publique, le représentant de l’Etat dans le département (le préfet) et le juge des libertés et de la détention peuvent, à tout moment ordonner la levée d’une hospitalisation en soins à la demande de tiers (SDT), dès lors qu’au vu des certificats médicaux, ils constatent que les conditions de l’hospitalisation ne sont pas réunies.
Le contrôle par le préfet des conditions d’admission doit être effectif. Jean-Marc PANFILI, commentant une décision du TGI de Paris du 21 mai 2014, n°13/04063, souligne que « A ce titre, s’il a concouru au dommage consécutif à l’hospitalisation à la demande d’un tiers, l’Etat est condamné in solidum avec l’établissement hospitalier à indemniser le préjudice qui en résulte »[2].

Yves BENHAMOU, conseiller à la Cour d’appel de Douai, explique que : « Dans le cadre de l’hospitalisation à la demande d’un tiers, … la Cour d’appel vérifie scrupuleusement s’il y a ou non consentement aux soins de l’intéressé (la présence de ce dernier à l’audience étant à ce sujet très utile) ». Il souligne que : « Les certificats médicaux (qui accompagnent la demande d’admission) doivent impérativement être motivés et expliciter de manière précise les troubles mentaux affectant le patient ainsi que les troubles du comportement qui en résultent. De tels certificats doivent aussi indiquer en quoi ces troubles mentaux nécessitent des soins psychiatriques sous la forme de l’hospitalisation complète. » (Gazette du Palais, 25 et 26 avril 2012, p. 6).

Le directeur de l’établissement qui admet une personne sans demande d’un tiers et des deux certificats médicaux encourt des peines correctionnelles d’emprisonnement et d’amende.  Le Conseil d’Etat, le 18 octobre 1989 considérait que le maintien en l’absence d’un tel « titre » de la personne « contre son gré…  dans le service constitue une voie de fait ».

  • La notion de surveillance médicale constante

Les certificats médicaux doivent faire ressortir que l’état mental impose une « surveillance médicale » qui doit être « constante » (en hospitalisation complète) ou « régulière » (en soins ambulatoires) (article L. 3212-1, I-2°). Ceci ne signifie pas que le malade hospitalisé doit être surveillé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ni qu’un médecin ou une équipe médicale doit être à son chevet en permanence, mais « qu’une équipe soignante engagée dans un projet thérapeutique est à tout moment susceptible d’intervenir en cas de besoin » (ministère des affaires sociales et de l’intégration, fiche ministérielle n°1 du 13 mai 1991).

Dans la jurisprudence, la notion de « surveillance médicale constante » déborde du champ des soins sans consentement à la demande d’un tiers et est mentionnée dans des décisions afférentes au champ des soins sans consentement sur décision du représentant de l’Etat. Ainsi, une ordonnance de la Cour d’appel de Poitier en date du 14 janvier 2016 évoque le cas d’un patient dont le juge d’appel a relevé qu’il présente « un état de santé rendant impossible son consentement et nécessitant une surveillance constante sous le régime de l’hospitalisation d’office ». 

B. La qualité de tiers (article L. 3212-1, II-1°)

Conformément à l'article L.3212_1, II-1° du Code de la santé publique, le « tiers » ayant « qualité pour agir dans l’intérêt » du malade, doit rentrer dans l'une des trois catégories :

  • celle de « membre de la famille du malade » ;
  • celle de « personne justifiant de l’existence de relations avec le malade antérieures à la demande de soins et lui donnant qualité pour agir dans l’intérêt de celui-ci… » 
  • celle de tuteur ou de curateur d’un majeur protégé.

La jurisprudence sur le sujet précise la définition de la deuxième catégorie. Jean-Marc PANFILI, commentant une ordonnance du TGI de Versailles (ordonnance de mainlevée du JLD du 25 octobre 2013, n°13/01166), explique : « En pratique, le JLD a pu exiger non pas la vérification, mais a minima la mention explicative de la nature du lien entre le demandeur et le patient ». Le lien avancé ne convainc pas toujours le juge. Ainsi, dans une autre affaire (TGI de Versailles, 19 août 2016), le juge n’a pas été convaincu qu’un « voisinage vieux de 35 ans », donnait à une « voisine », « la qualité pour être tiers demandeur de soins ».

Par ailleurs, dans deux ordonnances de mainlevée de la CA de Versailles, le juge d'appel a considéré que "la seule mention de directeur d’un centre d’hébergement ne suffisait pas à démontrer des relations antérieures dans l’intérêt du patient." Il a ajouté que pour prétendre être tiers, il faut apporter la preuve que l’on a effectivement des « relations avec le patient antérieurement à la demande » » [3].

  • Incompatibilités

Quelle que soit la catégorie à laquelle appartient le demandeur, il importe que ce dernier ne soit pas en conflit notoire avec le malade, comme l’a précisé la Cour de cassation le 18 décembre 2014 : : « La Cour attend une approche qualitative de l’intérêt du patient, ce qui exclut en l’occurrence, la sollicitation de tout proche en conflit connu avec le patient. Ainsi, la mainlevée peut être ordonnée par le JLD (TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 5 mai 2015, n°15/00452) si le tiers demandeur est l’époux, et que la demande intervient dans un contexte de conflit conjugal, notamment une instance de divorce »[4].

L’article L. 3212-1 énonce aussi une incompatibilité à être tiers demandeur pour « des personnels soignants exerçant dans l’établissement prenant en charge la personne malade ». En revanche, les assistants sociaux de l’établissement, même s’ils font partie de l’équipe pluridisciplinaire de psychiatrie, ne rentrent pas dans la catégorie du « personnel soignant ». Le tribunal administratif de Limoges a ainsi rendu en 2009 un jugement dans lequel il reconnaît l'intérêt à agir des assistantes sociales mais annule la décision d'admission car cette dernière "n’avait pas justifié de relations antérieures avec la personne” internée (TA de Limoges, 9 avril 2009.

C. Conditions de forme

La demande du tiers doit être manuscrite, datée et signée

La demande du tiers doit répondre à certaines conditions de forme, sans que le JLD soit tenu de relever d’office une irrégularité.

L’article L. 3212-2 du Code de la santé publique dispose : 
« Avant d’admettre une personne en soins psychiatriques en application de l’article L. 3212-I, le directeur de l’établissement d’accueil s’assure de son identité. Lorsque la personne est admise en application du 1° du II du même article L. 3212-1, le directeur de l’établissement vérifie également que la demande de soins a été établie conformément au même 1° et s’assure de l’identité de la personne qui formule la demande de soin. Si la demande est formulée pour un majeur protégé par son tuteur ou curateur, celui-ci doit fournir à l’appui de sa demande un extrait de jugement de mise sous tutelle ou curatelle ».

Dans une décision du 19 juin 2017, la Cour d'appel de Paris précise qu'« en l’espèce, il a été produit au dossier la copie de la carte d’identité de la personne qui a sollicité la mesure mais non le jugement de curatelle [...] l’absence de cette pièce ne permet pas de vérifier la régularité de l’admission à l’hôpital pour laquelle les services hospitaliers doivent être particulièrement vigilants et la décision d’admission faite sans justificatif de la qualité de curateur de l’association est irrégulière.»

Le détail de la forme et du contenu de la demande est fixé par l’article R. 3212-1 du Code de la santé publique, qui précise que la demande doit comporter cinq mentions manuscrites. Dans la pratique, il est considéré que la demande doit être entièrement manuscrite.

A défaut, la mainlevée sera ordonnée : « Attendu qu’il apparait à la lecture de la procédure et comme cela est soutenu par la défense de l’intéressé que cette demande, si elle a bien été signée par la mère de l’intéressé, n’a pas été écrite de sa main comme elle aurait du l’être conformément aux dispositions de l’article R 3212-1 du Code de la santé publique. » (JLD Bobigny, 27 novembre 2017, n°17/08691)

D. Respect des délais

Le directeur de l’établissement décide dans le respect de délais.

La procédure d’hospitalisation à la demande d’un tiers est engagée dès lors qu’un tiers a signé une demande d’admission et qu’un premier médecin a rédigé un certificat médical conforme aux dispositions de l’article L. 3212-1. L’engagement de la procédure est créateur de droits pour la personne à l’égard de laquelle elle est engagée et d’obligations pour l’établissement d’accueil (et en premier lieu pour son directeur) (Ministère de la santé, fiche ministérielle n°1 du 13 mai 1991). 

Quelle que soit la forme du soin sans consentement, le directeur de l’établissement d’accueil dispose « d'une compétence liée pour toutes les décisions d’admission, de réadmission, de modification de la prise en charge ou de la levée de la mesure de soins qu’il prend » (rapport n°4402 du 22 février 2012 de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale, p.23).

La décision d’admission en SDT est prise par le directeur de l’établissement d’accueil au vu des documents légaux qui lui ont été transmis (demande du tiers et certificats médicaux circonstanciés).

Le directeur de l’établissement qui admet une personne sans demande d’un tiers et des deux certificats médicaux encourt des peines correctionnelles d’emprisonnement et d’amende.  Le Conseil d’Etat, le 18 octobre 1989 considérait que le maintien en l’absence d’un tel « titre » de la personne « contre son gré…  dans le service constitue une voie de fait ».

a. La décision administrative d'admission doit être prise avant l'entrée dans l'unité de soins

L’absence matérielle de décision administrative d’admission est sanctionnée par la mainlevée de l'hospitalisation. (CA Versailles, ordonnance de mainlevée du 23 mai 2014).

La décision d’admission fait courir le délai légal du contrôle du JLD.

b. La production de l'acte administratif peut être retardée après l'entrée du patient dans l'unité de soins

Le Conseil d’Etat , dans un arrêt du 17 novembre 1997 a précisé que ce possible délai ne saurait dépasser le « temps strictement nécessaire » à l’élaboration de l’acte administratif et ne semble pouvoir être justifié qu’en raison de situations d’urgence et/ou de contraintes structurelles pesant sur l’administration hospitalière (lesquelles semblent davantage relever de la tolérance).

La jurisprudence judiciaire va dans le même sens [5] :

  • Une ordonnance du TGI de Versailles du 1er août 2014 (ordonnance de mainlevée du JLD du 1er août 2014, n°14/00762) a prononcé une mainlevée en constatant que, dans le cas d’un délai de 24 heures entre l’admission dans le service et la production de l’acte administratif, la personne avait été maintenue en admission sans consentement sans titre légal ;
  • Une ordonnance de la CA de Versailles du 26 mars 2015 (n°15/02071) a considéré que la « décision d'admission ne  peut être régularisée rétroactivement par écrit le lendemain de l'hospitalisation, sans urgence dûment justifiée » ;
  • Une ordonnance de la CA de Paris du 2 mai 2017 (n°17/00154) a confirmé une mainlevée au motif que la décision du directeur d’admettre en hospitalisation sans consentement était rétroactive de deux jours par rapport à l’admission dans le service.
  • Délégation de signature

Selon les dispositions de droit commun fixées par le Code des relations entre le public et l’administration en ses articles L. 112-2 et L. 212-1, toute décision prise par une autorité administrative (et donc la décision d’admission en SDT) doit comporter la signature de son auteur, la mention lisible du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci.

S’il est possible, en vertu de l’article D. 6143-33 du Code de la santé publique, pour le directeur d’établissement, de déléguer sa signature, l’article D. 6143-34 précise que cette délégation doit mentionner :
- le nom et la fonction de l’agent auquel la délégation a été donnée ;
- la nature des actes délégués ; - - éventuellement les conditions ou réserves dont le directeur juge opportun d’assortir cette délégation.

Par ailleurs, Il est prévu par l’article D. 6143-35 du Code de la santé publique que les délégations doivent être "publiées par tout moyen les rendant consultables".

Faute de délégation expresse et publique de signature, le JLD a ordonné une mainlevée en retenant l’incompétence de l’administrateur de l’hôpital(TGI de Dijon, 19 janvier 2012). Ce fut également le cas en appel (CAA Bordeaux, 27 novembre 2012, n°11BX03222). "Les juges rappellent que l’incompétence de l’auteur de l’acte constitue un moyen d’ordre public. Il apparait donc impératif que les pièces justifiant de la publication des délégations soient transmises au JLD. La signature doit être apparente sur les documents qui doivent comprendre de manière lisible le nom, le prénom et la qualité de son auteur, ceci afin de permettre toute vérification relative à la compétence."

Cette exigence de précision a été confirmée en appel (CAA de Paris, 20 janvier 2014, n°12PA01934[6]. La Cour d’Appel de Douai a ainsi, dans une ordonnance du 26 septembre 2013 (n°13/00050), estimé que l’absence d’affichage public des délégations de signature, qui n’avaient pas non plus été jointes aux décisions d’hospitalisation, causait nécessairement un grief à la patiente hospitalisée sans consentement.

E. Notification de la décision à la personne et à son tuteur

La décision d’admission obéit à des règles d’information de la personne admise en soins sans consentement, conformément au troisième alinéa de l’article L. 3211-3 du Code de la santé publique. Dans un arrêt du 18 juin 2014, la Cour de Cassation a estimé que l’absence de notification à la personne hospitalisée sous contrainte, de la mesure de maintien la concernant, ainsi que de ses droits et des règles de procédure afférentes à cette mesure, suffisent à justifier une décision de mainlevée.

Les certificats médicaux, qui sont la référence de la décision d’admission, doivent être notifiés à la personne, à moins que le contenu ne soit incorporé dans les considérants de la décision.

Selon la décision de la Cour d'appel de Dijon du 22 mars 2013, doivent être incorporés dans l’acte administratif, « au moins de manière synthétique les éléments médicaux retenus par les médecins et constituant le support de [l]a décision ». L’absence d’incorporation des éléments médicaux prive le patient « de la connaissance des motifs médicaux qui fondaient la décision d’hospitalisation complète prise à son égard » et entraîne la mainlevée de la mesure.

La Cour de cassation le 18 juin 2014 considère que la mainlevée de la mesure est justifiée si le patient n’a pas reçu les informations requises et qu’il en a conçu un grief (voir aussi Cour de Cassation 15 janvier 2015, n°13-24361).

Suite à ces arrêts, le JLD de Brest a considéré qu’un retard non justifié d’une journée à la notification constituait un motif de mainlevée (TGI de Brest, ordonnance de mainlevée du JLD du 1er août 2014, n°274/2014)[7].

Enfin, l’article L. 3212-5 du Code de la Santé publique établit des règles d’information du représentant de l’Etat, ainsi que de la commission départementale des soins psychiatriques. Jean-Marc PANFILI souligne que : « L’article L. 3215-2 du Code de la santé publique dispose que le fait d’omettre d’adresser au représentant de l’Etat dans le département et dans les délais prescrits, la décision d’admission, les certificats médicaux, et le bulletin d’entrée, est passible d’emprisonnement et d’amende »[8].

L’article L3211-10 du CSP dispose « Hormis les cas prévus au chapitre III du présent titre, la décision d'admission en soins psychiatriques d'un mineur ou la levée de cette mesure sont demandées, selon les situations, par les personnes titulaires de l'exercice de l'autorité parentale ou par le tuteur. En cas de désaccord entre les titulaires de l'exercice de l'autorité parentale, le juge aux affaires familiales statue. »

Dans un avis du 18 mai 2022, la Cour de cassation explique que cet article s’analyse comme excluant le recours à l’admission en soins psychiatriques contraint sur décision du directeur d’établissement pour les mineurs.

Le recours à l’hospitalisation sur décision du représentant de l’Etat reste possible.  

 II. L’admission à la demande d’un tiers en urgence (SDTU)

L’article L. 3212-3 du Code la santé publique prévoit  :
« En cas d’urgence, lorsqu’il existe un risque grave d’atteinte à l’intégrité du malade, le directeur d’un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 peut, à titre exceptionnel, prononcer à la demande d’un tiers l’admission en soins psychiatriques d’une personne malade au vu d’un seul certificat médical émanant, le cas échéant, d’un médecin exerçant dans l’établissement. Dans ce cas, les certificats médicaux mentionnés aux deuxième (certificat de vingt-quatre heures) et troisième alinéa (certificat de soixante-douze heures) de l’article L. 3211-2-2 sont établis par deux psychiatres distincts.

« Préalablement à l’admission, le directeur de l’établissement d’accueil vérifie que la demande de soins a été établie conformément au 1° du II de l’article L. 3212-1 et s’assure de l’identité de la personne malade et de celle qui demande les soins. Si la demande est formulée pour un majeur protégé par son tuteur ou curateur, celui-ci doit fournir à l’appui de sa demande un extrait de jugement de mise sous tutelle ou curatelle ». La demande de tiers doit être « établie conformément au 1° du II de l’article L. 3212-1 », et donc répondre à toutes les conditions de forme requises par le dispositif précédemment évoqué. L’allégement de la procédure tient dans le fait que le directeur de l’établissement peut prononcer l’admission « au vu d’un seul certificat médical émanant, le cas échéant, d’un médecin exerçant dans l’établissement ».


[1] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, p. 11

[2] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, p. 52, https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/panfili_jean-marc_2018-12-23_analyse_de_la_jpdce_mise_a_jour.pdf

[3] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, pp. 17-18

[4] Ibid., p. 17

[5] Ibid. pp.15-16

[6] Ibid., pp. 9-10

[7] Ibid., p. 23

[8] Ibid., p. 53

7.2.2 - L’admission en cas de péril imminent et d’impossibilité d’obtenir la demande de tiers (SPPI)

Le « péril imminent pour la santé de la personne » correspond à l’existence d’un danger immédiat pour la santé de la personne à la date d’admission. La procédure se caractérise par une double simplification.

Ainsi, « le péril imminent » justifie l’admission :
- En l'absence de demande de tiers
- Sur la présentation d'un seul certificat médical établi par un médecin extérieur à l'établissement

L’article L.  3212-1 du Code de la santé publique précise :
« II - Le directeur de l'établissement prononce la décision d'admission
2°… lorsqu'il s'avère impossible d'obtenir une demande (de tiers) dans les conditions prévues au 1° du présent II et qu'il existe à la date d'admission, un péril imminent pour la santé de la personne, dûment constaté par un certificat médical établi dans les conditions prévues au troisième alinéa du même 1°. Ce certificat constate l'état mental de la personne malade, indique les caractéristiques de sa maladie et la nécessité de recevoir des soins. Le médecin qui établit ce certificat ne peut exercer dans l'établissement accueillant la personne malade ; il ne peut en outre être parent ou allié, jusqu'au quatrième degré inclusivement, ni avec le directeur de cet établissement ni avec la personne malade.
Dans cas, le directeur de l'établissement d'accueil informe dans un délai de vingt-quatre heures, sauf difficultés particulières, la famille de la personne qui fait l'objet de soins, et le cas échéant, la personne chargée de la protection juridique de l'intéressé ou, à défaut, toute personne justifiant de l'existence de relations avec la personne malade antérieures à l'admission en soins et lui donnant qualité pour agir dans l'intérêt de celle-ci.
Lorsque l'admission a été prononcée en application du présent 2°, les certificats médicaux mentionnés au deuxième et troisième alinéa de l'article L. 3211-2-2 sont établis par deux psychiatres distincts. » 

La première chambre civile de la Cour de Cassation a confirmé (11 juillet 2019 ; voir aussi 5 décembre 2019), que le certificat médical doit impérativement émaner d’un médecin n’exerçant pas dans l’établissement d’accueil.

Elle a ensuite souligné l’importance de cette condition en affirmant que « l’irrégularité d’un certificat médical ne constitue pas une exception de procédure, au sens du dernier texte, mais une défense au fond » (19 décembre 2019, n°19-22946).

La jurisprudence exige la motivation spécifique d’un péril imminent, et s’il n’est pas caractérisé, la mainlevée sera ordonnée.

Ainsi, les juges ont rendu les décisions suivantes :

  • « Si ce certificat met sans conteste en évidence des troubles mentaux rendant nécessaires des soins psychiatriques ce que reconnaît M, pour autant, il ne caractérise pas l’existence d’un péril imminent. » (CA Versailles 03 fév. 2017, n°17-00888)
  • «Que la procédure de péril imminent suppose donc deux conditions cumulatives : L’impossibilité d’obtenir la demande d’un tiers et la caractérisation d’un péril imminent pour la santé de la personne ; Qu’en l’espèce, le certificat médical établi par le Docteur X le 5 janvier 2018 à 22h40 indique :  troubles du comportement, délire hallucinatoire, agitation psychomotrice, rupture du traitement [...] Que ce certificat médical, s’il met en avant les troubles de Y rendant nécessaires des soins psychiatriques ne caractérise pas le péril imminent ; qu’il n’est pas mentionné en quoi les troubles présentés par la patiente mettent en danger sa santé ; et la seule mention préimprimée « son état mental présente un péril imminent pour sa santé et impose des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale constante » ne peut caractériser l’existence du péril ; Qu’ainsi les conditions du péril imminent de l’article L.3212-1-II-2° du CSP ne sont pas remplies ; Que le recours à une procédure dérogatoire qui prive le patient de l’avis de ses proches sur son hospitalisation et de double regard médical prévu par la procédure d’hospitalisation à la demande d’un tiers, en dehors de l’urgence, fait grief au patient privé sans son consentement de sa liberté individuelle ; Qu’il convient donc, sans examiner les autres moyens soulevés par Me SOULARD, d’ordonner la mainlevée de la mesure d’hospitalisation ; » (JLD Pontoise, 12 janvier 2018,  n°18-34)

Par ailleurs, l’information faite à la famille de la personne, le mandataire ou toute personne ayant « qualité pour agir » dans son intérêt donne qualité à cette personne pour saisir le JLD en application du « I » de l’article L. 3211-12, si elle estime que l’admission en SPPI est injustifiée.

L’objectif avancé par le législateur de 2011 pour justifier la mise en place de la procédure allégée de SPI était principalement de faciliter la prise en charge en soins sans consentement et en urgence des personnes isolées. Cette procédure est également devenue courante dans le cas de personnes qui, après avoir été recueillies ou appréhendées sur la voie publique par les services de secours ou de police, sont conduites dans les services d'urgences des hôpitaux généraux. Jean-Marc PANFILI explique toutefois à ce sujet : « Il pèse … une obligation de moyens sur l’établissement de santé pour la recherche d’un tiers demandeur de soins. … Ainsi, une mainlevée de mesure de soins pour péril imminent a été prononcée par le JLD (TGI de Versailles, 12 août 2014, n°14/06094) car l’établissement ne justifiait pas avoir tenté lors de l’admission, puis dans le délai de 24 heures, de contacter un membre de la famille ou un proche, ou de s’être heurté à des difficultés voire à une impossibilité de contacter la famille du patient. En appel (CA de Versailles, ordonnance de mainlevée, 11 août 2015, n°15/05823), la mainlevée a été obtenue, le centre hospitalier n’étant pas en mesure de justifier des démarches entreprises pour rechercher un tiers, avant de recourir à la procédure dérogatoire d’hospitalisation sous contrainte en péril imminent »[1].

Par une ordonnance du 6 janvier 2021 (n°21/008), le JLD du Tribunal judiciaire de Versailles rappelle que tout proche, famille, personne chargée d’une protection juridique, personne justifiant l’existence d’une relation, doit être informé lors de l’admission en soins sans consentement pour péril imminent au regard de l’article L3212-1 al. 2 du Code de la santé publique. 

L’atteinte aux droits du patient est avérée lorsque l’établissement n’apporte pas la preuve de la recherche des proches alors même que l’établissement a reçu un avis motivé démontrant l’existence d’une mesure de protection de la personne concernée, en l’espèce, confiée à l’UDAF 33. La main levée est donc justifiée. 

Dans un arrêt du 10 février 2021, la Cour de cassation rappelle qu'en cas de péril imminent et lorsque les conditions de l’article L. 3212-1, II, 2°, sont remplies, un directeur d’établissement peut décider de l’admission sans son consentement, d’une personne en hospitalisation complète, même à la suite d’une décision judiciaire de mainlevée. 

La décision ne peut se borner à faire référence au certificat médical circonstancié qu'à la condition que ce dernier soit annexé à la décision.

Cour de cassation, Première chambre civile, 26 octobre 2022, Pourvoi n°20-23.333 : Dans cette affaire, il s’agit d’une situation d’hospitalisation sans consentement pour péril imminent, pour laquelle il est reproché au directeur d’établissement de n’avoir pas fait toute diligence pour informer la famille de la personne qui a fait l’objet de soins dans un délai de vingt-quatre heures et, le cas échéant, la personne chargée de la protection juridique de l’intéressé ou, à défaut, toute personne justifiant de l’existence de relations avec la personne malade antérieures à l’admission en soins et lui donnant qualité pour agir dans l’intérêt de celle-ci. Dans le cas d’espèce, le patient se trouvait en « errance » lors de son admission après avoir été mis à la porte par ses parents. Il a exprimé son refus de faire prévenir ceux-ci. L’obligation d’information a une exception en cas de « de difficultés particulières » conformément à l'article L. 3212-1, II, 2° du code de la santé publique. La cour de cassation a jugé que le patient refuse que sa famille soit informée de la mesure relève de cette exception. Cette appréciation est en corrélation avec l’article L. 1110-4 du code de la santé publique qui rappelle le droit au respect des informations concernant le patient

Source UNAFAM

[1] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, pp. 18-19

7.2.3 - L’admission sans consentement sur décision du représentant de l’Etat (SDRE)

La procédure de mise en œuvre des soins psychiatriques sans consentement sur décision du représentant de l’Etat dans le département (SDRE) est développée dans le chapitre « Admissions en soins psychiatriques sans consentement sur décision du représentant de l’Etat » du Code de la Santé Publique. Dans ce chapitre se trouve également l'article L. 3213-2 afférent aux mesures provisoires prises par les maires ou, à Paris, par les commissaires de police.

L’article L. 3213-1 du Code de la santé publique dispose :

« I - Le représentant de l'Etat dans le département (le préfet) prononce par arrêté, au vu d'un certificat médical circonstancié ne pouvant émaner d'un psychiatre exerçant dans l'établissement d'accueil, l'admission en soins sans consentement dans un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l'ordre public. Les arrêtés sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l'admission en soins nécessaire. Ils désignent l'établissement mentionné à l'article L. 3222-1 qui assure la prise en charge de la personne malade ». 

A. Le risque d’atteinte à la sûreté des personnes ou d’atteinte grave à l’ordre public :

La notion de « sûreté des personnes » est également présente dans l’article L. 3213-2.  Ainsi, le risque d’atteinte à la « sureté des personnes » peut justifier tout aussi bien une mesure de SDRE prise par un préfet qu’une mesure provisoire prise par un maire, ou un commissaire à Paris.             

En l’absence de dangerosité de la personne, la mainlevée sera ordonnée par le juge :

« S’il ne résulte pas des articles L. 3213-1, L. 3213-3 et R. 3213-3 du Code de la santé publique l’exigence de la mention, dans le certificat médical circonstancié qu’ils prévoient, que les troubles nécessitant des soins « compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public », une telle qualification doit néanmoins ressortir de la décision préfectorale.

Il résulte de ces éléments que K présente des troubles exigeant des soins, même si son conseil a parfaitement objectivé la réalité des problèmes de voisinage dont seule l’expression revêt un aspect délirant.

Toutefois l’impossibilité de son consentement aux soins nécessaire ne résulte pas du dernier certificat alors qu’il a déclaré formellement avoir besoin d’un suivi que sa famille s’engage à le faire adopter selon son Conseil.

En outre il ne peut qu’être constaté que le danger pour la sûreté des personnes qu’il aurait présenté n’est pas objectivé par le seul état qu’il a présenté en l’absence de tout élément d’agressivité envers lui-même ou les autres et que les circonstances, certes singulières an lesquelles il a souhaité déposer plainte, ne peuvent être analysées en u trouble à l’ordre public ;

En conséquence il y a lieu d’infirmer la décision entreprise et d’ordonner la mainlevée de la mesure d’hospitalisation. » (CA Paris, 25 août 2017, n°17/00371)

La simple référence au concept de « dangerosité » ne suffit pas à caractériser le risque d’atteinte à l’ordre public et à la sécurité des personnes. 

C’est pourquoi, dans un arrêt du 31 mars 2021, la Cour de cassation a cassé l’ordonnance autorisant le maintien en hospitalisation complète d’une personne au motif que le juge de la Cour d’appel s’était uniquement basé sur « le potentiel de dangerosité [du requérant] sans indiquer en quoi cette dangerosité psychiatrique était de nature à compromettre la sécurité des personnes ou à porter gravement atteinte à l’ordre public ».  

Selon l’interprétation doctrinale majoritaire, le législateur ayant employé le pluriel (« des personnes »), la mesure ne peut être prise dans le cas où le risque grave ne compromet que la sûreté de la personne qu’il s’agit de soigner. Cependant, les pratiques préfectorales et municipales témoignent d’approches pragmatiques de la situation des patients qui développent des idées suicidaires. Ce pragmatisme n’exclut pas le recours aux admissions en SDRE ou aux mesures provisoires, dès lors qu’il faut faire face à des situations d’urgence dans lesquelles il n’existe pas de tiers ayant « qualité pour agir dans l’intérêt » du malade, et où il n’y a pas de possibilité de procéder à un examen clinique de la personne.

Lorsqu’il existe un risque d’atteinte grave à l’ordre public, l’admission en soins sans consentement n’est toutefois possible que dans le cadre de la procédure préfectorale. La notion d’ordre public est bien cernée en droit administratif :

  • définie par ses composantes de sécurité publique, tranquillité publique et salubrité publique ;
  • ne comportant pas la moralité publique.

Si la Cour européenne des droits de l'homme n’ignore pas l’ambiguïté du concept et les risques possibles d’orientation malheureuse vers les services de psychiatrie, elle reconnait le bien-fondé d'une mesure d'internement prise sur le fondement d'un motif d'ordre public dès lors qu'elle ne perçoit pas de dérive sécuritaire dans la mise en œuvre de la mesure (CEDH, HUTCHINSON REID c/ Royaume-Uni, 20 février 2003, n°50272/99, http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-65510https://hudoc.echr.coe.int/eng - {%22appno%22:[%2250272/99%22],%22documentcollectionid2%22:[%22GRANDCHAMBER%22,%22CHAMBER%22],%22itemid%22:[%22001-65510%22]}).

Jean-Marc PANFILI explique que, dans le cas de mesures prises par le préfet, comme dans le cas de mesures provisoires, « la Cour de cassation a précisé que les certificats et avis médicaux… n’exigent pas la mention que les troubles compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l’ordre public. » En effet, l’article R. 3213-3 du Code de la santé publique se limite à préciser :

« Les certificats et avis médicaux établis …  sont précis et motivés. Ils sont dactylographiés.

Lorsqu’ils concluent à la nécessité de lever une mesure …, ils sont motivés au regard des soins nécessités par les troubles mentaux de la personne intéressée et des incidences éventuelles de ses troubles sur la sûreté des personnes ». 

Ainsi, en application de la deuxième phrase de l'article L. 3213-1 du Code de la santé publique « une telle qualification (relève), sous le contrôle du juge, du seul pouvoir du préfet » (Cass, Civ 1, 28 mai 2015, n°14-15686, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000030653178&fastReqId=1311055908&fastPos=1)[1].

B. L’arrêté préfectoral et le certificat médical

a. L’arrêté préfectoral :

L'article L. 3213-1 du Code de la santé publique énonce que : « … Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l’admission en soins nécessaires », à partir des informations contenues dans les certificats médicaux conformes aux indications de l’article R. 3213-3. Le lien entre la motivation de l'arrêté et le « certificat médical circonstancié » est essentiel. Ainsi une ordonnance de la Cour d’appel de Grenoble a estimé que l’arrêté d’une mesure de soins sans consentement était insuffisamment circonstancié au fond, dès lors que les deux conditions cumulatives de l’état de santé psychiatrique et de la compromission de la sûreté des personnes ou de l’atteinte grave à l’ordre public n’étaient pas certifiées (ordonnance de mainlevée du 12 mai 2014, n°14/00014, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028952608&fastReqId=1805857999&fastPos=4).

  • Antériorité de la décision du préfet

Selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, mais aussi un avis de la Cour de cassation du 11 juillet 2016 la décision du préfet doit précéder l’admission effective du patient. 

Toutefois, la Cour de cassation précise qu’un bref délai est susceptible de s’écouler entre l’admission et la décision du préfet et elle accepte que la décision du préfet soit « retardée le temps strictement nécessaire à l’élaboration de l’acte, qui ne saurait excéder quelques heures […] au-delà de ce bref délai, la décision est irrégulière ».  

Dans son commentaire de l’avis de la Cour de cassation, Jean-Marc Panfili explique que : ces « quelques heures » n’ont pas de limites claires, mais « sembleraient cependant inclure le temps de transmission des pièces requises, et d’élaboration matérielle de l’acte ». Cet avis se situe donc dans la ligne de la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, 18 octobre 1989, n°75096, Mme BROUSSE,  17 novembre 1997, n°155196,  et indique « qu’au-delà du bref délai d’élaboration, la décision sera irrégulière. Il appartiendra au juge de vérifier s’il en est résulté une atteinte aux droits de la personne »[2].

Il en est également ainsi lorsqu’il s’agit de la réintégration d’un patient qui se trouve en programme de soins. Ainsi, le JLD de Perpignan (18 septembre 2012, n°12/477),  a ordonné la mainlevée d’une mesure de réintégration d’un patient qui était en programme de soins, dès lors que l’arrêté de réadmission n’avait été pris par le préfet que le lendemain. Voir, dans le même sens, dans le cas d’un délai de 3 jours, l’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry du 22 septembre 2022 (22/00145).

Qu’il s’agisse d’une décision préfectorale d’admission ou de réintégration d’un patient en hospitalisation complète, le formalisme est le même (CA Versailles, 10 juillet 2014, n°14/04955, https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/2014-07-10-ca-versailles-mainlevee-hc-reintegration-pg-de-soins.pdf ; 15 septembre 2015, n°15/06413)[3].

  • Décision du préfet et certificat médical

Ainsi, lorsqu'un préfet établit un arrêté d’admission ou de réintégration (Conseil d’Etat, 9 novembre 2001, n°235247, Deslandes), au vu d’un certificat circonstancié et en référence au diagnostic de dangerosité qui ressort du document médical, il doit agir en conformité avec l’article L. 3213-1 du Code de la santé publique, et par suite :

  • s’approprier le contenu du certificat médical circonstancié ;
  • viser le certificat dans l’arrêté ;
  • joindre le certificat à l'arrêté, lorsque ce dernier est notifié à la personne interpellée.

S’agissant de la référence au diagnostic de dangerosité, la Cour de cassation, statuant sur la réintégration complète d’un patient en programme de soins (Cass, Civ 1, 15 octobre 2014, n°13-12220, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029607218&fastReqId=90486376&fastPos=1), a néanmoins estimé que les modalités de prise en charge pouvaient être modifiées (en l’espèce, la réintégration du patient sans que ce dernier se soit montré dangereux).

  • Notification de la mesure

La notification de la mesure à la personne interpellée est également obligatoire, conformément à l’article L. 3211-3. En cas de non-application, la personne admise en soins psychiatriques sans consentement est réputée non informée de la décision et de la possibilité d’éventuels recours. La Cour de cassation considère que la mainlevée de la mesure est justifiée si le patient n’a pas reçu les informations requises et qu’il en a conçu un grief (Cass, Civ 1, 18 juin 2014, n°13-16887, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029115529&fastReqId=2069838194&fastPos=1 ; 15 janvier 2015, n°13-24361, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000030114465&fastReqId=1183067663&fastPos=1). Dans la suite de ces arrêts, le JLD de Brest a considéré qu’un retard non justifié d’une journée à la notification constituait un motif de mainlevée (TGI de Brest, ordonnance de mainlevée du JLD du 1er août 2014, n°274/2014)[4].

b. Le certificat médical :

L'article L. 3213-1 du Code de la santé publique précise que le médecin certificateur ne peut être un psychiatre appartenant à l’établissement d’accueil. Comme en matière d’admission en soins sans consentement à la demande d’un tiers, le non-respect de la compétence légale du médecin certificateur constitue une irrégularité.

La Cour d’appel de Rennes a pu rappeler cette exigence dans une ordonnance du 3 janvier 2022 en prononçant la mainlevée d’une mesure d’hospitalisation pour « irrégularité substantielle et d’ordre public pour lequel un grief n’a pas à être démontré» car l’admission en soins sans consentement avait été signée par un psychiatre de l’établissement d’accueil.  

L’exigence d’extériorité formulée par l’article L.3213-1 du Code de la santé publique ne se limite pas aux admissions, mais est également valable dans le cas des réintégrations.

Ainsi, dans un arrêt du 22 septembre 2022, la Cour d’appel de Chambéry (22/00145) a prononcé la mainlevée d’une mesure d’hospitalisation complète sans consentement, au motif que le patient « a fait l'objet d'une réadmission au sein du centre hospitalier […] sur la base d'un certificat médical du 26 Août 2022, émanant du Docteur [I], psychiatre de l'établissement d'accueil, ce qui est contraire aux dispositions de l'article L.3213-1 du code de la santé publique. »

La loi du 27 juin 1990 a intégré dans le Code de la santé publique le concept jurisprudentiel du « certificat médical circonstancié ». L’interprétation du dispositif ne peut cependant se passer des lumières de la jurisprudence sur les caractéristiques et la durée de validité du certificat.

Ainsi, le « certificat médical circonstancié » n'échappe pas aux exigences du Code de déontologie médicale, et principalement à l’obligation qui impose à un médecin de ne certifier que ce qu'il a lui-même constaté. La jurisprudence considère que le médecin qui ne rencontre pas la personne concernée par le certificat engage sa responsabilité professionnelle (CA d'Aix-en-Provence, 14 mars 1995, n°043461). Le « certificat médical circonstancié » a également la qualité de document administratif. C’est en cette qualité que la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) (séances des 29 mai 1997 et 20 janvier 2000) considère qu’il doit être communiqué à la personne admise et donc joint à l’arrêté lors de la notification de la mesure.

Cour de cassation, 1ère civ, 29 mars 2023, pourvoi n° 22-11.302 : « 9. Pour rejeter la demande de mainlevée de la mesure d'hospitalisation complète, l'ordonnance se borne à retenir que, si une sortie d'hospitalisation en programme de soins devra, au regard de l'évolution certaine et favorable de la situation de M. [E] être mise en place, celle-ci n'est pas encore d'actualité et serait aujourd'hui prématurée, ce dernier présentant encore des troubles mentaux qui rendent impossible son consentement et qui imposent, dans l'immédiat, des soins assortis, d'une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, dispensés par un établissement mentionné à l'article L 3222-1 du code de la santé publique, et, le cas échéant, des séjours effectués dans un établissement de ce type.
10. En se déterminant ainsi, sans constater en quoi les troubles mentaux présentés par M. [E] compromettaient la sûreté des personnes ou portaient gravement atteinte à l'ordre public, le premier président n'a pas donné de base légale à sa décision
. »

c. Les mesures provisoires prises par le maire ou un commissaire de police à Paris 

L'article L. 3213-2 énonce :

« En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical, le maire et, à Paris, les commissaires de police arrêtent, à l’égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d’en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l’Etat dans le département qui statue sans délai et prononce, s’il y a lieu, un arrêté d’admission en soins psychiatriques dans les formes prévues à l’article L. 3213-1. Faute de décision du représentant de l’Etat, ces mesures provisoires sont caduques au terme d’une durée de quarante-huit heures.

La période d’observation et de soins initiale mentionnée à l’article L. 3211-2-2 prend effet dès l’entrée en vigueur des mesures provisoires prévues au premier alinéa ».

Jean-Marc PANFILI précise que : « un avis médical de tout médecin … est suffisant… Il s’agit a priori de tout médecin, sans restriction de spécialité ni de lieu d’exercice. Par exemple, cela peut être un psychiatre appelé pendant une garde à vue, même s’il exerce dans l’établissement qui accueillera le patient » [5].

Il ajoute : « Le respect de la chronologie est en outre fondamental en cas de décisions provisoires décidées par le maire en urgence. Les arrêtés doivent être pris au vu de l’avis médical, et non avant qu’il soit établi. Ainsi, le juge d’appel (CA de Versailles, ordonnance de mainlevée du 1er décembre 2014, n°14/08388, https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/2014-11-28-ca-versailles-mainlevee-sdre-2.pdf) a prononcé une mainlevée sur la base des dispositions de l’art. L. 3213-2 du CSP… En l’espèce le juge d’appel a décidé la mainlevée car le maire avait ordonné une hospitalisation alors que le certificat médical n’était pas encore rédigé au moment où l’arrêté a été établi. »[6]

L'article L. 3213-2 cantonne les maires et, à Paris, les commissaires de police, dans un rôle limité en prérogatives et dans le temps. En effet, ils ne peuvent exercer leur pouvoir que dans un cas : celui du « danger imminent pour la sûreté des personnes » (le cas de l’atteinte de façon grave à l'ordre public est donc exclu). Par ailleurs, ils perdent la main sur les mesures provisoires dès que le préfet a statué, c’est-à-dire dans un délai qui ne dépasse pas quarante-huit heures.

Ainsi que le précise l’article L. 3212-2 du Code de la santé publique, les arrêtés ordonnent « toutes les mesures provisoires nécessaires », ce qui signifie que le champ des mesures pouvant être prises sur ce fondement est très ouvert. Si les décisions prises par arrêté débouchent en pratique sur un internement psychiatrique, celui-ci est néanmoins l’aboutissement d’une chaîne d’actes de police successifs. La prise de décision, comme l’exécution des mesures de police, sont placées sous la responsabilité du maire tant que le préfet n’a pas pris le relai d’une manière conforme aux dispositions de l'article L. 3213-1.

La Cour de cassation, dans un arrêt de sa première chambre en date du 5 février 2014 (n°11-28564, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000028574845&fastReqId=162614536&fastPos=1), rappelant le caractère provisoire de l’arrêté du maire, a souligné qu’au sens de la loi, seul le préfet est habilité à prendre « un arrêté d’hospitalisation d’office sans consentement ». En conséquence, en présence d’une décision de mesure provisoire, « le délai dans lequel le juge statue sur une admission administrative en soins psychiatriques se décompte depuis la date de l’arrêté pris en ce sens par le représentant de l’Etat dans le département » (et non à partir de la date de l’arrêté pris par le maire).

En ce sens, la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 5 décembre 2018 a déclaré irrecevable l’appel du maire pour défaut de qualité à agir «qu’eu égard à son pouvoir d’arrêter de telles mesures provisoires, le maire ne saurait en effet être assimilé au tiers ayant demandé la mesure de soins psychiatriques sous contrainte, lequel n’est d’ailleurs susceptible d’être partie à l’instance que lorsqu’il a également la qualité de requérant à la demande de mainlevée de la mesure.»

La Cour d’appel de Chambéry, dans une ordonnance du 13 juillet 2022 explique que l’absence de décision du représentant de l’Etat dans les quarante-huit heures entraîne la mainlevée de la mesure, conformément à l’exigence formulée dans l’article L.3213-2 in fine.  En l’espèce, l’arrêté du préfet était intervenu dans un délai de soixante-douze heures. 

La Cour de cassation, dans un arrêt du 29 septembre 2021 a précisé les exigences de motivation enserrant les arrêtés municipaux.

La Cour exige que l’arrêté municipal indique « les éléments de droit et de fait qui justifient cette mesure, sauf urgence absolue l’en ayant empêché, et que s’il peut satisfaire à cette exigence de motivation en se référant à un avis médical, c’est à la condition de s’en approprier le contenu et de joindre cet avis à la décision ».

En l’espèce, l’arrêté municipal ne précisait pas les éléments démontrant que la personne était « dangereuse », ne s’appropriait pas le contenu du certificat médical, et ne précisait pas qu’il était joint à la décision : la Cour de cassation a donc conclu à son irrégularité.

3. L’admission en soins psychiatriques sans consentement des malades « médico-légaux » (irresponsables pénaux)

Les malades « médico-légaux » sont les patients qui bénéficient de soins psychiatriques sans consentement à la suite d'une décision de justice (classement sans suite, jugement ou arrêt d'irresponsabilité pénale) prise en application de l'article 122, alinéa 1, du Code pénal, qui formule le principe de l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Pour entrer dans cette catégorie de patients, il faut que la personne ait été admise en soins sans consentement sur le fondement :

  • soit d’une admission en SDRE en application de l'article L. 3213-7 du Code de la santé publique ;
  • soit d'une admission en soins psychiatriques sans consentement selon une procédure judiciaire dérogatoire à la procédure d’admission en SDRE. Il s’agit de la procédure de l’article 706-135 du Code de procédure pénale.

L'article L. 3213-7 du Code de la santé publique dispose :

« Lorsque les autorités judiciaires estiment que l'état mental d'une personne, qui a bénéficié, sur le fondement du premier alinéa de l'article 121-1 du Code pénal, d'un classement sans suite, d'une décision d'irresponsabilité pénale ou d'un jugement ou d'un arrêt de déclaration d'irresponsabilité pénale, nécessite des soins et compromet la sûreté des personnes ou porte atteinte, de façon grave, à l'ordre public, elles avisent immédiatement la commission mentionnée à l'article L. 3222-5 du Code de la santé publique (la commission départementale des soins psychiatriques) ainsi que le représentant de l'Etat dans le département qui ordonne sans délai la production d'un certificat médical circonstancié portant sur l'état actuel du malade. Au vu de ce certificat, il peut prononcer une mesure d'admission en soins psychiatriques dans les conditions définies à l'article L. 3213-1. Toutefois, si la personne concernée fait déjà l’objet d’une mesure des soins psychiatriques en application du même article L. 3213-1, la production de ce certificat n’est pas requise pour modifier le fondement de la mesure en cours.

A toutes fins utiles, le procureur de la République informe le représentant de l'Etat dans le département de ses réquisitions ainsi que des dates d'audience et des décisions rendues.

Si l'état de la personne mentionnée au premier alinéa le permet, celle-ci est informée par les autorités judiciaires de l'avis dont elle fait l'objet ainsi que des suites que peut y donner le représentant de l'Etat dans le département. Cette information lui est transmise par tout moyen et de manière appropriée à son état.

L’avis mentionné au premier alinéa indique si la procédure concerne des faits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement en cas d’atteinte aux personnes ou d’au moins dix ans d’emprisonnement en cas d’atteinte aux biens. Dans ce cas, la personne est également informée des conditions dans lesquelles il peut être mis fin à la mesure de soins psychiatriques en application des articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3213-8 ».

Dans l’article 706-135 du Code de procédure pénale, le législateur a entendu signifier que l'absence de culpabilité, et donc l'impossibilité de retenir une peine, n'affirme plus nécessairement l'incompétence du juge pénal pour l'hospitalisation d'office des malades « médico-légaux ». Par suite, l’autorité judiciaire peut décider que la mise en œuvre de la mesure de soins sans consentement échappe à la compétence du préfet. La formulation du dispositif est la suivante :

« Sans préjudice des articles L. 3213-1 et L. 3213-7 du Code de la santé publique, lorsque la chambre de l'instruction ou une juridiction de jugement prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner par décision motivée l'admission en soins psychiatriques sous la forme d'une hospitalisation complète dans un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 du même Code s'il est établi par une expertise figurant au dossier de procédure que les troubles mentaux de l'intéressé nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l'ordre public. Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police est immédiatement avisé de cette décision. Le régime de cette hospitalisation est celui prévu pour les admissions en soins psychiatriques prononcées en application de l'article L. 3213-1 du même Code ».

L’article 706-135 précise que la procédure est mise en œuvre par « la chambre de l'instruction ou une juridiction de jugement », ce qui signifie que cette procédure n’est pas ouverte aux magistrats du parquet lorsqu’ils décident d’un classement sans suite sur le fondement de l'article 122, alinéa 1, du Code pénal.

Si le choix fait par l’autorité judiciaire n’est pas celui de la mise en application de l’article 706-135 du Code de procédure pénale, il n’est pas directif à l’égard du préfet. En effet, le principe implicite de l'article L. 3213-7 du Code de la santé publique est le renvoi à la seule responsabilité du préfet. Si le préfet doit alors ordonner « sans délai la production d'un certificat médical circonstancié portant sur l'état actuel du malade » en vue de la mise en œuvre d’une éventuelle mesure de soins psychiatrique sans consentement, cette mise en œuvre ne sera possible que si « l'état actuel du malade » rend cette mesure nécessaire.

Si l’autorité judiciaire fait le choix de l’application de l'article 706-135 du Code de procédure pénale, elle fait celui de son implication directe dans la prise de décision quant à la mise en œuvre de la mesure. Ce choix permet en premier lieu que l’éventuelle mesure soit décidée par la juridiction après avoir été discutée contradictoirement avec les parties. En second lieu, il permet de faire rentrer l’hospitalisation psychiatrique sans consentement dans le champ juridique des « mesures de sûreté ».

L'existence de deux procédures concurrentes constitue une cause d'embrouille dans la gestion de la mesure par l’administration préfectorale : « il est en effet apparu que ces décisions (prises en application de l'article 736-135 du Code de procédure pénale) étaient habituellement « doublées » d'un arrêté du préfet. Or, cet arrêté, a priori inutile juridiquement, a pu être considéré comme le point de départ pour calculer la date de saisine (du JLD pour le premier contrôle juridictionnel de l'hospitalisation sans consentement) » (Serge BLISKO, Guy LEFRAND, rapport d'information n°4402, enregistré à la Présidence de l'Assemblée Nationale le 22 février 2012, pp. 45-46). Ainsi, partant de l'arrêté préfectoral, l'autorité administrative pratique parfois de manière erronée la saisine du JLD à J+12  (comme en droit commun), alors qu'en cas d'application de l'article 706-135 du Code de procédure pénale, le premier contrôle obligatoire effectué par le JLD est à l'échéance de six mois.

Source UNAFAM

[1] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, p. 12

[2] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, p. 15

[3] Ibid., p. 45

[4] Ibid., pp. 21-23

[5] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, p. 11

[6] Ibid., p. 13

7.2.4 - L’admission en soins psychiatriques sans consentement des malades « médico-légaux » (irresponsables pénaux)

Les malades « médico-légaux » sont les patients qui bénéficient de soins psychiatriques sans consentement à la suite d'une décision de justice (classement sans suite, jugement ou arrêt d'irresponsabilité pénale) prise en application de l'article 122, alinéa 1, du Code pénal, qui formule le principe de l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Pour entrer dans cette catégorie de patients, il faut que la personne ait été admise en soins sans consentement sur le fondement :

  • soit d’une admission en SDRE en application de l'article L. 3213-7 du Code de la santé publique ;
  • soit d'une admission en soins psychiatriques sans consentement selon une procédure judiciaire dérogatoire à la procédure d’admission en SDRE. Il s’agit de la procédure de l’article 706-135 du Code de procédure pénale.

L'article L. 3213-7 du Code de la santé publique dispose :

« Lorsque les autorités judiciaires estiment que l'état mental d'une personne, qui a bénéficié, sur le fondement du premier alinéa de l'article 121-1 du Code pénal, d'un classement sans suite, d'une décision d'irresponsabilité pénale ou d'un jugement ou d'un arrêt de déclaration d'irresponsabilité pénale, nécessite des soins et compromet la sûreté des personnes ou porte atteinte, de façon grave, à l'ordre public, elles avisent immédiatement la commission mentionnée à l'article L. 3222-5 du Code de la santé publique (la commission départementale des soins psychiatriques) ainsi que le représentant de l'Etat dans le département qui ordonne sans délai la production d'un certificat médical circonstancié portant sur l'état actuel du malade. Au vu de ce certificat, il peut prononcer une mesure d'admission en soins psychiatriques dans les conditions définies à l'article L. 3213-1. Toutefois, si la personne concernée fait déjà l’objet d’une mesure des soins psychiatriques en application du même article L. 3213-1, la production de ce certificat n’est pas requise pour modifier le fondement de la mesure en cours.

A toutes fins utiles, le procureur de la République informe le représentant de l'Etat dans le département de ses réquisitions ainsi que des dates d'audience et des décisions rendues.

Si l'état de la personne mentionnée au premier alinéa le permet, celle-ci est informée par les autorités judiciaires de l'avis dont elle fait l'objet ainsi que des suites que peut y donner le représentant de l'Etat dans le département. Cette information lui est transmise par tout moyen et de manière appropriée à son état.

L’avis mentionné au premier alinéa indique si la procédure concerne des faits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement en cas d’atteinte aux personnes ou d’au moins dix ans d’emprisonnement en cas d’atteinte aux biens. Dans ce cas, la personne est également informée des conditions dans lesquelles il peut être mis fin à la mesure de soins psychiatriques en application des articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3213-8 ».

Dans l’article 706-135 du Code de procédure pénale, le législateur a entendu signifier que l'absence de culpabilité, et donc l'impossibilité de retenir une peine, n'affirme plus nécessairement l'incompétence du juge pénal pour l'hospitalisation d'office des malades « médico-légaux ». Par suite, l’autorité judiciaire peut décider que la mise en œuvre de la mesure de soins sans consentement échappe à la compétence du préfet. La formulation du dispositif est la suivante :

« Sans préjudice des articles L. 3213-1 et L. 3213-7 du Code de la santé publique, lorsque la chambre de l'instruction ou une juridiction de jugement prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner par décision motivée l'admission en soins psychiatriques sous la forme d'une hospitalisation complète dans un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 du même Code s'il est établi par une expertise figurant au dossier de procédure que les troubles mentaux de l'intéressé nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l'ordre public. Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police est immédiatement avisé de cette décision. Le régime de cette hospitalisation est celui prévu pour les admissions en soins psychiatriques prononcées en application de l'article L. 3213-1 du même Code ».

L’article 706-135 précise que la procédure est mise en œuvre par « la chambre de l'instruction ou une juridiction de jugement », ce qui signifie que cette procédure n’est pas ouverte aux magistrats du parquet lorsqu’ils décident d’un classement sans suite sur le fondement de l'article 122, alinéa 1, du Code pénal.

Si le choix fait par l’autorité judiciaire n’est pas celui de la mise en application de l’article 706-135 du Code de procédure pénale, il n’est pas directif à l’égard du préfet. En effet, le principe implicite de l'article L. 3213-7 du Code de la santé publique est le renvoi à la seule responsabilité du préfet. Si le préfet doit alors ordonner « sans délai la production d'un certificat médical circonstancié portant sur l'état actuel du malade » en vue de la mise en œuvre d’une éventuelle mesure de soins psychiatrique sans consentement, cette mise en œuvre ne sera possible que si « l'état actuel du malade » rend cette mesure nécessaire.

Si l’autorité judiciaire fait le choix de l’application de l'article 706-135 du Code de procédure pénale, elle fait celui de son implication directe dans la prise de décision quant à la mise en œuvre de la mesure. Ce choix permet en premier lieu que l’éventuelle mesure soit décidée par la juridiction après avoir été discutée contradictoirement avec les parties. En second lieu, il permet de faire rentrer l’hospitalisation psychiatrique sans consentement dans le champ juridique des « mesures de sûreté ».

L'existence de deux procédures concurrentes constitue une cause d'embrouille dans la gestion de la mesure par l’administration préfectorale : « il est en effet apparu que ces décisions (prises en application de l'article 736-135 du Code de procédure pénale) étaient habituellement ‘’doublées ‘’ d'un arrêté du préfet. Or, cet arrêté, a priori inutile juridiquement, a pu être considéré comme le point de départ pour calculer la date de saisine (du JLD pour le premier contrôle juridictionnel de l'hospitalisation sans consentement) » (Serge BLISKO, Guy LEFRAND, rapport d'information n°4402, enregistré à la Présidence de l'Assemblée Nationale le 22 février 2012, pp. 45-46). Ainsi, partant de l'arrêté préfectoral, l'autorité administrative pratique parfois de manière erronée la saisine du JLD à J+12 (comme en droit commun), alors qu'en cas d'application de l'article 706-135 du Code de procédure pénale, le premier contrôle obligatoire effectué par le JLD est à l'échéance de six mois.

Source UNAFAM

7.2.5 - Les régimes « spéciaux » d’hospitalisation complète : UMD et UHSA

Les « unités pour malades difficiles » (UMD) sont des unités de soins spécialement organiséesà l'effet de mettre en œuvreles « protocoles de soins intensifs » etles « mesures de sûreté particulières » adaptés à l'état de santé de patients « présentant pour autrui un danger tel que les soins, la surveillance et les mesures de sûreté ne peuvent être mises en œuvre que dans une unité spécifique ». Ce peut être des patients « médico-légaux », des détenus transférés de prisons ou des patients qu ne peuvent plus contrôler les moyens de surveillance et de soins des unités de secteur en hôpital de psychiatrie générale.

Les « unités spécialement aménagées » (UHSA) n’accueillent que des « malades détenus ».

En principe, un malade détenu est hospitalisé en UMD parce qu’il présente une dangerosité psychiatrique ne permettant pas sa prise charge dans une UHSA. Il est cependant fréquent que des personnes qui ne présentent pas un état de dangerosité psychiatrique particulier et qui sont dans l’attente d’une place en UHSA soient hospitalisées en UMD.

En cas d’impossibilité d’une hospitalisation en UHSA ou en UMD, les détenus sont souvent hospitalisés dans des unités fermées classiques de psychiatrie générale ou dans des « unités de soins intensifs psychiatriques » (USIP), unités implantées dans des hôpitaux psychiatriques qui mettent en œuvre des mesures thérapeutiques proches de celles des UMD.

Les UMD et les UHSA se situant néanmoins au sein des services d’établissements sanitaires relevant du ministère de la santé,  :

  • les commissions des usagers (CDU) des établissements dont relèvent ces services ont vocation à surveiller la qualité des soins, ainsi que le respect des droits des patients qui y sont accueillis ;
  • les commissions départementales des soins psychiatriques (CDSP) assurent la totalité de leur compétence à leur égard.

A. Les Unités pour Malades Difficiles (UMD)

a. Le régime d’admission en UMD

Le dispositif réglementaire afférent aux admissions et sorties d’UMD est développé dans les articles R. 3222-1 à R. 3222-7 du Code de la Santé Publique.                        

L’article R. 3222-1 définit la population concernée :

« Les unités pour malades difficiles accueillent des patients relevant de soins psychiatriques sans consentement sous la forme d’une hospitalisation complète en application des chapitres III des IV du titre Ier du livre II du Code de la troisième partie du présent Code ou de l’article 706-135 du Code de procédure pénale et dont l’état de santé requiert la mise en œuvre, sur proposition médicale et dans un but thérapeutique, de protocoles de soins intensifs et de mesures de sécurité particulières ».

L’article R. 3222-1 ne fait donc pas mention d’une quelconque dangerosité du « malade difficile ».

Tous les « malades difficiles » sont hospitalisés en UMD selon les modalités des SDRE. Lorsqu’il s’agit de l’hospitalisation d’un détenu (prévenu ou condamné) présentant des troubles psychiques rendant incompatible le maintien en détention, l’hospitalisation en UMD se fait non seulement en application des dispositions du Code de la santé publique afférentes aux admissions SDRE, comme indiqué à l’article R. 3222-2,mais encore selon les termes de l’article D.398 du Code de procédure pénale.

L’article R. 3222-2confère la maîtrise des admissions en UMD aux équipes soignantes de ces unités :

 « I. Préalablement à l’admission d’un patient en unité pour malades difficiles, les psychiatres exerçant dans cette unité peuvent se rendre dans l’établissement de santé dans lequel le patient est hospitalisé pour l’examiner.

II. L’admission du patient dans une unité pour malades difficiles est prononcée par arrêté du préfet du département ou, à Paris, du préfet de police, où se trouve l’établissement dans lequel est hospitalisé le patient avant son admission en unité pour malades difficiles. Dans l’objectif de maintenir ou de restaurer les relations du patient avec son entourage, cet arrêté détermine le lieu de l’hospitalisation en considération de ses intérêts personnels et familiaux. Une copie de l’arrêté est transmise au préfet du département dans lequel se situe l’établissement de rattachement de l’unité pour malades difficiles qui reçoit le patient.

L’information du patient concernant la décision mentionnée à l’alinéa précédent est mise en œuvre conformément aux dispositions de l’article L. 3211-3.

III. Le préfet prend sa décision au vu d’un dossier médical et administratif comprenant notamment :

1° Un certificat médical détaillé, établi par un psychiatre de l’établissement demandant l’admission, précisant les motifs de la demande d’hospitalisation dans l’unité pour malades difficiles, ainsi que, le cas échéant, les expertises psychiatriques dont le patient a fait l’objet ;

2° L’accord d’un psychiatre de l’unité pour malades difficiles ;

3° Le cas échéant, l’indication des mesures de protection des biens du patient qui seront prises.

IV. En cas de désaccord du psychiatre responsable de l’unité pour malades difficiles, le préfet du département où se trouve l’établissement dans lequel est hospitalisé le patient ou, à Paris, le préfet de police, peut saisir la commission du suivi médical prévue à l’article R. 3222-4, qui statue sur l’admission dans les plus brefs délais.

V. L’établissement de santé dans lequel était hospitalisé le patient ayant fait l’objet de la demande d’admission dans l’unité pour malades difficile organise, à la sortie du patient de l’unité, les conditions de la poursuite des soins sans consentement lorsqu’elle est décidée conformément à l’article R. 3222-6, que les soins soient dispensés en son sein ou dans un autre établissement de santé en cas de nécessité ».

L’article R. 3222-3 précise les conditions d’accompagnement du patient durant le transport vers et depuis l’UMD.

b.  Le suivi des hospitalisations en UMD et la sortie du patient

Si les modalités de suivi et de traitement dans les UMD répondent à des principes et des objectifs thérapeutiques communs, elles ne sont pas pour autant homogènes et sont liées à des pratiques spécifiques à chaque UMD. Le préfet dispose, pour assurer le suivi des patients en UMD, de l’éclairage de la « commission du suivi médical » (CSM).

L'article R. 3222-4 du Code de la santé fixe la composition de la CSM. L’article R. 3222-5 précise ses missions :

« La commission du suivi médical peut se saisir à tout moment de la situation d'un patient hospitalisé dans l'unité pour malades difficiles de son département d'implantation. Elle examine au moins tous les six mois le dossier de chaque patient hospitalisé dans l'unité. Elle informe la commission départementale des soins psychiatriques des conclusions des examens auxquels elle procède.

Elle peut, en outre être saisie :

  1. Par la personne hospitalisée dans l'unité, sa famille, son représentant légal ou ses proches
  2. Par le procureur de la République compétent du lieu d'origine ou d'accueil
  3. Par le préfet du département d'origine ou d'accueil ou, à Paris, par le préfet de police
  4. Par le psychiatre de l'unité ;
  5. Par le médecin généraliste ou le psychiatre exerçant dans le secteur privé traitant le patient
  6. Par le psychiatre de l'établissement de santé dans lequel le patient est pris en charge
  7. Par le directeur de l'établissement où est implantée l'unité;
  8. Par le directeur de l'établissement de santé dans lequel le patient était initialement pris en charge ».

En ce qui concerne la sortie du patient, l’article R. 3222-6 dispose qu’elle est soumise à un avis de la CSM et décidée par le préfet du département d’implantation de l’unité sur saisine de la CSM. Le préfet du département d’implantation de l’unitéest donc la seule autorité habilitée à ordonner la sortie de l’unité.

Il existe deux formes de sorties :

  • la levée de la mesure des soins sans consentement ;
  • la sortie par transfèrement en soins psychiatrique sans consentement, généralement dans le service de secteur d’origine.

Le troisième alinéa de l'article R. 3222-6 précise :

« L'établissement de santé qui a demandé l'admission du patient organise la poursuite des soins en son sein ou dans un autre établissement de santé en cas de nécessité. L'établissement désigné par l'arrêté préfectoral accueille le patient dans un délai maximal de vingt jours ».

Précédemment : l'incompétence du JLD en la matière :

Dans une ordonnance du 12 mai 2021, la Cour d’Appel de Bordeaux rappelle la limitation stricte des compétences du Juge des libertés de la détention en la matière. 
Le JLD ne peut statuer que sur les décisions relatives aux prolongations/mainlevées d’une mesure d’hospitalisation sous contrainte, ainsi que sur les décisions concernant l’isolement et la contention.


Ainsi, la décision de sortie d’une UMD, qui constitue une « modalité d’exécution de la mesure de soins sans consentement » n’entre pas dans son champ de compétence. 
La Cour rappelle que, la sortie d’un patient de l’UMD ne peut être prononcée que par le préfet, après une décision favorable de la commission de suivi médicale.
Le préfet est, en la matière, en situation de compétence liée, comme le dispose l’article R3222-6 du Code de la santé publique. 
Pourtant, l’absence de prise de décision de sa part est difficilement contestable par le justiciable, qui ne pourra se présenter ni devant le JLD, ni devant le juge administratif, lequel avait initialement renvoyé la question au JLD. 

La même juridiction, dans une ordonnance du 17 juin 2022, confirme sa position, en adoptant le raisonnement suivant :  

La Cour rappelle que conformément à l’article 3211-12-1 du CSP, l’office du JLD en la matière se limite aux chapitres II à IV du premier titre du deuxième livre de la troisième partie du CSP ou de l’article 706-135 du CSP. 

Elle explique que si les UMD accueillent des patients hospitalisés en application de certaines des dispositions sus mentionnées (chapitre III et IV),  les règles relatives à l’UMD « s’agissant notamment de son organisation et des conditions d’admission d’un patient sont insérées au sein du deuxième titre du deuxième livre de la troisième partie du code de la santé publique »

Elle ajoute que « le placement en UMD ne constitue pas l’une des formes [d’hospitalisation complète] visées à l’article L3211-12-1 du code de la santé publique mais une simple modalité de prise en charge à visée thérapeutique au cours d’une [telle] mesure».

À la suite de ce raisonnement, la Cour juge une nouvelle fois que la question du « contrôle de la régularité des décisions administratives prises en application des chapitres II à IV du premier titre, qui ne peut être effectivement contestée que devant le juge judiciaire (…) n’a pas vocation à être exercé pour ce qui concerne les décisions administratives de mainlevée d’une UMD », le JLD devant se limiter « à ordonner le maintien ou la mainlevée de la mesure ».

La Cour d’appel infirme donc l’ordonnance novatrice de mainlevée rendue quelques jours plus tôt par le JLD de Bordeaux, qui avait accepté de se saisir de la question, et se déclare incompétente pour les demandes tendant à obtenir la mainlevée de placement en UMD. 

Parallèment : refus du juge administratif de se saisir de la question :

Pour le requérant, la seule solution serait donc un recours administratif au fond « à l’encontre de la décision implicite de rejet à la demande de transfert prise par le préfet qui a compétence liée et qui ne s’explique pas vraiment en droit sur les raisons de sa carence. »

Une telle contestation s'annonce laborieuse, le juge administratif ayant déjà renvoyé la question au JLD le 13 juillet 2021 en estimant que "l'admission ou la sortie d'une UMD constitue l'une des modalités de mise en oeuvre de l'hospitalisation complète décidée en vertu de l'article 706-135 du code de procédure pénale. La constestation d'une telle mesure suit le même régime contentieux que ce lui concernant les mesures d'admission en soins psychiatriques sans consentement".

Les possibilités d’enjoindre le préfet à agir semblent très limitées. 

La CSM, qui n’est pas une juridiction, n’est toutefois pas compétente pour imposer au service de secteur d’origine le retour d’un patient dont l’état ne justifie plus le maintien en UMD.Ainsi, si le Conseil d’Etat, par un arrêt du 17 mars 2017 a considéré que les personnes admises en UMD peuvent se faire assister par un avocat lors des séances de la CSM qui se prononcent sur la sortie ou le maintien des patients, les avocats ne peuvent que veiller à ce que les CSM respectent lors de leurs séances le principe du contradictoire.

Décision du Tribunal des conflits, 3 juillet 2023, C4279, Publié au recueil Lebon

Cette décision semble offrir une possibilité de judiciarisation des admissions et des sorties d’UMD.

Elle intervient dans le dossier de Romain Dupuy, un patient jugé pénalement irresponsable après avoir commis un double homicide de soignantes en 2004 et placé depuis près de 18 ans à l’UMD de Cadillac.  En 2021, ses avocats avaient demandé la poursuite de sa prise en charge hors de l’UMD, ce qui a depuis été refusé plusieurs fois par la Préfecture.

Le Tribunal des Conflits a été saisi par décision du Tribunal administratif de Bordeaux du 4 avril 2023 pour qu’il soit décidé sur la juridiction compétente à connaître des demandes de transfert d’une unité pour malades difficiles (UMD) vers une unité classique d’un établissement psychiatrique.

Le Tribunal des conflits a jugé que l’ordre judiciaire est compétent.

Cela signifie que les demandes de sortie d’UMD avec transfert en établissement classique ne pourront plus être rejetées pour cause d’incompétence de la juridiction saisie, les juridictions se déclarant jusqu’alors souvent incompétentes.

Le juge des libertés et de la détention pourra dès lors se prononcer

B. Les Unités Hospitalières Spécialement aménagées (UHSA) :

Des patients sont donc parfois maintenus en UMD malgré des arrêtés préfectoraux exécutoires. Parmi les préjudices engendrés par cette situation, le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) cite notamment l'atteinte « au droit au respect de leur vie familiale ». En effet, les UMD sont souvent situées loin des lieux de domicile ou de résidence des familles de patients, et par suite l'éloignement conduit ces dernières à engager des frais importants lors des visites. Le CGLPL insiste également sur le fait que la prolongation du séjour en UMD « compromet les chances de bonne réinsertion dans des conditions de vie et de soins aussi normales que possible ».

Les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) ont été instituées par la loi d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) du 9 septembre 2002. Ce dispositif enserre une unité sanitaire dans une enceinte pénitentiaire. L’article L. 3214-1 du Code de la santé publique est ainsi formulé :

« I. - Les personnes détenues souffrant de troubles mentaux font l'objet de soins psychiatriques avec leur consentement. Lorsque les personnes détenues en soins psychiatriques libres requièrent une hospitalisation à temps complet, celle-ci est réalisée dans un établissement de santé mentionné à l'article L. 3222-1 au sein d'une unité hospitalière spécialement aménagée.

II. - Lorsque leurs troubles mentaux rendent impossible leur consentement, les personnes détenues peuvent faire l'objet de soins psychiatriques sans leur consentement en application de l'article L. 3214-3. Les personnes détenues admises en soins psychiatriques sans consentement sont uniquement prises en charge sous la forme mentionnée au 1° du II de l'article L. 3211-2-1. Leur hospitalisation est réalisée dans un établissement de santé mentionné à l'article L. 3222-1, au sein d'une unité hospitalière spécialement aménagée ou, sur la base d'un certificat médical au sein d'une unité adaptée.

III. - Lorsque leur intérêt le justifie, les personnes mineures détenues peuvent être hospitalisées au sein d'un service adapté dans un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 en dehors des unités prévues aux I et II du présent article ».

Deux modalités d’admission sont donc prévues : « en admission dite volontaire, avec le consentement de la personne détenue ; en admission contrainte, par une décision préfectorale de soins psychiatriques à la demande du représentant de l’Etat (SDRE). Cette seconde modalité entraine, si l’hospitalisation se prolonge au-delà de treize jours, un examen de la décision préfectorale par le juge des libertés et de la détention, comme dans le droit commun. » (rapport des inspections générales de la justice et des affaires sociales d’évaluation des UHSA -décembre 2018, p.21)

L’article L. 3214-3 précise la procédure préfectorale afférente dans le cas d’admission contrainte :

« Lorsqu’une personne détenue nécessite des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier en raison de troubles mentaux rendant impossible son consentement et constituant un danger pour elle-même ou pour autrui, le préfet de police à Paris ou le représentant de l’Etat dans le département dans lequel se trouve l’établissement pénitentiaire d’affectation du détenu prononce par arrêté, au vu d’un certificat médical circonstancié, son admission en soins psychiatriques sous la forme d’une hospitalisation complète dans les conditions prévues au II de l’article L. 3214-1. Le certificat médical ne peut émaner d’un psychiatre exerçant dans l’établissement d’accueil.

Le régime de cette hospitalisation est celui prévu pour les hospitalisations d’office ordonnées en application de l’article L 3213-1.

Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu la mesure de soins psychiatriques nécessaire. Ils désignent l’établissement mentionné à l’article L. 3222-1 qui assure la prise en charge de la personne malade et sont inscrits sur le registre mentionné à l’article L. 3212-11 ».

En application du deuxième alinéa, la période de soins et d'observation de 72 heures s'applique aux détenus exactement comme à tous les autres patients hospitalisés d'office. S'agissant de « l'établissement mentionné à l'article L. 3222-1 », il s’agit en principe d’un établissement auquel est rattachée une UHSA. En effet, l’hospitalisation « au sein d’une unité adaptée » n’est pas le cas de figure auquel le législateur a accordé la primauté.

Les dispositions réglementaires afférentes aux UHSA regroupent les articles R. 3214-1 à R. 3214-23 du Code de la santé publique. Il est possible de discerner deux groupes d’articles :

  • les articles R. 3214-1 à R. 3214-20 sont consacrés à l’organisation territoriale des UHSA, la procédure d’admission et l’organisation interne de ces structures ;
  • les articles R. 3214-21 à R. 3214-23 traitent de la problématique particulière du transport et de l'escorte des détenus.

Le cadre juridique de l’hospitalisation des détenus en UHSA est complété par l’article R. 57-7-83 du Code de procédure pénale qui précise les conditions d’usage de la force :

« Les personnels pénitentiaires ne doivent utiliser la force envers les personnes détenues qu’en cas de légitime défense, de tentative d’évasion, de résistance violente ou par inertie physique aux ordres donnés, sous réserve que cet usage soit proportionné et strictement nécessaire à la prévention des évasions ou au rétablissement de l’ordre ».

Tant que le nombre d’UHSA (9) , et donc le nombre de lits disponibles dans de telles unités, demeurent insuffisants pour répondre aux besoins, le dispositif antérieur est maintenu sur le fondement de l’article 48-II de la loi du 9 septembre 2002 :

« Dans l’attente de la prise en charge par les unités hospitalières spécialement aménagées mentionnées à l’article L. 3214-1 du Code de la santé publique, l’hospitalisation des personnes détenues atteintes de troubles mentaux continue d’être assurée par un service médico-psychologique régional ou un établissement de santé habilité dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires prises sur le fondement des articles L. 6112-1 et L. 6112-9 du même Code ».

Dans ces conditions, alors que les détenus ne doivent, conformément à l’article R. 4127-7 du Code de la santé publique, faire l’objet d’aucune discrimination en raison de leur détention ou de ses causes, des « précautions discriminantes » continuent à leur être appliquées dans les services de psychiatrie des établissements de santé. Ces « précautions discriminantes », incluent notamment la pratique de la mise à l’isolement quasi-généralisée des détenus hospitalisés. Les préfets considèrent en effet souvent que l’hospitalisation en établissement psychiatrique d’une personne détenue dans un service de psychiatrie autre qu’une UHSA impose la mise du détenu en chambre de sûreté ou, à défaut, sous toute autre mesure d’isolement extrêmement stricte. Une ordonnance de mainlevée du JLD du TGI de Versailles du 10 août 2017 (n°17/021262) relève l’irrégularité que constituent de telles mesures. Dans le cas d’espèce, le patient avait été maintenu à l’isolement durant cinq jours, en l’absence de décision médicale ; les pièces transmises au juge indiquaient au surplus que patient était calme et non agressif. Le JLD en a déduit l’existence d’une atteinte au droit et a prononcé une mesure de mainlevée.[1] Outre les pratiques de mise à l’isolement, il faut souligner la suspension des droits des détenus mis en œuvre dans les établissements pénitentiaires (ces droits sont fixés par des textes législatifs et réglementaires qui ne peuvent être appliqués dans les « établissements de santé habilités »).


[1] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, p. 36

7.3 - L’encadrement des durées d’hospitalisation sous contrainte

La loi du 5 juillet 2011 a maintenu le pouvoir de décision et de gestion administrative dans le champ de compétence des autorités administratives : les directeurs d’hôpitaux en matière de soins sans consentement à la demande d’un tiers et les préfets en matière de soins sans consentement sur décision du représentant de l’Etat.

Toutefois elle a également :

  • attribué au JLD la mission d’assurer à échéances régulières le contrôle juridictionnel de la légalité des mesures d’hospitalisations sans consentement, et plus récemment d’isolement et de contention ;
  • conféré un rôle prépondérant au psychiatre, lequel doit produire des certificats médico-légaux qui ont pour finalité d’éclairer l’exercice du pouvoir décisionnaire des autorités administratives et judiciaires.

7.3.1 - La période initiale d’observation et de soins de 72 heures

L’article L. 3211-2-2 du Code de la santé publique énonce en son premier alinéa :

« Lorsqu’une personne est admise en soins psychiatrique en application des chapitres II et III du présent titre, elle fait l’objet d’une période d’observation et de soins initiale sous la forme d’une hospitalisation complète ».   

Le dispositif afférent au déroulé de la « période d’observation et de soins initiale » est axé autour de l’obligation faite à un psychiatre de l’établissement d’accueil de produire des certificats médico-légaux, afin d’évaluer si l’état de santé de la personne justifie le maintien de la mesure de soins sans consentement aux deux échéances de vingt-quatre et soixante-douze heures.

Par deux fois le juge d’appel (CA de Versailles, 10 juillet 2014, n°14/04955, https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/2014-07-10-ca-versailles-mainlevee-hc-reintegration-pg-de-soins.pdf ; 15 septembre 2015, n°15/06413) a considéré qu’il est également nécessaire de produire ces deux certificats médico-légaux dans le cadre de la réintégration en hospitalisation complète d’un patient en programme de soins qui implique donc le même formalisme qu’une admission en hospitalisation complète.[1]

A.    L’examen somatique complet et le certificat médical de 24 heures :

L’article L. 3211-2-2 du Code de la santé publique précise :

« … Dans les vingt-quatre heures suivant l’admission, un médecin réalise un examen somatique complet de la personne et un psychiatre de l’établissement d’accueil établit un certificat médical constatant son état mental et confirmant la nécessité de maintenir les soins psychiatriques au regard des conditions définies aux articles L. 3212-1 ou L. 3213-1. … ».

La Cour d’Appel de Douai dans une ordonnance du 15 décembre 2016 (n°16/00122, https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/2016-12-15_c.a._douai_mainevee_sdt_et_frais_irrepteibles.pdf) a jugé que l’absence d’un tel examen somatique faisait grief au patient et justifiait la mainlevée de la mesure d’hospitalisation complète.

Toutefois, la Cour de cassation (Cass, Civ 1, 14 mars 2018, n°17-13223, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000036741992&fastReqId=1815329287&fastPos=1) a considéré que l’examen somatique (à la différence de l’examen psychiatrique) ne donne pas lieu à l’établissement d’un certificat médical, ni ne figure au nombre des pièces obligatoirement adressées au JLD.

B.    La décision à la fin de la période initiale d’observation et de soins

Conformément à l’article L. 3211-3 du Code de la santé publique, l’avis du patient doit être recherché et pris en compte avant que ne soit formulée la proposition de décision qui sera présentée à l’autorité administrative compétente à la fin de la période d’observation et de soins.

La procédure afférente à la fin de la période d’observation et de soins initiale est décrite par l’article L. 3211-2-2 :

« … Dans les soixante-douze heures suivant l’admission, un nouveau certificat est établi dans les mêmes conditions que celles prévues dans le deuxième alinéa du présent article.

Lorsque les deux certificats médicaux (certificat de vingt-quatre heures et certificat de soixante-douze heures) ont conclu à la nécessité de maintenir les soins psychiatriques, le psychiatre propose, dans le certificat mentionné au troisième alinéa du présent article, la forme de la prise en charge mentionnée aux 1° et 2° de l’article L. 3211-1 et, le cas échéant, le programme de soins. Cette proposition est motivée au regard de l’état de santé du patient et de l’expression de ses troubles mentaux ».

Ainsi, lorsque les deux certificats médicaux ont conclu à la nécessité de maintenir la mesure, la proposition d’orientation doit conclure en faveur de la poursuite de la mesure sous la forme d’une hospitalisation complète ou sous une forme ambulatoire.

Un certificat médical établi avant la fin de la période des 72h, en l’espèce 48h, ne peut être considéré comme ayant respecté les dispositions légales et la mainlevée sera ainsi ordonnée. (JLD Paris, 7 septembre 2020) : « Il apparait que le certificat médical de 72 h a en réalité été établi le 31 août 2020, soit 48 h seulement après l’admission de la patiente au sein de l’hôpital. Ce certificat médical établit 48 h après l’admission de la patiente ne peut constituer valablement le certificat médical qui est requis par la loi 72 h après l’arrivée de la patiente. Dans ces conditions, la procédure est entachée d’une irrégularité qui fait grief à la patiente. Il convient dès lors de rejeter la requête et d’ordonner la main levée de la mesure. Il convient néanmoins de décider que cette mainlevée prendra effet dans un délai maximal de 24 heures afin qu’un programme de soins puise, le cas échéant, être établi en application de l’article L.3211-2-1. »

Pour poursuivre sous la forme d’une hospitalisation complète, les pièces médicales doivent mentionner le risque d’atteinte à l’intégrité du malade ou d’autrui qui justifie cette orientation. Ainsi, le maintien de l’hospitalisation à temps complet ne peut être justifié uniquement par l’absence d’adhésion du patient aux soins. Dans un tel cas, le JLD ordonne la levée de la mesure, avec effet différé à vingt-quatre heures en vue de la mise en œuvre d’un programme de soins (CA de Grenoble, ordonnance du 2 février 2017, n°17/00003, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000034005835&fastReqId=1010096004&fastPos=2).

Quelle que soit la forme proposée et mise en œuvre, l’article L. 3211-11 du Code de la santé publique précise :

« Le psychiatre qui participe à la prise en charge du patient peut proposer à tout moment de modifier la forme de la prise en charge mentionnée à l’article L. 3211-2-2 pour tenir compte de l’état de la personne. Il établit en ce sens un certificat circonstancié … ».

L’obligation d’effectuer des examens médicaux à l’issue des premières 24 et 72 heures s’applique  également en cas de réadmission en hospitalisation complète. 

Ainsi, dans un arrêt du 22 septembre 2022 (22/00145), la Cour d’appel de Chambéry a prononcé la mainlevée d’une mesure d’hospitalisation complète en expliquant notamment que « M. [U] [S] a, ainsi, été retenu hospitalisé à temps complet sans son consentement entre le 26 et 29 Août 2022 […] sans qu'il ne soit procédé à un examen somatique complet de sa personne avec établissement de certificats médicaux constatant, dans les 24 heures et 72 heures suivant sa réadmission, son état mental et confirmant, ou non, la nécessité de maintenir les soins psychiatriques au regard des conditions définies à l'article L. 3213-1 du code de la santé publique, ce qui lui a nécessairement causé grief. »

Ordonnance du Juge des libertés et de la détention près du Tribunal judiciaire de PARIS en date du 20 novembre 2023, RG 23/03798 : Décision de mainlevée de la procédure d’hospitalisation sans consentement en raison de l’établissement des deux certificats médicaux de 24 et 72 heures établis à la même date : « Il ressort de l’examen des pièces jointes à la saisine qu’ont été dressées à l’égard de l’intéressé deux certificats médicaux respectivement de 24 et 72 heures établis à la même date et portant des prescriptions identiques. Il s’en suit une irrégularité qui justifie la main levée de la mesure. ».

Cour de Cassation, 26 octobre 2022, n° 20-22.827 : 13. Pour écarter le moyen tiré de l'absence d'horodatage des certificats médicaux des vingt-quatre et soixante-douze heures ne permettant pas de vérifier le respect des délais légaux et autoriser le maintien de M. [N] en hospitalisation complète, l'ordonnance retient que la loi ne prévoit pas un tel horodatage et que le premier certificat a été établi le 25 septembre 2020, soit dans les vingt-quatre heures de l'admission décidée le 24, et le second le 27 septembre 2020, soit dans les soixante-douze heures de celle-ci.
14. En statuant ainsi, le premier président a violé le texte susvisé
.

C.    Conditions de validité des certificats médico-légaux :

L’article L. 3211-2-2 du Code de la santé publique énonce aussi :

« … Ce psychiatre ne peut être l’auteur du certificat médical ou d’un des deux certificats médicaux sur la base desquels la décision d’admission a été prononcée ».

L’article L. 3211-2-2 est un texte de portée générale, applicable que les personnes concernées aient été admises en soins sans consentement à la demande d’un tiers, en péril imminent ou sur décision du représentant de l’Etat.

Concernant la compétence légale des médecins certificateurs, une ordonnance de la Cour d’appel de Paris (ordonnance de mainlevée du 26 janvier 2015, n°15/00034) « a prononcé la levée, au motif que le certificat médical d’admission et le certificat de 72 heures avaient été établis par le même psychiatre, en violation du troisième alinéa de l’article L. 3211-2-2 du CSP, exigeant l’intervention de deux praticiens différents »[2].

Le directeur de l’établissement a l’obligation d’adresser les certificats de vingt-quatre et soixante-douze heures au préfet et à la commission départementale des soins psychiatriques, conformément à l’article L. 3212-5, I lorsque le patient a été admis à la demande d’un tiers ou en péril imminent, et au deuxième alinéa de l’article L. 3213-1 pour les admissions en SDRE.

La rédaction des certificats médico-légaux est précisée par la jurisprudence. Ainsi, l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris, DAME ANDERSON c/CH ESQUIROL DE SAINT MAURICE (6 avril 2009, n°07PA02102, http://paris.cour-administrative-appel.fr/content/download/7953/23989/version/1/file/113-mars-avril-2009_1_2.pdf, pp. 78-80) explique que les certificats médico-légaux doivent renseigner « suffisamment clairement … sur l’existence, la nature et la persistance des troubles, sans qu’il soit nécessaire pour le médecin de viser expressément les dispositions du Code de la santé publique applicables à la situation ».

La Cour de cassation (Cass, Civ 1, 28 mai 2015, n°14-15686, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000030653178&fastReqId=730560502&fastPos=1) considère que, s’agissant des certificats médicaux relatifs à une admission en SDRE, le psychiatre n’est pas dans l’obligation de qualifier si l’état de la personne est susceptible de compromettre la sûreté des personnes ou de troubler l’ordre public.

Enfin, l’absence de respect des délais de production des certificats est régulièrement sanctionnée par le JLD (Tony GODET, Eric PECHILLON, Mélanie BIOTTEAU-LACOSTE, Jean-Louis SENON, Philippe GAILLARD, Annales médico-psychologiques, octobre 2017, n°8, pp. 681-682). En cas de défaut d’un certificat à l’échéance qui est la sienne, la mesure fait l’objet d’une mainlevée « automatique » et le patient peut :

  • quitter librement l’établissement (sans que cette sortie puisse être qualifiée de fugue ou de sortie contre avis médical),
  • ou demeurer dans l’établissement sous le régime de l’hospitalisation libre.

[1] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat et les soins psychiatriques sans consentement : Quels changements depuis 2011, document mis à jour le 23/12/2018, p. 45, https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/panfili_jean-marc_2018-12-23_analyse_de_la_jpdce_mise_a_jour.pdf

[2] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, p. 11

7.3.2 - La saisine du juge des libertés et de la détention dans les 12 jours puis à 6 mois

Le législateur de 2011 charge le juge judiciaire d’assurer à échéances régulières le contrôle de la légalité des hospitalisations sans consentement. Ce contrôle, qui se poursuit au fil de l’hospitalisation sans consentement, débute par la vérification systématique de la régularité de la procédure d’admission.

A. Calendrier des interventions obligatoires du JLD

L’article L. 3211-12-1, I du Code de la santé publique énumère les échéances auxquelles le JLD doit intervenir pour statuer sur la légalité de la mesure privative de liberté :

« I - L’hospitalisation complète d’un patient ne peut se poursuivre sans que le juge des libertés et de la détention (JLD), préalablement saisi par le directeur de l’établissement, lorsque l’hospitalisation a été prononcée en application du chapitre II du présent titre ou par le représentant de l’Etat dans le département lorsqu’elle a été prononcée en application du chapitre III du présent titre, de l’article L. 3214-3 du présent Code  ou de l’article 706-135 du Code de procédure pénale, ait statué sur cette mesure :

1° Avant l'expiration d'un délai de douze jours à compter de l'admission prononcée en application des chapitres II ou III du présent titre ou de l'article L. 3214-3 du même code. Le juge des libertés et de la détention est alors saisi dans un délai de huit jours à compter de cette admission ;

2° Avant l'expiration d'un délai de douze jours à compter de la décision modifiant la forme de la prise en charge du patient et procédant à son hospitalisation complète en application, respectivement, du dernier alinéa de l'article L. 3212-4 ou du III de l'article L. 3213-3. Le juge des libertés et de la détention est alors saisi dans un délai de huit jours à compter de cette décision ;

3° Avant l'expiration d'un délai de six mois à compter soit de toute décision judiciaire prononçant l'hospitalisation en application de l'article 706-135 du code de procédure pénale, soit de toute décision prise par le juge des libertés et de la détention en application du présent I ou des articles L. 3211-12 ou L. 3213-9-1 du présent code, lorsque le patient a été maintenu en hospitalisation complète de manière continue depuis cette décision. Toute décision du juge des libertés et de la détention prise avant l'expiration de ce délai en application du 2° du présent I ou de l'un des mêmes articles L. 3211-12 ou L. 3213-9-1, ou toute nouvelle décision judiciaire prononçant l'hospitalisation en application de l'article 706-135 du code de procédure pénale fait courir à nouveau ce délai. Le juge des libertés et de la détention est alors saisi quinze jours au moins avant l'expiration du délai de six mois prévu au présent 3°.

Toutefois, lorsque le juge des libertés et de la détention a ordonné, avant l'expiration de l'un des délais mentionnés aux 1° à 3° du présent I, une expertise soit en application du III du présent article, soit, à titre exceptionnel, en considération de l'avis mentionné au II, ce délai est prolongé d'une durée qui ne peut excéder quatorze jours à compter de la date de cette ordonnance. L'hospitalisation complète du patient est alors maintenue jusqu'à la décision du juge, sauf s'il y est mis fin en application des chapitres II ou III du présent titre. L'ordonnance mentionnée au présent alinéa peut être prise sans audience préalable. »

Les délais fixés pour l’intervention du juge sont impératifs ; il en est de même en ce qui concerne les délais dans lesquels le directeur de l’établissement ou le préfet doit saisir le JLD.

Sur la chronologie : la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation a rejeté (21 novembre 2019, n°19-20513, https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/1075_21_43939.html) l’argument selon lequel que « la décision d’admission en soins psychiatriques sans consentement du directeur du centre hospitalier [devrait] précéder l’admission effective du patient ».

Sur le délai de 12 jours pour la première saisine du JLD :

  • La cour d’appel de Douai a rendu le 8 janvier 2013 une ordonnance (n°13/00003) confortant la mainlevée du JLD qui n’avait pas été mis en mesure de statuer dans les 12 jours de sa saisine. La cour précise que le non-respect du délai imparti au juge pour statuer « cause nécessairement un grief au patient, car une hospitalisation sous contrainte qui s’en trouve ainsi, de ce fait même, prolongée abusivement, est une mesure gravement attentatoire à la liberté individuelle ».
  • La première chambre civile de la Cour de Cassation a précisé, dans un arrêt du 7 novembre 2019, (n°19-18262, https://www.dalloz-actualite.fr/flash/soins-psychiatriques-sans-contentement-pratiques-de-contrainte-et-d-isolement-hors-controle#.XfkBLdVKiM8) que le « jour de l’évènement » qui fait courir le délai de 12 jours du contrôle obligatoire de la mesure par le JLD n’est pas celui de l’admission en soins, mais la date à laquelle la décision administrative d’admission en soins psychiatriques sans consentement a été prise par le directeur du centre hospitalier.
  • La première chambre civile de la Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 24 mai 2018, que le Juge des libertés et de la détention doit être saisi dans les 8 jours à compter de la décision d’admission, même en cas de fugue du patient :

« Vu l'article L. 3211-12-1 du code de la santé publique ;
Attendu qu'il résulte du I de ce texte que le juge des libertés et de la détention est saisi dans un délai de huit jours à compter de la décision prononçant l'admission ou la réadmission du patient en hospitalisation complète, et de son IV que, s'il est saisi après l'expiration de ce délai, le juge constate sans débat que la mainlevée de l'hospitalisation complète est acquise, à moins qu'il ne soit justifié de circonstances exceptionnelles à l'origine de la saisine tardive et que le débat puisse avoir lieu dans le respect des droits de la défense ;

Attendu que, pour déclarer la saisine régulière, après avoir constaté la fugue de M. X..., l'ordonnance retient que le juge était en mesure de statuer dans le délai de douze jours à compter de la décision de réadmission, et que le délai de huit jours pour le saisir a pour seul objet de permettre l'organisation de l'audience ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il constatait que le juge des libertés et de la détention avait été saisi plus de huit jours après la décision d'admission du patient en hospitalisation complète, le premier président, qui n'a pas relevé l'existence d'une circonstance exceptionnelle, a violé le texte susvisé ;
(Civ 1ère, 24 mai 2018, 17-21.056)

Sur le délai de 6 mois pour la deuxième saisine du JLD :

Le délai de 6 mois commence à courir à compter de la date de la décision judiciaire prononçant l’hospitalisation du patient et non pas la date de la mise en œuvre par le préfet de la décision judiciaire. (Cass. Civ 1. 8 juillet 2020, n°19-18.839, https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/arrets_publies_2986/premiere_chambre_civile_3169/2020_9633/juillet_9808/428_8_45143.html)

L’article L. 3211-12-1 précise par ailleurs que la saisine « est accompagnée de l’avis motivé d’un psychiatre de l’établissement d’accueil se prononçant sur la nécessité de poursuivre l’hospitalisation complète … ». Cet avis est indispensable, aussi bien pour la poursuite des soins à la suite d’une admission, que pour la poursuite des soins au-delà de chacune des échéances fixées pour le contrôle de plein droit. En l’absence de cet avis, la saisine du JLD se trouve frappée d’une irrégularité constitutive d’une atteinte aux droits.

L’article précise également le cas particulier des patients médico-légaux : « … Lorsque le patient relève de l'un des cas mentionnés au II de l'article L. 3211-12, l'avis prévu au premier alinéa du présent II est rendu par le collège mentionné à l'article L. 3211-9 ».

B. Nature et étendue de la compétence du JLD

La compétence attribuée au juge des libertés et de la détention (JLD) repose sur l’article L. 3216-1 du Code de la santé publique :

« La régularité des décisions administratives (de soins psychiatriques sans consentement) prises en application des chapitres II à IV du présent titre ne peut être contestée que devant le juge judiciaire.

… L’irrégularité affectant une décision administrative … n’entraine la mainlevée de la mesure que s’il en est résulté une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l’objet … »

Il n’est pas demandé au juge judiciaire d’agir comme un juge administratif (et par suite d’annuler les décisions administratives illégales pour des questions de forme), mais de rechercher si, de l’irrégularité de la procédure, il est résulté une « atteinte aux droits de la personne ». Selon Jean-Marc PANFILI[1] : « la loi qui ne qualifie pas l’atteinte, n’exige ni une atteinte ‘’grave’’, ni une atteinte particulière. Il est donc possible d’en déduire que toute irrégularité entraîne une atteinte aux droits. …  En conséquence, l’ensemble des illégalités soulevées entraînera la nullité juridique des mesures dans leurs effets ». Le juge judiciaire est par ailleurs libre de son appréciation de l'irrégularité.

Le Tribunal des Conflits a considéré, dans sa décision du 9 décembre 2019 (n°C4174, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000039655557&fastReqId=1284976408&fastPos=1) sur saisine du Conseil d’Etat, que le juge judiciaire dispose du pouvoir d’annuler une décision de soins sans consentement. L’arrêt a ainsi souligné que la juridiction judiciaire est « seule compétente pour apprécier non seulement le bien-fondé mais également la régularité d’une mesure d’admission en soins psychiatriques sans consentement et les conséquences qui peuvent en résulter » ; dès lors, « toute action relative à une telle mesure doit être portée devant cette juridiction à laquelle il appartient d’en prononcer l’annulation ».

Elle se fait sur le fondement de l’article L. 3211-12-1 du Code de la santé publique en vue du contrôle de plein droit du JLD :                        

L’article L. 3211-12-1 du Code de la santé publique pose le principe selon lequel le JLD a l'obligation d'intervenir à des échéances précises lorsque l’hospitalisation complète sans consentement d’un patient a été prononcée (c’est le « contrôle de plein droit »). Il ne prévoit en revanche aucune compétence de plein droit du JLD dans le cas des personnes soumises à un programme de soins ambulatoire.

Quel que soit le mode d'admission sans consentement, le terme « hospitalisation » englobe :

  • la « réintégration d’un patient en hospitalisation complète après une interruption » ;
  • la « transformation d’un programme de soins en hospitalisation complète » ;
  • la « réadmission du patient en hospitalisation complète ».  

La responsabilité de la saisine du JLD incombe à l’autorité qui se trouve à l’origine de la décision de soins. Ainsi, comme le relève Jean-Marc PANFILI : « En ce qui concerne la saisine du JLD, dans le cas d’une mesure de SDRE, l’hôpital n’est pas compétent pour le saisir. Cette saisine relève de la compétence exclusive de la préfecture qui est le donneur d’ordre (CA de Reims, ordonnance de mainlevée du 8 décembre 2016, n°16/00098, https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/2016-12-08_c.a._reims_mainlevee_sdre.pdf). La saisine du JLD par l’hôpital d’accueil est considérée, dans le cas d’espèce, comme irrecevable par le juge d’appel. En conséquence de l’irrecevabilité, l’ordonnance de maintien de la mesure prise par le premier juge est infirmée et la mainlevée est ordonnée. … La Cour de cassation (Cass, Civ 1, 22 février 2017, n°16-13824, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000034086815&fastReqId=625713226&fastPos=1) a retenu que ce dernier (le JLD) doit vérifier si le signataire de la requête (directeur ou préfet selon le cas), avait qualité pour le saisir, le cas échéant au titre d’une délégation de signature. Ainsi, lorsque l’irrégularité qui affecte la requête qui saisit le JLD est constituée, la requête est irrecevable. Il n’y a pas à justifier d’un grief puisque dans cette hypothèse c’est une irrégularité de procédure de saisine du juge, qui entraîne la mainlevée »[2]. 

Les juridictions interprètent en principe strictement le « I » de l’article L. 3211-12. C’est ainsi que la CA de Rennes (ordonnance du 28 septembre 2012, n°12/00228) a considéré que le premier alinéa de l'article L. 3211-12 ne donne le pouvoir au JLD que « d’ordonner la mainlevée de l’hospitalisation complète », ou de « statuer sur l’opportunité de la transformation d’un programme de soins vers une hospitalisation complète », à l'exclusion de toutes autres possibilités. En l’espèce, la Cour d’appel a rejeté les demandes de la patiente requérante portant sur :

  • la modification de son programme de soins ;
  • la suspension de l’augmentation de la dose de Risperdal qui devait lui être administrée ;
  • l'augmentation du nombre de permissions de sorties qui lui étaient accordées.

S’agissant de l’interprétation de la Cour de cassation, Eric PECHILLON fait observer que « la Cour distingue bien le contentieux de la légalité de l’admission (qui relève de la compétence du juge de la liberté et de la détention) de celui qui pourrait survenir lorsqu’un patient conteste les modalités de sa prise en charge » (Santé mentale, n°243, décembre 2019, p.9).

Par suite, « Si un patient estime que l’usage effectif de la contrainte n’est pas nécessaire, adapté et proportionné à son état …  Il agira en tant qu’usager du service public de santé et pourra notamment saisir le juge administratif, au besoin par le biais d’un référé liberté … ». Le patient fondera alors sa requête sur l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Dans le cadre de cette procédure, le juge des référés statue en référence à deux autres articles :

  • l’article L. 522-1 qui indique que : « Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire ou orale… »
  • l’article L. 5 qui développe que : « L’instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l’urgence ».

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation précise que le juge ne peut pas lever la mesure en apportant une appréciation d’ordre médical, qui au demeurant diffère de celle des médecins. La frontière est fine mais nette. Le rôle du juge se limite à s’assurer de la régularité de la mesure et de sa cohérence au regard des éléments médicaux fournis (Cass. 1re civ., 8 février 2023, no 22-1D0852).


[1] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat et les soins psychiatriques sans consentement : Quels changements depuis 2011, document mis à jour le 23/12/2018, p. 7

[2] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, p. 11

7.3.3 - Le contrôle des soins sans consentement au-delà de la période d’observations et de soins initiale

A. Contrôle des soins à la demande d’un tiers

Lorsqu’il s’agit de soins sans consentement à la demande d’un tiers, à l’issue de la période d’observation et de soins en hospitalisation complète, ainsi que l’indique le premier alinéa de l’article L. 3212-7 du Code de la santé publique, « les soins peuvent être maintenus par le directeur de l'établissement pour des périodes d'un mois, renouvelables ».

L’article L.3212-7 précise ensuite les conditions du renouvellement des périodes d’un mois :

« … Dans les trois derniers jours de chacune des périodes mentionnées au premier alinéa, un psychiatre de l'établissement d'accueil établit un certificat médical circonstancié indiquant si les soins sont toujours nécessaires. Ce certificat médical précise si la forme de la prise en charge de la personne malade décidée en application de l'article L. 3211-2-2 demeure adaptée et, le cas échéant, en propose une nouvelle. Lorsqu'il ne peut être procédé à l'examen de la personne malade, le psychiatre de l'établissement d'accueil établit un avis médical sur la base du dossier médical.

Lorsque la durée des soins excède une période continue d'un an à compter de l'admission en soins, le maintien de ces soins est subordonné à une évaluation médicale approfondie de l'état mental de la personne réalisée par le collège médical mentionné à l'article L. 3211-9. Cette évaluation est renouvelée tous les ans. Ce collège recueille l'avis du patient. En cas d'impossibilité d'examiner le patient à l'échéance prévue en raison de son absence, attestée par le collège, l'évaluation et le recueil de son avis sont réalisés dès que possible.

Le défaut de production d'un des certificats médicaux, des avis médicaux ou des attestations mentionnées au présent article entraîne la levée de la mesure de soins.

Les copies des certificats médicaux, des avis médicaux ou des attestations prévus au présent article et à l'article L. 3211-11 sont adressées sans délai par le directeur d'établissement d'accueil à la commission médicale des hospitalisations psychiatriques mentionnée à l'article L. 3222-5. »

Les articles L. 3212-8 et L. 3212-9 décrivent la procédure et les conditions de levée de la mesure de soins sans consentement par le directeur de l’établissement. L’article R. 2223-9 apporte des précisions lorsque la levée est demandée par la commission départementale des soins psychiatriques.

La Cour de cassation a rappelé, par un arrêt en date du 11 octobre 2022, l'absence de recours juridique pour les refus d’accorder une permission de sortie lors d’une hospitalisation sans consentement. Ainsi, les dispositions de l'article L. 3211-11-1 12 du Code de la santé publique, définissant le régime des autorisations de sortie de courte durée dont peuvent bénéficier les personnes admises en soins sans consentement dans les établissements de soins psychiatriques, ne prévoient pas de contrôle juridictionnel, pas d'obligation d'information préalable de la personne et aucune voie de recours en faveur de la personne qui les sollicite. Le refus du directeur d'établissement d'accorder des autorisations de sortie de courte durée aux personnes faisant l'objet de soins psychiatriques sous la forme d'une hospitalisation complète n'emporte pas aggravation de l'atteinte à leur liberté individuelle ou au respect de leur vie privée (Cour de cassation, 11 octobre 2022, n°22.12.107).

B. Contrôle des soins en matière de SDRE

La mission du « représentant de l’Etat dans le département »,  relative aux SDRE englobe trois champs de compétences :

  • les décisions d'hospitalisation initiales ;
  • les décisions de maintien des mesures à un mois, puis trois mois, puis tous les six mois ;
  • les décisions de levée des mesures.

Par « représentant de l’Etat dans le département », il faut entendre le préfet du département d'implantation de l'établissement dans lequel la personne qui fait l'objet de la mesure se trouve en soins sans consentement.

Si la garantie, pour le patient, de n'être contraint qu'à une mesure de soins adaptée, nécessaire et proportionnée à son état mental fait partie de la mission du préfet, cette dernière répond en premier lieu à des objectifs sécuritaires de protection des personnes et de l’ordre public.

Ainsi, alors que l’exigence de respect par les directeurs d’établissement des conditions de l’hospitalisation à la demande d’un tiers est assortie de sanctions pénales formulées dans le Code de la santé publique, aucune sanction pénale n’est spécifiée dans ce même code à l’encontre du représentant de l’Etat. Jean-Marc PANFILI relève cependant que : « Si le représentant de l’Etat ordonne l’admission de façon injustifiée, il est passible du crime d’atteinte à la liberté individuelle, tel que défini à l’article 434-2 du Code pénal. Ainsi, une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice ou à l’occasion de ses fonctions, qui ordonne arbitrairement un acte attentatoire à la liberté individuelle, risque une peine d’emprisonnement ou d’amende. Il peut s’agir de réclusion criminelle lorsque la détention ou la rétention arbitraire excède sept jours »[1].

Comme l’a considéré le Conseil d’Etat dans l’arrêt Deslandes, du 9 novembre 2001, lorsque que le préfet prononce l’une ou l’autre de ces mesures, il doit agir en conformité avec l’article L. 3213-1 du Code de la santé publique qui exige que les arrêtés préfectoraux soient « motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l’admission en soins (entendre plus généralement l’admission, le maintien ou la levée) nécessaire », et par suite : - « se référ(er) au certificat médical circonstancié » ;
- « s’en approprier le contenu » ;
- « joindre ce certificat à la décision ».

Dans toutes les situations où le préfet doit prendre une décision qui relève de ses champs de compétence, les certificats et avis médico-légaux afférents sont transmis par le directeur de l'établissement au préfet, via la délégation départementale de l’ARS. Ils doivent être explicites sur l'amélioration, la stabilisation ou la détérioration de l'état de santé de la personne en SDRE.

L'encadrement des délais

Conformément à l’article L. 3213-9, à l'échéance de vingt-quatre heures, le préfet a l'obligation d'informer un certain nombre d'autorités ou de personnes de l’admission.

Au-delà des soixante-douze heures, les articles L. 3213-3 et L. 3213-4 du Code de la santé publique fixent :

  • l’échéancier des certificats médico-légaux ;
  • la procédure préalable aux décisions du représentant de l’Etat dans le département ;
  • la procédure de prise de décision préfectorale.

Le troisième alinéa de l’article L. 3213-4 précise que l’existence d’un échéancier fixé pour la production de décisions préfectorales de maintien des mesures ne fait nullement obstacle à la levée de ces dernières entre les échéances fixées.

L’article L3213-4 du code de la santé publique dispose « Dans les trois jours précédant l'expiration du premier mois d'hospitalisation, le représentant de l'Etat dans le département peut prononcer, après avis motivé d'un psychiatre, le maintien de l'hospitalisation d'office pour une nouvelle durée de trois mois. Au-delà de cette durée, l'hospitalisation peut être maintenue par le représentant de l'Etat dans le département pour des périodes de six mois maximum renouvelables selon les mêmes modalités

Lorsque le préfet ne se conforme pas à ces délais et durées, la mainlevée de la mesure est acquise, conformément au troisième alinéa du même article. Dans le cas où un préfet renouvellerait, (dans les trois jours précédant l’expiration du premier mois d’hospitalisation) la mesure d’hospitalisation sous contrainte pour une durée de six mois (au lieu de trois mois, comme l’exige l’article, dans le cadre du premier renouvellement) le juge prononcera la mainlevée de la mesure. Voir en ce sens la décision de la Cour d’Appel de Lyon du 18 mai 2021.

C. La levée des mesures de SDRE concernant les patients médico-légaux (irresponsables pénaux)

Le quatrième alinéa de l’article L. 3213-4 du Code de santé publique énonce que les trois alinéas précédents ne sont pas applicables « aux personnes mentionnées au II de l’article L. 3211-12 », c’est-à-dire aux patients « médico-légaux ».

Le dispositif dérogatoire afférent à la procédure préfectorale est fixé par toute une suite de dispositifs :

  • l’article L. 3213-3, III et IV du Code de la santé publique
  • l'article L. 3213-8
  • l'article R. 3213-2 qui détaille les obligations du directeur de l’établissement ainsi que du préfet.

Lorsqu’il s’agit de la levée des mesures de SDRE appliquées à ces patients, comme lorsqu’il s’agit de modifier la forme de leur prise en charge, le préfet doit donc procéder selon des dispositions dérogatoires au droit commun qui prévoient :

  • l’avis du « collège mentionné à l’article L. 3211-9 » du Code de la santé publique ;
  • deux expertises psychiatriques.

Le « collège mentionné à l’article L. 3211-9 » est un organe psychiatrique dont la composition est précisée à l’article R. 3211-2 du Code de la santé publique. La nomination des membres est spécifique à chaque convocation. L’article R. 3211-6 précise :

« Le délai maximal dans lequel le collège doit rendre ses avis … est fixé à cinq jours à compter de la date de convocation … ».

Le 4 décembre 2019, la 1ère Chambre Civile de la Cour de Cassation a confirmé que le juge ne peut décider de la mainlevée de l’hospitalisation sans consentement d’un patient en SDRE qu’après avoir recueilli deux expertises établies par deux psychiatres. En l’espèce, « en statuant ainsi, alors qu’il avait constaté l’absence des deux expertises requises par la loi en vue d’établir l’absence de dangerosité du patient, le premier président a violé les textes susvisés. »


[1] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, p 30

7.3.4 - La saisine facultative du JLD à tout moment pour une levée d’hospitalisation

L’article L. 3216-1 du Code de la santé publique affirme la compétence exclusive du juge judiciaire pour connaître de la régularité des décisions administratives des mesures de soins sans consentement, que ce soit dans le cadre de l’article L. 3211-12 comme dans celui de l’article L. 3212-12-1. Par ailleurs :

« … Lorsque le tribunal judiciaire statue sur les demandes en réparation des conséquences dommageables résultant pour l’intéressé des décisions administratives mentionnées au premier alinéa, il peut, à cette fin, connaître des irrégularités dont ces dernières seraient entachées ».

L’article L. 3211-12 du Code de la santé publique précise :

« I - Le juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel se situe l'établissement d'accueil peut être saisi, à tout moment, aux fins d'ordonner, à bref délai, la mainlevée immédiate d'une mesure de soins psychiatriques prononcée en application des chapitres II à IV du présent titre ou de l'article 706-135 du Code de procédure pénale, quelle qu'en soit la forme.

La saisine peut être formée par :

1° La personne faisant l'objet de soins ;

2° Les titulaires de l'autorité parentale si la personne est mineure ;

3° La personne chargée de la protection si, majeure, elle a été placée en tutelle ou en curatelle ;

4° Son conjoint, son concubin, la personne avec laquelle elle est liée par un pacte civil de solidarité ;

5° La personne qui a formulée la demande de soins ;

6° Un parent ou une personne susceptible d'agir dans l'intérêt de la personne faisant l'objet de soins ;

7° Le procureur de la République.

Le juge des libertés et de la détention peut également se saisir d'office, à tout moment. A cette fin, toute personne intéressée peut porter à sa connaissance les informations qu'elle estime utiles sur la situation d'une personne faisant l'objet d'une telle mesure. »

La possibilité de saisine donnée à la « personne faisant l’objet de soins » n’a été enfermée dans aucun formalisme. Un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 19 février 2013, n°1285/03, Affaire B. c. Roumanie, http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-116588) démontre ainsi « une vision la plus large possible des requêtes formulées par des patients en soins sans consentement, en vue de sorties immédiates ... A ce titre, toute demande ou réclamation émise par un patient privé de liberté, à titre facultatif, doit être transmise sans délai au JLD, qu’elle qu’en soit la forme. Cette jurisprudence européenne atténue les restrictions prévues pour les majeurs protégés. Si ces derniers adressent un courrier au juge, certes il ne s’agira pas d’une saisine en tant que telle, vu leur incapacité juridique, mais d’un moyen qui permettra au juge d’éventuellement s’autosaisir comme la loi le lui permet ».[1]

La possibilité est également donnée au tuteur ou au curateur de former la saisine. Par ailleurs, conformément à l’article 468 du Code civil qui pose le principe selon lequel l’assistance du curateur est requise pour introduire une action en justice ou y défendre, si le greffe est informé d’une mesure de protection, il doit convoquer la personne en charge de la mesure à l’audience.

Enfin, le JLD peut s’autosaisir « à tout moment », et c’est dans cette perspective que « toute personne intéressée peut porter à sa connaissance les informations qu'elle estime utiles sur la situation d'une personne faisant l'objet d'une telle mesure », tant au regard de la légalité formelle de la décision, que du respect des conditions de fond.

Cour de cassation Première chambre civile, 14 juin 2023, pourvoi n° 22-13.050 :

« 10. Il en résulte que, lorsqu'un patient dépose une requête au secrétariat de l'établissement d'accueil, il incombe à ce secrétariat d'en dater la réception afin qu'en cas de contestation un contrôle puisse être opéré sur le respect par le directeur de l'établissement, d'une part, du délai de transmission de la requête au greffe du tribunal, d'autre part, du délai de cinq jours pour communiquer les pièces du dossier.

11. Pour rejeter le moyen de nullité tiré de la tardiveté de la transmission par l'établissement d'accueil des requêtes aux fins de mainlevée de la mesure déposées par Mme [M] [P], l'ordonnance retient que ces requêtes, non datées, ne permettent pas de vérifier si le délai prescrit a bien été respecté et qu'en l'absence de précision sur leur date, une violation du délai de transmission de la requête de l'intéressée doit être écartée.

12. En statuant ainsi, alors qu'il incombait à l'établissement d'accueil de dater les requêtes, le premier président a violé les textes susvisés. »


[1] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, p. 39

7.3.5 - Le contrôle judiciaire des mesures d’isolement ou de contention

I. Les exigences de l'article L322-5-1 du code de la santé publique

La nouvelle version de l’article L3222-5-1 du code de la santé publique est entrée en vigueur le 24 janvier 2022.

A. Le contrôle des mesures d’isolement

A l’obligation d’information qui s’imposait au directeur d’établissement, s’ajoute désormais une obligation de saisine du juge des libertés et de la détention, avant l’expiration de la 72ème heure d’isolement ou de la 48ème heure de contention, si l’état de santé du patient rend nécessaire le renouvellement de la mesure au-delà de ces durées. 

*En priorité son conjoint, le partenaire lié à lui par un pacte civil de solidarité ou son concubin, ou une personne susceptible d'agir dans son intérêt dès lors qu'une telle personne est identifiée, dans le respect de la volonté du patient et du secret médical.

Le délai de soixante-douze heures fait l’objet d’une appréciation stricte du juge. Dans un arrêt de la Cour d’appel d’Amiens du 28 avril 2022, le juge déclare irrégulière une mesure d’isolement, au motif que le directeur d’établissement a saisi le juge des libertés et de la détention avec douze heure de retard. Le directeur d’établissement, pour justifier ce retard, expliquait que la mesure d’isolement subie par la patiente avait atteint les 72 heures à 1H42 du matin et qu’il n’était pas envisageable de prévenir la patiente et les magistrats à une heure si tardive. Le juge ne tient pas compte de cet argument, et considère, pour déclarer l’isolement irrégulier, « qu’il résulte des documents transmis que [K] [W] a été soumise à une mesure d’isolement pendant une durée supérieure à 72 heures (…) sans que le juge des libertés et de la détention ait été saisi avant l’expiration de la 72ème heure »

La Cour d'appel de Rennes a jugé récemment que : « Concernant l'absence de preuve rapportée de l'information faite au juge des libertés et de la détention de la mesure d’isolement en cours, l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique prévoit une information du juge des libertés et de la détention au-delà de 48h pour toute mesure d’isolement.

Or, il n'est pas justifié, à l'examen de la procédure, de cette information donnée au juge. M. [O] [Y] en a conçu nécessairement un grief, dès lors que le juge des libertés et de la détention pouvait, d'office, y mettre fin ou solliciter des explications concernant un patient qui est régulièrement soumis à l’isolement.

Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'étudier les autres moyens soulevés, il conviendra d'infirmer l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, d'ordonner la mainlevée de la mesure d’isolement  dont fait l'objet M. [O] [Y]. » (Cour d'appel de RENNES, Chambre Etrangers/HSC, 1er juillet 2023, n° 23/00333).

En cas de maintien de la mesure par le JLD, le cycle d’information/saisine/décision (contrôle toutes les 72h) se prolonge jusqu’à la fin de la mesure. 

B. Le contrôle des mesures de contention

*En priorité son conjoint, le partenaire lié à lui par un pacte civil de solidarité ou son concubin, ou une personne susceptible d'agir dans son intérêt dès lors qu'une telle personne est identifiée, dans le respect de la volonté du patient et du secret médical.

En cas de maintien de la mesure par le JLD, le cycle d’information/saisine/décision (contrôle toutes les 96h) se prolonge jusqu’à la fin de la mesure. 

Si le JLD autorise le maintien de la mesure une deuxième fois : le contrôle toutes les 96 heures laisse place à un contrôle hebdomadaire.

Le directeur saisit le juge au moins 24 heures avant l’expiration d’un délai de 7 jours d’isolement. Le médecin informe en même temps au moins un membre de la famille du patient, en priorité son conjoint, le partenaire lié à lui par un pacte civil de solidarité ou son concubin, ou une personne susceptible d’agir dans l’intérêt du patient dès lors qu’une telle personne est identifiée. Le juge statue avant la fin du 7ème jour d’isolement. 

Les placements abusifs en isolement ou contention peuvent par ailleurs faire l’objet de demandes d’indemnisation ; voir la section Indemnisation des hospitalisations sous contrainte.

Remarque : La levée d’une mesure d’isolement ou de consentement n’entraine pas automatiquement celle de la mesure de soins sans consentement qui l’a précédée.

Dans un arrêt du 8 juillet 2021, la Cour de cassation a eu à répondre à la question : « Le constat par le juge des libertés et de la détention, à l'occasion du contrôle systématique d'une mesure de soins psychiatriques sans consentement prenant la forme d'une hospitalisation complète, ou d'une demande de levée de cette mesure ou d'une saisine d'office de la juridiction, d'une irrégularité affectant une mesure d'isolement ou de contention mise en œuvre à l'occasion de cette hospitalisation, peut-il être sanctionné par la levée de la mesure d'hospitalisation complète, en particulier lorsque l'isolement ou la contention n'est plus en vigueur lorsque la juridiction statue, dès lors qu'il est établi que l'irrégularité relevée a porté atteinte aux droits du patient ? » 

Elle a répondu que le juge ne peut alors lever que la mesure d’isolement ou la mesure de contention. « Si cette mainlevée est intervenue avant que le juge ne se prononce, il n'y a plus lieu de statuer à leur égard. » La Cour rappelle, dans son argumentaire, que l’isolement et la contention sont des mesures à caractère exceptionnel et autonomes par rapport à l’hospitalisation sous contrainte elle-même. Lorsque le juge des libertés et de la détention est saisi de la mesure de l’hospitalisation sous contrainte, l’isolement ou la contention a (ou devrait avoir) déjà pris fin. Si l’effet de l’irrégularité de l’isolement ou de la contention se répercutait sur l’hospitalisation sans consentement elle-même, le risque serait d’interrompre des soins utiles pour le patient alors que seule la mesure additionnelle est irrégulière. 

Commentant cette décision, Me Soliman Le Bigot, et Mme Elodie Garoux ajoutent que : « Quoi qu’il en soit, il est nécessaire que le patient ait connaissance de la faculté de former un recours contre sa mesure d’isolement et/ou de contention. Il ne s’agit pas seulement pour les psychiatres et les personnels des hôpitaux d’avertir que la mesure est prise ou renouvelée. Il faut renforcer l’information que le patient a le droit d’engager un recours contre cette mesure s’il l’estime injustifiée. Dans la pratique, le droit au recours n’est que très peu - voire pas - évoqué par les soignants et ce sont les avocats du patient qui s’en chargent. Cette pratique doit changer et la possibilité d’un recours doit être mentionnée dès la mesure prononcée. Dans cette optique, certains hôpitaux mettent en place des formulaires spécifiques afin de rédiger ce recours. C’est une pratique à mettre en avant et à encourager. »

Les mesures d’isolement et de contention, fortement privatives de liberté, après avoir fait l’objet d’une surveillance confiée à différentes autorités à travers un registre créée en 2016, ont enfin été placées par la loi sous le contrôle du juge des libertés et de la détention à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité fin 2020.

II. Historique du contrôle

A. Des gardes fous jurisprudentiels

Certains juges ont tenté de contrôler l’isolement et la contention, pratiques fortement restrictives d’une liberté fondamentale, sans y être autorisés par la loi. C’est ainsi que des JLD versaillais ont levé des mesures de soins sans consentement dès lors qu’ils constataient que la modalité de traitement (les conditions de séjour en chambre d’isolement) portait une atteinte aux libertés individuelles, ou ne répondait pas aux finalités prévues par la loi :

  • l’ordonnance du 24 octobre 2016 (n°16/07393) du premier président de la Cour d’appel de Versailles, discernant des pratiques gravement attentatoires à la liberté d’aller et venir, a prononcé la mainlevée de la mesure ;
  • l’ordonnance du 4 mai 2017 (n°16/00699), du JLD de Versailles a prononcé une mainlevée dès lors que « la mise en chambre de soins intensifs … est consécutive non pas à la volonté de prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou pour autrui, mais au souhait de prévenir un risque de fuite de la part de l’intéressé … » ;
  • l’ordonnance du 23 juin 2017 (n°17/01010) du JLD de Versailles a prononcé une mainlevée au motif que « les conditions ayant présidé à cette mesure extrême (placement en chambre d’isolement) sont insuffisamment détaillées, les troubles du comportement ayant motivé l’hospitalisation sous contrainte étant eux-mêmes insuffisants pour justifier cette pratique clinique ».[1] 

Toutefois, la Cour de Cassation avait cassé ces intiatives par deux arrêts successifs (Cass, Civ 1, 7 novembre 2019, n°19-18262 ; 21 novembre 2019, n°19-20513), qui énoncent que le JLD n’est pas compétent pour connaître de la mise en œuvre des soins et donc des mesures de contention et d’isolement.

B. La loi n°2016-41 de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016

La loi n°2016-41 de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016 transposée dans l’article L. 3222-5-1 du Code de la santé publique a affirmé un principe :  les pratiques d’isolement et de contention doivent être un dernier recours, et créé deux outils devant permettre son contrôle.

  • Le registre des mises en isolement et en contention 

Chaque établissement admis à recevoir des personnes en soins sans consentement doit tenir : « Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie. Pour chaque mesure d’isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée. Le registre, qui peut être établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la CDSP, au CGLPL et aux parlementaires » (article L. 3222-5-1 III). 

Conformément à l’article L311-1 du Code des relations entre le public et l’administration, le registre peut également être communiqué «  aux personnes qui en font la demande ». L’article L311-7 du même code rappelle toutefois l’obligation, dans ce cadre, d’occulter ou disjoindre les mentions non communicables, s’il est possible de le faire. A défaut, le document ne pourra pas être transmis à toutes les personnes en faisant la demande. 

Dans un arrêt du 18 novembre 2021, le Conseil d’Etat a précisé le caractère des mentions figurant dans le registre.  Le juge administratif explique que les informations présentes dans le registre ne sont pas toutes soumises à occultation. Par exemple, les informations relatives aux dates, heures et durées d’isolement et de contention ne doivent pas être dissimulées. Ainsi, le registre s’inscrit bien dans la liste des documents communicables aux personnes qui en font la demande, au sens de l’article L311-1 du Code des relations entre le public et l’administration.  

Dans un avis du 15 avril 2021, la commission d’accès aux documents administratifs rappelle les exigences enserrant la communication de ce registre. La commission explique que les noms des professionnels de santé ne sont pas couverts par le secret de la vie privée et ne doivent, en principe, pas être occultés. En revanche, si la divulgation est susceptible de porter préjudice ou d’engendrer des représailles à l’encontre du professionnel, alors « l'administration est fondée à occulter cette mention ». La commission explique également que le registre peut être transmis à toute personne en faisant la demande, par voie dématérialisée si ce dernier est disponible sous version électronique.  S’il apparaît que le registre n’est pas exploitable en version dématérialisée, l’hôpital reste tenu de transmettre le document en version papier au demandeur.

  • Le rapport annuel de l’isolement et de la contention

Les établissement doivent rédiger chaque année ce rapport, avant le 30 juin de l’année suivante, en précisant notamment la politique définie pour limiter le recours aux pratiques d’isolement et de contention. « L’établissement établit annuellement un rapport rendant compte des pratiques d’admission en chambre d’isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l’évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers et au conseil de surveillance » (article L. 3222-5-3).

La loi du 26 janvier 2016 ne donnait pas de durée limite aux pratiques d’isolement et de contention et excluait curieusement le juge des libertés et de la détention de l’organisation de leur contrôle. 

C. Les décisions d'inconstitutionnalité

  •  Les décisions d'inconstitutionnalité
  • Par une décision du 19 juin 2020 (n° 2020-844 QPC), le Conseil Constitutionnel, saisi dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, a relevé cette double aberration juridique :

« 8. …la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible. Or, si le législateur a prévu que le recours à isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n’a pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles au-delà d’une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire. Il s’ensuit qu’aucune disposition législative ne soumet le maintien à l’isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l’article 66 de la Constitution.

9. Par conséquent et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre grief, le premier alinéa de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique doit être déclaré contraire à la Constitution. Il en va de même, par voie de conséquence, des deux autres alinéas de cet article »

Et injonction a été faite au gouvernement de corriger cette illégalité avant le 31 décembre 2020.

D. La loi de financement de la sécurité sociale du 14 décembre 2020

Puis la loi de financement de la sécurité sociale du 14 décembre 2020 a été utilisée par le gouvernement pour, à travers un cavalier législatif placé sous l’article 84, modifiant le code de la santé publique avec effet au 1er janvier 2021, répondre à cette exigence.

L’article. L. 3222-5-1.-I. Réaffirme en le complétant le principe selon lequel « L'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision motivée d'un psychiatre et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient. Leur mise en œuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte, somatique et psychiatrique, confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin et tracée dans le dossier médical. » Le psychiatre doit motiver sa décision du recours à ces mesures, notamment sur leurs caractères adapté, nécessaire et proportionné au risque, après évaluation du patient.

Il est à l’occasion précisé que l’isolement et la contention ne s’adressent qu’aux seuls patients en hospitalisation complète sans consentement, contrairement à une pratique tolérée (circulaire Veil 1993) .

Reprenant les recommandations de la Haute Autorité de Santé concernant les durées maximales d’utilisation de ces mesures « de dernier recours » et les rendant obligatoires, la nouvelle loi précise dans l’article L.3222-5-1.-2 « La mesure d'isolement est prise pour une durée maximale de douze heures. Si l'état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée par périodes maximales de douze heures dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités, dans la limite d'une durée totale de quarante-huit heures. »
« La mesure de contention est prise dans le cadre d'une mesure d'isolement pour une durée maximale de six heures. Si l'état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée par périodes maximales de six heures dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités, dans la limite d'une durée totale de vingt-quatre heures
. »

IsolementContention
Durée de 12 heures, avec renouvellement possible par périodes maximales de 12 heures, dans la limite d'une durée totale de 48 heuresDurée de 6 heures, avec renouvellement possible par périodes maximales de 6 heures, dans la limite d'une durée totale de 24 heures

Tenant compte de la pratique fréquente des isolements et contentions « séquentielles », le législateur a prévu qu’«une mesure d'isolement ou de contention est regardée comme une nouvelle mesure lorsqu'elle est prise au moins quarante-huit heures après une précédente mesure d'isolement ou de contention. En-deçà de ce délai, sa durée s'ajoute à celle des mesures d'isolement et de contention qui la précèdent et les dispositions des trois premiers alinéas du présent II relatifs au renouvellement des mesures lui sont applicables. »
« L'information prévue au troisième alinéa du présent II est également délivrée lorsque le médecin prend plusieurs mesures d'une durée cumulée de quarante-huit heures pour l'isolement et de vingt-quatre heures pour la contention sur une période de quinze jours
. »

Puis la loi autorise des exceptions tout en organisant leur contrôle : « A titre exceptionnel, le médecin peut renouveler, au-delà des durées totales prévues aux deux premiers alinéas du présent II, la mesure d'isolement ou de contention, dans le respect des autres conditions prévues aux mêmes deux premiers alinéas. Le médecin informe sans délai le juge des libertés et de la détention, qui peut se saisir d'office pour mettre fin à la mesure, ainsi que les personnes mentionnées à l'article L. 3211-12 dès lors qu'elles sont identifiées. Le médecin fait part à ces personnes de leur droit de saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de mainlevée de la mesure en application du même article L. 3211-12 et des modalités de saisine de ce juge. En cas de saisine, le juge des libertés et de la détention statue dans un délai de vingt-quatre heures. »

Le juge doit donc être informé mais ne réagit que de façon facultative. Le patient, la famille, les proches du patient, le tuteur, s’ils sont connus, et la personne ayant demandé l’admission, de la prolongation de la mesure d’isolement ou contention sont aussi informés du dépassement, de leur droit de saisir le JLD et des modalités de cette saisine. (un décret doit préciser celles-ci).

Le patient et les personnes citées ci-dessus peuvent saisir le JLD pour demander la levée de la mesure d’isolement ou de contention lorsqu’elle dépasse la durée maximale.

Les modalités d’examen de la saisine donnent la priorité à l’écrit : l'article L.3211-12-2 est complété par un III ainsi rédigé : « III.- Par dérogation au I du présent article, le juge des libertés et de la détention, saisi d'une demande de mainlevée de la mesure d'isolement ou de contention prise en application du II de l'article L. 3222-5-1 ou qui s'en saisit d'office, statue sans audience selon une procédure écrite.
« Le patient ou, le cas échéant, le demandeur peut demander à être entendu par le juge des libertés et de la détention, auquel cas cette audition est de droit et toute demande peut être présentée oralement. Néanmoins, si, au vu d'un avis médical motivé, des motifs médicaux font obstacle, dans son intérêt, à l'audition du patient, celui-ci est représenté par un avocat choisi, désigné au titre de l'aide juridictionnelle ou commis d'office.
« L'audition du patient ou, le cas échéant, du demandeur peut être réalisée par tout moyen de télécommunication audiovisuelle ou, en cas d'impossibilité avérée, par communication téléphonique, à condition qu'il y ait expressément consenti et que ce moyen permette de s'assurer de son identité et de garantir la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges. L'audition du patient ne peut être réalisée grâce à ce procédé que si un avis médical atteste que son état mental n'y fait pas obstacle.
« Dans ce cas, le juge des libertés et de la détention statue dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat.
« S'il l'estime nécessaire, le juge des libertés et de la détention peut décider de tenir une audience. Dans cette hypothèse, il est fait application des I et II du présent article. Le dernier alinéa du I n'est pas applicable à la procédure d'appel.
» ;

Outil clé du contrôle du respect des durées d’isolement et de contention, le registre institué par la loi de 2016 fait l’objet de précisions visant à combler quelques lacunes : « III.-Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l'article L. 3222-1. Pour chaque mesure d'isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, un identifiant du patient concerné ainsi que son âge, son mode d'hospitalisation, la date et l'heure de début de la mesure, sa durée et le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée. »  La nouvelle rédaction de l’article L.3222.5.1 ajoute à l’ancienne, que ce registre doit également mentionner l’identifiant du patient, son âge, son mode d’hospitalisation. Il n’est toutefois pas demandé que soient renseignés les raisons ayant motivé le recours à la mesure, l’avis du psychiatre ainsi que le suivi médical du patient, sujets pour lesquels le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté avait appelé à une réforme.

Le texte ajoute que « le registre, établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires. » Le JLD est, curieusement ignoré dans la liste des autorités pouvant consulter le registre.
L’obligation de rédiger un « rapport rendant compte des pratiques d'admission en chambre d'isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l'évaluation de sa mise en œuvre » est aussi confirmée sans que le JLD soit ajouté au nombre des personnes auxquelles il est obligatoirement transmis.

  • Par une décision n° 2021-912/913/914 du 4 juin 2021, le Conseil constitutionnel a de nouveau déclaré inconstitutionnel l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique (analyse de Soliman Le Bigot et Elodie Garoux , LBM avocats à la Cour Commission bioéthique et santé du Barreau de Paris, 18 juin 2021) 

L’isolement et la contention doivent s’inscrire dans une démarche thérapeutique afin de protéger le patient de violences imminentes liées à un trouble mental. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 avril 2021 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêts nos 379, 380 et 381 du 1er avril 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, de trois questions prioritaires de constitutionnalité. Le 4 juin 2021, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions du code de la santé publique relatives aux personnes hospitalisées sans consentement et qui permettent de les maintenir à l’isolement ou en contention sans prévoir l’intervention systématique du juge des libertés et de la détention, étaient inconstitutionnelles (Décision n° 2021-912/913/914 QPC du 4 juin 2021- loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021). Le conseil avait déjà eu l’occasion de censurer le 19 juin 2020 le régime juridique de l’isolement et de la contention en psychiatrie au motif que le recours à ces mesures privatives de liberté n'était ni limité dans le temps ni soumis, au-delà d'une certaine durée, au contrôle systématique du juge (Décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020 - loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé).

En principe, toute mesure d’isolement et de contention d’une personne hospitalisée sans consentement doit être décidée par un psychiatre et ceci pour une durée maximale de 48h pour l’isolement et 24h pour la contention selon le code de la santé publique (CSP, art. L. 3222-5-1, § 2, al. 3 et 6 issus de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 : L. n° 2020-1576, 14 déc. 2020, art. 84). 

Néanmoins, le psychiatre peut, de manière exceptionnelle, renouveler la mesure. A ce titre, il est tenu d’informer le juge des libertés et de la détention qui peut se saisir d’office ou être saisi par le médecin. Cela permet que la mesure soit prolongée sous le contrôle du juge. 

Selon le Conseil constitutionnel, l’isolement et la contention doivent être considérés comme des mesures privatives de liberté. L’intervention du juge est ainsi nécessaire au-delà d’une certaine durée afin qu’il puisse contrôler le bien-fondé du maintien de la mesure. 

Le Conseil constitutionnel a, par conséquent, censuré les dispositions du fait de leur contrariété à l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».

L’abrogation ne sera pas immédiate puisque cela aurait « entraîné des conséquences manifestement excessives ». Les effets de la décision du Conseil constitutionnel seront donc reportés au 31 décembre 2021 (Article 2, Cons. const., 4 juin 2021, n° 2021-912/913/914 QPC). Cela aura pour conséquence que les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution, ne pourront être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

Introduite par le gouvernement en décembre, la censure de cette loi annonce un véritable contrôle judiciaire des mesures d’isolement et de contention en psychiatrie (loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021). Le gouvernement devra, par conséquent, inclure le contrôle systématique par le juge judiciaire des mesures de maintien à l’isolement ou sous contention d’un patient en hôpital psychiatrique au-delà d’une certaine durée. En effet, la loi censurée ne nécessitait qu’une information du juge des libertés et de la détention, or l’information ne peut être considérée comme une intervention tant la possibilité pour le patient isolé ou sous contention est fictive. Comment un patient sous de telles mesures pourrait-il faire une démarche auprès du juge des libertés et de la détention ? Comment prendre en compte les différentes pratiques des établissements ? Ce type de mesure ne doit en aucun cas être une sanction disciplinaire déguisée comme cela a pu être le cas parfois. 

Plus que donner la possibilité illusoire de saisir le juge ou l’informer simplement des mesures, il était donc nécessaire de donner au justiciable une réelle opportunité de pouvoir saisir le juge. Cette opportunité devait incontestablement passer par un contrôle d’office des mesures de contention et d’isolement Or, le législateur n'avait, de nouveau, pas prévu de soumettre le maintien d'une personne à l'isolement ou sous contention au-delà d'une certaine durée à l'intervention systématique du juge judiciaire, conformément aux exigences de l'article 66 de la Constitution. C'est chose faite depuis le 24 janvier 2022.


E. Exemples jurisprudentiels récents

Cour d'appel de Toulouse, Recours Hospitalisation, 3 juillet 2023, n° 23/00081 

« Il ressort de la décision médicale du Dr [Y] et du psychiatre Dr [P] [X] du 2 juillet 2023 que le motif du maintien en isolement est un passage à l'acte , sans risque suicidaire ni auto-agressivité. Il convient de relever que ce motif imprécis et peu circonstancié est mentionné dans les mêmes termes dans la totalité des décisions médicales depuis le 20 juin 2023 sans qu'aucune précision ne soit fournie tant sur la date que sur les modalités du passage à l'acte évoqué, ni sur un risque repéré de nouveau passage à l'acte nonobstant la durée cumulée de la mesure d'isolement de 237 heures depuis le 25 juin 2023.

Il ne résulte pas des éléments médicaux produits un risque de dommage immédiat ou imminent pour la patiente ou pour autrui.

Dès lors les conditions du maintien de la mesure d'isolement ne sont pas réunies et il convient d'ordonner la mainlevée de cette mesure.L'ordonnance déférée sera en conséquence infirmée. »

Cour d'appel de Montpellier - 1re chambre civile, 1er  janvier 2024, n° 24/00001 : « L'article L3225-1 du code de la santé publique limite strictement l'isolement et la contention « pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou pour autrui » avec des restrictions quant à la durée des périodes de contention et d'isolement.En l'espèce, il ne ressort pas des pièces médicales produites que le patient présente un dommage immédiat ou imminent pour lui-même ou pour autrui. La cour ne dispose pas du certificat médical initial justifiant la contention. Le certificat médical le plus récent daté du 29 décembre 2023 à 10h27 évoque « ce jour à l'examen Monsieur refuse tout échange et s'oppose à l'entretien. Il n'y a pas de discours et il garde son visage dissimulé sous une couverture sans contact visuel possible. Ce comportement inapproprié dans le cadre de la proposition d'échange, le comportement à domicile justifie du maintien de la prise en charge dans le même cadre ». La notion de dommage immédiat ou imminent n'est nullement évoquée.

Enfin, il est constant que la saisine du juge des libertés par le directeur du centre hospitalier bien que reçue au greffe du juge des libertés le 31 décembre 2023 est datée du 28 décembre 2023 alors que la mesure de contention a démarré le 29 décembre 2023 à 11h57. »

[1] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, p. 34

7.4 - L’audience devant le JLD

L’audience devant le JLD se déroule sous l’éclairage de l'article L. 3211-12-2 du Code de la santé publique.

A) La nécessaire audition de la personne faisant l'objet de soins psychiatriques

L'alinéa 2 de l'article L3211-12-2 du Code de la santé publique prévoit : "A l'audience, la personne faisant l'objet de soins psychiatriques est entendue, assistée ou représentée par un avocat choisi, désigné au titre de l'aide juridictionnelle ou commis d'office. Si, au vu d'un avis médical motivé, des motifs médicaux font obstacle, dans son intérêt, à son audition, la personne est représentée par un avocat dans les conditions prévues au présent alinéa."

En application de cet article, la Cour de cassation a cassé et annulé un arrêt de la Cour d'appel en raison de l'absence d'audition de la personne faisant l'objet des soins psychiatriques pour le motif que : « 5. L'ordonnance se borne à mentionner que Mme [E] [U] n'a pas comparu en personne et a été représentée par son avocat. 6. En statuant ainsi, sans constater l'existence d'un avis médical comportant des motifs médicaux faisant obstacle à l'audition de la patiente ni caractériser une circonstance insurmontable empêchant cette audition, le premier président a violé les textes susvisés. » (Cour de cassation, 25 mai 2023, n° 22-12.229)

B) La place du tuteur et du curateur devant le JLD

Conformément au principe du contradictoire, l’article R. 3211-11 du Code de la santé publique impose que le greffier avise les parties à la procédure.

1) Les textes

Il ressort de la lecture de l’article 468 du Code civil que : « La personne en curatelle ne peut, sans l’assistance du curateur… introduire une action en justice ou y défendre ».

L’article R. 3211-15 du Code de la santé publique dispose par ailleurs :

« Les personnes convoquées ou avisées peuvent faire parvenir leurs observations par écrit, auquel cas il en est donné connaissance aux parties à l’audience. Le juge peut toujours ordonner la comparution des parties ». 

L’article R. 3211-13 du même Code, relatif à la procédure devant le JLD, dispose notamment « Le juge fixe la date, l’heure et le lieu de l’audience. Le greffier convoque aussitôt, par tout moyen, en leur qualité de parties à la procédure : 

1° Le requérant et son avocat, s'il en a un ;
2° La personne qui fait l'objet de soins psychiatriques par l'intermédiaire du chef d'établissement lorsqu'elle y est hospitalisée, son avocat dès sa désignation et, s'il y a lieu, la personne chargée de la mesure de protection juridique relative à la personne ou ses représentants légaux si elle est mineure ;
3° Le cas échéant, le préfet qui a ordonné ou maintenu la mesure de soins ou le directeur d'établissement qui a prononcé l'admission en soins psychiatriques en cas de péril imminent.

Dans tous les cas, sont également avisés le ministère public et, s'ils ne sont pas parties, le directeur de l'établissement et, le cas échéant, le tiers qui a demandé l'admission en soins psychiatriques. […] »

2) La jurisprudence

En conséquence, « Le JLD a ordonné la mainlevée d’une mesure en s’appuyant sur l’article 468 du Code civil, car le curateur n’avait pas été avisé et ne participait pas à l’audience (TGI de Versailles, ordonnance du JLD du 5 octobre 2011, n°11/000617, https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/jld_versailles_h-o_2011-10-05.pdf).

Une autre mainlevée de mesure de soins pour péril imminent sans tiers a été ordonnée par le JLD, en application des arts. R. 3211-10 du CSP et 468 du Code civil, pour défaut d’information du curateur (TGI de Créteil, ordonnance de mainlevée du 10 septembre 2012, n°12/01732, https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/2012-09-10-jld-creteil-mainlevee-absence-de-notification-au-curateur.pdf) »[1].

La famille du patient doit en outre être avertie de la tenue de l’audience. La Cour d’appel de Douai a ainsi considéré, dans une ordonnance du 26 septembre 2013, que l’absence de toute information donnée à la famille justifiait la mainlevée immédiate de l‘hospitalisation en soins sans consentement : « A supposer même que le mari ait été informé de cette hospitalisation, eu égard au fait que les époux étaient en conflit, le directeur de l’établissement aurait dû avertir les parents de la patiente. ». La 1ère chambre civile de la Cour de Cassation a confirmé (18 décembre 2014, n°13-26816, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000029934383) que la mainlevée avait été ordonnée à bon droit dans la mesure où « aucun élément du dossier de la patiente ne permettait de retenir que son mari avait été avisé de son hospitalisation en soins psychiatriques pour péril imminent, [et] qu'en l'état du conflit ancien et profond existant entre les deux époux, … le directeur de l'établissement hospitalier aurait dû informer les parents » de la patiente.

La Cour de cassation a rappelé également le 12 mai 2021 que l’absence de convocation par le greffe du mandataire de la personne faisant l'objet de soins psychiatriques sans consentement est une nullité pour irrégularité de fond, qui peut être soulevée pour la première fois en appel (Cour de cassation, 12 mai 2021, n°20-13.307)

En ce sens, la Cour d’appel de Paris, dans une ordonnance du 20 juillet 2022 a rappelé l’exigence d’information et de convocation du tuteur ou du curateur lors d’une audience devant le JLD. Le juge considère que dans le cas contraire, la décision du JLD est entachée « d’une irrégularité de fond pouvant être invoquée en tout état de cause et qui ne peut être couverte en appel, portant nécessairement atteinte aux droits de la personne protégée ». 


[1] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, p 26

7.4.1 - Le lieu de l’audience

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 27 septembre 2013, ce n’est qu’exceptionnellement que le JLD peut statuer au siège de la juridiction. Ainsi, selon l’article L. 3211-12-2, le principe est désormais que l’audience se déroule dans une « salle d'audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée sur l'emprise de l'établissement d'accueil » et qui doit garantir « la clarté, la sécurité et la sincérité des débats ainsi que l’accès du public ». Dès lors, ce n’est que lorsque ces trois conditions ne sont pas satisfaites, que le JLD peut statuer au siège du tribunal judiciaire, soit d’office, soit sur demande de l’une des parties. La salle d'audience doit être accessible au public (sauf audience en chambre du conseil).  

L’article L. 3211-12-2 précise enfin :

« … En cas de transfert de la personne faisant l’objet de soins psychiatriques dans un autre établissement de santé, après que la saisine du juge des libertés et de la détention a été effectuée, l’établissement d’accueil est celui dans lequel la prise en charge du patient était assurée au moment de la saisine ».

La loi du 27 septembre 2013 a supprimé l'entier dispositif du Code de la santé publique afférent au recours à la visioconférence lors des audiences du JLD, même pour les cas de force majeure.

L’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété permet toutefois le recours dérogatoire à la visioconférence.L’article 1 fixe la durée de la période dérogatoire « entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de la loi du 23 mars 2020 susvisée ». L’article 7 précise les modalités du recours à la visioconférence.

7.4.2 - L’assistance obligatoire par l’avocat

L’arrêt de la CEDH du 31/01/2001 (arrêt VAUDELLE) affirme : « constitue une violation du droit à un procès équitable, le fait pour une personne placée sous curatelle, de ne pas être assistée ni par son curateur ni par un avocat ».

Au cours de la garde à vue, le curateur, le tuteur ou le mandataire spécial peut designer ou faire designer un avocat par le bâtonnier (article 706-112-1 du CPP). L’article 706-116 du même code prévoit que la personne poursuivie doit être assistée par un avocat.

A défaut de choix d’un avocat par la personne poursuivie, son curateur ou son tuteur, le Procureur de la République ou le juge d’instruction fait designer par le bâtonnier un avocat qui intervient en commission d’office. Les frais d’avocat sont à la charge de l’intéressé, sauf si celui-ci peut bénéficier de l’aide juridictionnelle.

Le majeur protégé ne bénéficie pas de l’aide juridictionnelle de droit. L’aide juridictionnelle provisoire peut lui être accordée en attente de l’obtention de l’aide juridictionnelle (les délais d’instruction des dossiers sont souvent longs).

NB : Si la personne doit être obligatoirement assistée par un avocat, la présence de l’avocat est non obligatoire en ce qui concerne la formulation d'une requête en mainlevée de la mesure d’hospitalisation sans consentement (Cour de cassation, première chambre civile, 31 janvier 2024, pourvoi 23-15.969 : Il résulte des articles L. 3211-12-2, L. 3211-12-4 et R. 3211-8 du code de la santé publique que la procédure suivie en matière de soins psychiatriques sans consentement n'est pas une procédure avec représentation obligatoire. Le patient peut seul former une requête en mainlevée de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12 du code de la santé publique, relever appel de la décision du juge des libertés et de la détention et s'en désister).

7.4.3 - La vérification par le juge du bien-fondé de la mesure

Les éléments essentiels et incontournables de cette vérification judiciaire sont les certificats médicaux. A cette fin, l’article R. 3211-12 du Code de la santé publique précise :

« Sont communiqués au juge de la liberté et de la détention afin qu’il statue :

… 4° Une copie des certificats médicaux … au vu desquels la mesure de soins a été décidée … et de tout autre certificat ou avis médical utile, dont ceux sur lesquels se fonde la plus récente décision de maintien en soins ».

La 1e chambre civile de la Cour de cassation a précisé, le 30 janvier 2019 (n°17-26131, https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/arrets_publies_2986/premiere_chambre_civile_3169/2019_9122/janvier_9123/85_30_41253.html), les pièces devant être communiquées au JLD. Pour vérifier que la mesure d’hospitalisation sans consentement est adaptée, nécessaire et proportionnée à l’état mental du patient et à la mise en œuvre du traitement requis (CSP, art. L. 3211-3), le JLD examine des pièces médicales et des pièces administratives. La production de l’ensemble des certificats médicaux est indispensable pour la régularité d’une procédure d’admission, faute de quoi la décision est irrégulière.

Concernant la méthodologie du contrôle du bienfondé de la mesure de soins, il existe deux points de contrôle : « 1. respect des conditions légales du cas d'hospitalisation visé (les certificats médicaux permettent-ils de conclure à la nécessité ?). 2. caractère adapté, nécessaire et proportionné de la mesure (une mesure moins attentatoire aux libertés serait-elle possible ?) » (Ecole Nationale de la Magistrature, document « Soins psychiatriques sans consentement 2013 » (à jour de la loi n°2013-869 du 27 septembre 2013), p.22).

Isabelle ROME explique « que le juge, dans sa décision, ne doit pas employer de termes médicaux, il n'a pas à motiver sa décision en disant par exemple : « parce que le patient est schizophrène ». Il statue au vu des éléments que lui donne le psychiatre. S'il veut s'appuyer sur le certificat médical, il doit mettre des guillemets quand il le cite. On ne doit pas a priori employer de termes médicaux dans une décision de justice » (Pluriel, mars 2013, p.3).

La Cour de cassation (Cass, Civ 1, 27 septembre 2017, n°16-22544, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000035681676&fastReqId=974530575&fastPos=1) confirme cette méthodologie. Jean-Marc PANFILI explique ainsi : « La Cour de cassation a précisé qu’il résulte des articles L. 3211-12-2, L. 3216-1, L. 3212-3, L. et R. 3211-12 que le juge, s’il se prononce sur le maintien de l’hospitalisation, doit apprécier le bien-fondé de la mesure au regard des certificats médicaux qui lui sont communiqués. En statuant par des motifs relevant de la seule appréciation médicale, le président qui a substitué son avis à l’évaluation, par les médecins, des troubles psychiques du patient et de son consentement aux soins, a violé les textes susvisés. En conséquence, il revient au juge d’apprécier le bien-fondé d’une mesure d’hospitalisation, en se fondant uniquement sur les certificats médicaux dont il dispose, et non de substituer sa propre évaluation sur l’état de santé et la capacité à consentir du patient » [1]

Le juge ne peut à aucun moment intervenir dans les domaines qui sont de la compétence des médecins. Il ne peut donc lever la mesure sur le motif que les soins ont été consentis devant lui, et qu’en conséquence la contrainte ne se justifie plus.

Certains juges s’autorisent néanmoins, après audition du patient, à prononcer la mainlevée de la mesure d'hospitalisation alors que les certificats produits avaient, suite à l’évaluation médicale, conclu au maintien de la mesure. Delphine LEGOHEREL cite une ordonnance de la CA de Poitiers du 17 août 2015 (n°15/00033, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000031116914&fastReqId=1176335312&fastPos=1), qui illustre la liberté d'appréciation dont dispose le juge. Dans le cas d’espèce, le magistrat considère que : « Les premiers certificats mentionnaient des troubles du comportement, un discours incohérent ponctué d'idées délirantes de persécution centrées sur son voisinage. A l'audience de ce jour M. X... tient cependant un discours relativement cohérent ; son comportement apparait calme et adapté. Il exprime le souhait de rentrer à son domicile et d'y poursuivre son traitement. Son conseil sollicite l'infirmation de l'ordonnance entreprise. Au vu du comportement maîtrisé de M. X..., l'hospitalisation complète n'apparait plus nécessaire. Une prise en charge ambulatoire du patient apparait suffisante » (Etude sur les soins psychiatriques sans consentement, décembre 2014, Service de documentation, des études et du rapport de la Cour de cassation, p.121). 

Cour de cassation, 24 janvier 2023, n°22-18.429 : 8. S'il n'appartient pas au juge de porter une appréciation médicale en substituant son avis à l'évaluation, par les médecins, des troubles psychiques du patient et de la nécessité des soins, il lui incombe de contrôler la régularité de la décision administrative d'admission ou de maintien en soins psychiatriques contraints et le bien-fondé de la mesure. 9. Lorsque le certificat médical prescrit le maintien de l'hospitalisation complète, le juge peut, s'il l'estime utile, en considération d'autres éléments du dossier ou de ses propres constatations, demander une expertise médicale et ordonner ensuite, s'il y a lieu, la mainlevée de la mesure.


[1] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, p. 9

7.4.4 - L’ordonnance de mainlevée et l’appel

A. L'ordonnance de mainlevée de la mesure

L’article L. 3211-12-1 du Code de la santé publique dispose :
« … III – Le juge des libertés et de la détention ordonne s’il y a lieu la mainlevée de l’hospitalisation complète.

Lorsqu’il ordonne cette mainlevée, il peut, au vu des éléments du dossier et par décision motivée, décider que la mainlevée prend effet dans un délai maximal de vingt-quatre heures afin qu’un programme de soins puisse, le cas échéant, être établi en application de l’article L. 3211-2-1. Dès l’établissement de ce programme ou à l’issu du délai mentionné à la première phrase du premier alinéa la mesure d’hospitalisation complète prend fin ».

Lorsque le juge prononce la levée de la mesure d’hospitalisation complète avec effet différé afin qu’un programme de soins puisse être établi, sa décision ne contraint ni l’établissement de soins, ni le préfet à mettre en œuvre un programme de soins sans consentement. Le juge laisse ainsi au psychiatre la responsabilité de décider de la suite de la prise en charge et de proposer éventuellement un tel programme de soins.

Motifs possibles d'une décision de mainlevée

En ce qui concerne les motifs de la mainlevée, le fait qu’une personne hospitalisée sans consentement déclare devant le JLD qu’elle ne s’oppose pas aux soins et « qu’elle serait d’accord pour une consultation ambulatoire » ne constitue pas un motif suffisant pour décider d’une levée de la mesure d’hospitalisation complète avec effet différé afin qu’un programme de soins soit établi (CA de Basse Terre, 7 septembre 2016, n°16/01279).

Certaines ordonnances de levée de la mesure d’hospitalisation complète sont prises par les JLD sur le motif que les dispositions de l’article L. 3211-12-1 du Code de la santé publique relatives à l’isolement et à la contention n’ont pas été respectées. Ainsi, le juge versaillais a pris une ordonnance de mainlevée avec effet différé concernant la situation d’un patient SDRE à l’égard duquel le principe de la « surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin (l’isolement ou la contention) prévue par l’article L. 3222-5 du Code de la santé publique » n’avait pas été appliqué (TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du 24 mai 2017, n°17/00813). Jean-Marc PANFILI souligne que : « En l’occurrence, il ressort du registre de l’établissement, que la surveillance a d’abord été assurée par un agent de sécurité … à la place des professionnels de santé normalement requis à cette fin, puis il n’y a plus eu aucune surveillance. Le magistrat a considéré que la situation faisait grief à l’intéressé, et justifiait en conséquence la mainlevée des soins sans consentement »[1].

Le JLD estime, au regard du nouvel article L 3222-5 du CSP que s'il n’existe aucune indication quant à la motivation d’une mesure d'isolement/contention et de ses renouvellements « permettant au juge des libertés et de la détention d’exercer le contrôle de la mesure prévu par les dispositions rappelées ci-dessus, en particulier celui de son adaptation, nécessité et proportionnalité », alors la mesure d’isolement doit être vue comme irrégulière. Le JLD rappelle alors que cette mesure est une  « modalité essentielle, particulièrement attentatoire à la liberté de l’intéressé, dont l’irrégularité ne peut en conséquence que porter atteinte à ses droits ». (Tribunal judiciaire de Versailles, Ordonnance JLD, 18 janvier 2021, n° RG 21/00047 mainlevée d’une hospitalisation complète)

Dans une ordonnance du 26 mars 2021, n°RG 21/00343, le JLD du Tribunal judiciaire de Versailles a estimé que « seule la levée de la mesure d’hospitalisation complète constitue, le cas échéant, une sanction effective, au sens de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, du constat d’une irrégularité affectant une mesure d’isolement et/ou de contention prise dans ce cadre, dès lors qu’elle porte atteinte aux droits du patient concerné

Dans cette ordonnance, le JLD mobilise l’article 5§4 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (Conv EDH). Selon cet article, toute personne privée de sa liberté doit pouvoir introduire un recours devant un tribunal afin que ce dernier statue sur la légalité de la détention, et si ce n’est pas le cas, ordonne sa libération. Il est le corollaire de l’article 13 de la Conv EDH qui traduit l’obligation d’offrir un recours effectif. Cette effectivité passe, entre autre, par l’existence d’une sanction effective. Concernant l’article 5 de la Conv EDH, une telle sanction doit pouvoir être la libération de la personne. 

Le JLD rappelle que le nouveau texte de l’article L 3222-5-1 du CSP prévoit que les mesures d’isolement et/ou de contention de ne peuvent être appliquées qu’aux hospitalisations sans consentement complètes. Ces mesures ne sont alors pas autonomes mais des « modalités spécifiques de mise en oeuvre des mesures de soins psychiatriques sans consentement prenant la forme d’une hospitalisation complète ». Le contrôle par l’autorité judiciaire instauré par le nouveau texte doit permettre de mettre en lumière l’irrégularité de la mesure. Si l'irrégularité de la mesure d'isolement/contention est relevée, la sanction sera la levée de la mesure. Cependant, la décision de placement en isolement et/ou contention est « particulièrement attentatoire à la liberté » de la personne. Ainsi, l’irrégularité des mesures d’isolement et/ou contention affecte la régularité de la mesure d’hospitalisation complète « dès lors qu’elle porte atteinte aux droits du patient ». La sanction doit alors être la levée de la mesure d’hospitalisation contrainte. 

En effet, dans de nombreux cas, la mesure d’isolement est levée au moment de l’audience. Le contrôle devient alors sans objet si la seule sanction possible se trouve être la levée de la mesure d’isolement, il est alors « dénué de toute effectivité ».  En l’espèce, la mesure de placement à l’isolement de la patiente, compte de tenu de son irrégularité, et malgré le fait qu’elle ne soit plus en vigueur au moment de la décision du juge, justifie la mainlevée de la mesure d’hospitalisation.

L’article R. 3211-16 du Code de la santé publique précise que le JLD doit :

  • notifier l’ordonnance aux parties, ainsi qu’au conseil de la personne faisant l’objet de soins psychiatriques ;
  • informer les parties sur les délais et modalités d’appel, ainsi que sur la spécificité de l’appel du Procureur de la République.

La Cour de cassation (Cass, Civ 1, 19 octobre 2016, n°16-18849), considère que la notion d’autorité de la chose jugée est applicable aux ordonnances des JLD. Ainsi « à peine d’irrecevabilité, prononcée d’office, aucune irrégularité de la procédure de soins psychiatriques sans consentement, antérieure à une audience à l’issue de laquelle le juge des libertés et de la détention se prononce sur la mesure, ne peut être soulevée lors d’une instance ultérieure devant ce même juge ». Jean-Marc PANFILI commente : « Il faut impérativement soulever toutes les irrégularités envisageables devant le JLD pour la période sur laquelle porte le contrôle car il ne sera plus possible de le faire dans une instance ultérieure »[2].

Enfin, si les autorités administratives ont la possibilité de procéder à une nouvelle admission en hospitalisation sans consentement dans la suite immédiate de la levée de la mesure par le juge, la nouvelle mesure nécessite obligatoirement un nouveau contrôle du JLD, lequel n’est pas sans risque de désaveu pour l’autorité administrative. Ainsi, le juge du tribunal de grande instance de Versailles (TGI de Versailles, ordonnance de mainlevée du JLD du 14 avril 2015, n°15/00358) a ordonné la levée de la mesure d’admission qui avait été prise dans ces conditions, le magistrat soulignant « les méandres factuels et médicaux inhérents à cette nouvelle hospitalisation » et « un détournement de pouvoir » dès lors que « les décisions judiciaires avaient intrinsèquement force exécutoire immédiate ».[3]

Dans un arrêt du 14 octobre 2021 la Cour d’Appel de Lyon a ordonné la mainlevée d’une mesure d’hospitalisation complète sans consentement, au motif que le préfet n’a pas communiqué à la Cour, le certificat médical sur lequel il s’était basé pour ordonner une telle mesure restrictive de liberté. 

En l’absence du certificat médical dans le dossier, il n’est pas « démontré que la préfet a bien prononcé la décision d’admission en soins psychiatrique au vu d’un certificat médical, que ce certificat médical serait bien circonstancié et qu’il n’émanerait pas d’une psychiatre de l’établissement d’accueil ». 

Dans une ordonnance de la Cour d’appel de PARIS, Pole 1, Chambre 12, en date du 20 novembre 2023 (RG 23/00581), les Conseillers ont pris une décision de mainlevée de la procédure d’hospitalisation sans consentement à la demande du préfet de Police. En effet, le certificat médical de situation produit en appel ne caractérise pas de façon circonstanciée et précise l’existence actuelle de troubles mentaux compromettant la sureté des personnes et portant atteinte de façon grave à l’ordre public. Il a été jugé que la mesure peut dès lors se poursuivre dans le cadre d’une hospitalisation libre ou d’un programme de soins.

Cour de cassation, 8 mars 2023, n°21-25.205 : 7. En statuant ainsi, alors qu'il ne ressort ni des décisions de première instance et d'appel ni des pièces de la procédure que la requête du directeur d'établissement était accompagnée de la décision d'admission du 13 mai 2013 et de la dernière évaluation médicale approfondie de l'état mental du patient maintenu en soins depuis cette date, le premier président a violé les textes susvisés.

B. L’expertise obligatoire pour la levée des mesures des malades médico-légaux

Le législateur de 2013 a supprimé le « régime renforcé » de levée des mesuresjusqu’alors applicable aux « malades difficiles », mais il a maintenu celui applicable aux patients « médico-légaux » :

  • par le premier et le deuxième alinéa du « II » de l'article L. 3211-12 du Code de la santé publique, afférent à la saisine facultative du JLD ;
  • par l’article L. 3211-12-1 relatif à la saisine obligatoire du JLD par le préfet.

Ainsi, préalablement à l’audience :

  • le JLD recueille l’avis du collège mentionné à l’article L. 3211-9 du Code de la santé publique ;
  • dans le cas où l’avis du collège est favorable à la levée de la mesure, le JLD ne peut décider de la mainlevée de la mesure qu’après avoir recueilli deux expertises allant dans le même sens.                           

La Cour de cassation, dans un arrêt du 6 juillet 2022 rappelle cette exigence en expliquant qu’il « résulte de l'article L. 3211-12, II, du code de la santé publique que le juge ne peut ordonner la mainlevée de la mesure de soins psychiatriques prononcée en application de l'article 706-135 du code de procédure pénale, lorsque les faits sont punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement en cas d'atteinte aux personnes ou d'au moins dix ans d'emprisonnement en cas d'atteinte aux biens, qu'après avoir recueilli deux expertises établies par les psychiatres inscrits sur les listes mentionnées à l'article L. 3213-5-1 du code de la santé publique. »

L’article L. 3213-5-1 du Code de la santé publique précise que les experts ne peuvent « appartenir à l’établissement d’accueil ». Il précise également :

  • les conditions dans lesquels les experts sont inscrits sur une « liste établie par le procureur de la République, après avis du directeur régional de l’agence régionale de santé de la région dans laquelle est située l’établissement » ;
  • la manière dont le juge doit procéder lorsqu’il n’est pas possible de faire appel à des experts inscrits sur les listes : « à défaut », il désigne le ou les experts « sur la liste des experts inscrits près la Cour d’appel du ressort de l’établissement ».

Les experts conduisent les opérations d’expertise selon les modalités définies à l’article R. 3211-14. J. L. SENON et C. JONAS précisent que : « Ils déterminent librement les modalités de conduite des opérations d’expertise. Par dérogation aux articles 160 et 276 du Code de procédure civile, ils ne sont pas tenus de convoquer les parties ou de susciter leurs observations. Le rapport est déposé au secrétariat de la juridiction où les parties peuvent le consulter. Sur leur demande, le greffe leur en délivre une copie » (EMC Psychiatrie, p.9).

C. La procédure d’appel

L’article L. 3211-12-4 du Code de la santé publique énonce :

« L’ordonnance du juge des libertés et de la détention prise en application des articles L. 3211-12 ou L. 3211-12-1 est susceptible d’appel devant le président de la cour d’appel ou son délégué. Le débat est tenu selon les modalités prévues à l’article L. 3211-12-2, à l’exception du dernier alinéa du I … ».

L'article R. 3211-18 précise que le délai d’appel est de dix jours à compter de la notification de l’ordonnance.

Cour de cassation, première chambre civile, 28 février 2024, Pourvoi n° 22-15.888 : Il résulte des textes L. 3211-12-1 et L. 3211-12-4 du code de la santé publique qu'il incombe au premier président, saisi de l'appel d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention maintenant une mesure de soins sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète, formé par la personne faisant l'objet des soins sans consentement aux fins d'en obtenir la mainlevée, de statuer sur la demande de mainlevée de la mesure, y compris lorsqu'entre temps, celle-ci a pris la forme d'un programme de soins.

Cour de cassation, première chambre civile, 5 juillet 2023, Pourvoi n°23-10.096 : Le majeur placé sous une mesure de curatelle peut, sans l’assistance de son curateur, faire appel la décision de maintien de soins psychiatriques sans consentement.

Cour de cassation, première chambre civile, 31 janvier 2024, Arrêt n°46 F-B, pourvoi n°T 22-23.242 : Le majeur sous curatelle renforcée peut seul interjeter appel d’une décision du JLD en matière d’hospitalisation sans consentement. Sur le visa des articles 415 et 459 du code civil et L. 3211-12 du code de la santé publique, la Cour a retenu que : « Constitue un acte personnel que la personne majeure protégée peut accomplir seule l'appel d'une décision du juge des libertés et de la détention statuant sur une mesure de soins sans consentement la concernant.
Pour déclarer irrecevable l'appel formé par M. [K], l'ordonnance retient que M. [K], en sa qualité de majeur sous curatelle en vertu d'un jugement du 30 novembre 2018, ne pouvait agir ou se défendre en justice sans l'assistance de son curateur. En statuant ainsi, le premier président a violé les textes susvisés.
 »

Cour de cassation, première chambre civile, 6 décembre 2023, Pourvoi n° 22-18.703 : L'article L.3211-12 6° du code de la santé publique attribue qualité à agir à « un parent ou une personne susceptible d'agir dans l'intérêt de la personne faisant l'objet de soins ». En retenant que le seul lien fraternel ne confère pas ipso facto la qualité de parent ou personne susceptible d'agir dans l'intérêt de la personne faisant l'objet des soins et en exigeant de l’appelante qu'elle justifie de surcroit de « liens particuliers (qui) l'autoriseraient à interférer dans la vie de sa soeur », le magistrat a violé ce texte en statuant ainsi, alors qu'il avait constaté le lien de parenté unissant Mme et Mme.

Toutefois, lorsque le patient fait appel, les juges tiennent compte de l’article R. 3211-28 du Code de la santé publique, lequel énonce que l’établissement où la personne est hospitalisée doit transmettre sans délai la requête de l’intéressé au greffe de la juridiction, par tout moyen permettant de dater sa réception. C’est ainsi que le juge d’appel de Versailles a accueilli l’appel hors délais d’un patient, dès lors que l’établissement n’avait pas donné les moyens au patient d’exercer son droit de recours dans les délais (ordonnance de mainlevée du 24 octobre 2014, n°14/07580, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000029801104&fastReqId=826227010&fastPos=2).

Dans une autre ordonnance (ordonnance de mainlevée du 1er juillet 2015, n°15/04575), ce même magistrat « a déclaré l’appel d’un patient reçu hors délai recevable, car il avait été indûment retenu par l’équipe de soins, empêchant qu’il soit enregistré au greffe dans le délai de 10 jours réglementaire ». Jean-Marc PANFILI conclut « qu’une notification tardive d’une décision de maintien de l’hospitalisation complète du juge des libertés et de la détention, rend inopérant le délai de 10 jours de l’appel (à dater de la notification), mais aussi celui de douze jours, délai dans lequel le juge doit statuer, tant en première instance qu’en appel. L’ordonnance de maintien ne peut pas être considérée comme ayant produit effet, et la mainlevée est acquise »[4].

Le deuxième alinéa de l’article L. 3211-12-4 du code de la santé publique dispose quant à lui :

« … L’appel formé à l’encontre de l’ordonnance mentionnée au premier alinéa n’est pas suspensif. Le premier président de la Cour d’appel ou son délégué statue à bref délai dans des conditions définies par décret en conseil d’Etat. Lorsque l’ordonnance mentionnée au même premier alinéa a été prise en application de l’article L. 3211-12-1, un avis rendu par le psychiatre de l’établissement d’accueil de la personne admise en soins sans consentement se prononçant sur la nécessité de poursuivre l’hospitalisation complète est adressé au greffe de la cour d’appel au plus tard dans les quarante-huit heures avant l’audience ».                      

En l’absence de l’avis médical, les cours d’appel infirment les ordonnances de maintien en hospitalisation prises par les JLD (CA de Versailles, ordonnance de mainlevée du 26 décembre 2014, n°14/09168 ; ordonnance de mainlevée du 2 octobre 2015, n°15/06706 ; 3 novembre 2015, n°403)[5].

Conformément à l’article L. 3211-12-4 du Code de la santé publique, la procédure devant la Cour d’appel prévoit que celle-ci doit disposer de l’avis motivé du psychiatre sur la nécessité de la poursuite des soins psychiatriques sans consentement au plus tard 48 heures avant l’audience. Ainsi, un avis trop éloigné de la date d’audience ne permet pas à la Cour d’analyser si les conditions de maintien demeurent réunies, cela porte atteinte aux droits du patient et la mainlevée doit être ordonnée (Cour d'appel de Paris, 13 avril 2023, n°23/00169)

Le troisième alinéa de l’article L. 3211-12-4 pose une exception au caractère suspensif des ordonnances du JLD lorsque le procureur de la République estime qu’il existe un « risque grave d’atteinte à l’intégrité du malade ou d’autrui ». L'article R. 3211-20 précise ces dispositions.

Le droit d’appel des parties ne déroge pas aux dispositions de l’article 546 du Code de procédure civile : « Le droit d’appel appartient à toute partie qui y a intérêt, si elle n’y a pas renoncé ».

Delphine LEGOHEREL explique que : « Les décisions du juge de la liberté et de la détention sont susceptibles d'appel devant le premier président de la Cour d'appel uniquement par les parties à savoir : la personne faisant l'objet de soins, le requérant de la mesure d'hospitalisation (le tiers qui avait demandé l'admission), le préfet ou le directeur de l'établissement »[6]. S’agissant du tiers demandeur de la mesure de soins sans consentement, pour avoir la qualité de « partie », le tiers doit être « requérant ». Ainsi une ordonnance de la CA de Poitiers du 5 août 2015 (n°15/00030, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000031116866&fastReqId=2039931042&fastPos=2) affirme que : « il se déduit de l'article R. 3211-12 du Code de la santé publique que, sauf s'il est requérant, le tiers qui a demandé l'admission en soins psychiatrique n'a pas la qualité de partie à la procédure ». Delphine LEGOHEREL cite des ordonnances ayant statué dans le même sens mais au visa des articles R. 3211-19, alinéa 3, et R. 3211-21 du Code de la santé publique, « en matière d'appel émanant tant d'un cadre administratif d'un hôpital, que d'un directeur d'un établissement n'ayant pas prononcé l'admission en soins. »[7]

La Cour de cassation (Cass, Civ 1, 24 mai 2018, n°16-28507) a également considéré que la qualité de « partie » du directeur de l’établissement d’accueil est subordonnée à la condition qu’il ait été l’initiateur de la saisine du JLD en première instance. En l’espèce, la mesure de soins sans consentement avait été prise par le préfet. Par suite, l’appel ne pouvait être formé par le directeur de l’établissement d’accueil qui, n’étant pas l’auteur de la mesure, ne pouvait être partie à la procédure.

La Cour de cassation a jugé que la mesure dont le directeur d’un établissement fait appel doit avoir reçu au moins un commencement d’exécution : « Alors que, à l’audience, Mme X… a fait valoir qu’il n’y avait pas lieu à statuer dès lors qu’il n’y a pas eu de réintégration effective, si Mme X… est, dans l’ordonnance du premier président, mentionnée comme « actuellement hospitalisée au CHU de Nantes Saint Jacques », elle est néanmoins domiciliée, dans cette même ordonnance, au 87 bd des Anglais et non au CHU localisé au…, et la déclaration d’appel, l’avis d’audience et la notification de l’ordonnance ont tous été envoyés à son adresse personnelle ; que la mesure de réadmission en hospitalisation complète n’ayant toujours pas été exécutée, la requête du directeur d’établissement tendant à la prolongation d’une mesure qui n’a reçu aucun commencement d’exécution est sans objet » (Cass, Civ 1, 24 mai 2018, n°17-21057).

Delphine LEGOHEREL cite également une décision de Cour d'appel, qui précise que lorsqu'un directeur donne délégation pour saisir le JLD dans le cadre du contrôle systématique ou facultatif, cette délégation ne donne pas à son bénéficiaire le pouvoir d'interjeter appel. Il faut, en effet, une délégation spécifique du directeur pour interjeter appel[8].

Enfin, concernant le rôle des avocats, Jean-Marc PANFILI résume le sens de plusieurs décisions : 

« Dès lors que les libertés sont en jeu, les avocats auraient un rôle indépendant des souhaits formulés par leurs clients ».

En l’occurrence, le même juge a prononcé par trois fois (CA de Versailles, 22 décembre 2014, n°14/08941 ;  13 mai 2015, n°15/03332 ;  21 mai 2015, n°15/03618) une mainlevée de mesures de soins sur demande d’un tiers, bien que le requérant se soit désisté de son appel

L’avocat a maintenu son recours « dès lors notamment que son client lui a fait savoir avoir eu la promesse de sortir plus vite de l’établissement d’accueil en cas d’abandon de l’appel ». 

Le juge d’appel a considéré que l’avocat du patient, dont la présence est obligatoire auprès de ce dernier ou pour le représenter, « tient son mandat autant de son client que de la loi ». Il en résulte que « la volonté du patient de se désister de l’appel ne fait donc pas obstacle au maintien du recours par son avocat ». [9]

La régularité de l’appel par un majeur protégé sans l’assistance de son curateur est questionnée. Par deux arrêts d’avril 2023, la Cour d’appel a considéré que l’appel interjeté par le majeur protégé sous mesure de curatelle sans l’assistance du curateur est irrecevable, le majeur protégé ne pouvant ester ou se défendre en justice sans l'assistance du curateur (Cour d’appel, 7 avril 2023, n°23/00155 et Cour d'appel de Paris, 11 avril 2023, n°23/00165).

L’article R3211-30 du Code de la santé publique dispose : « L'ordonnance du juge est rendue dans un délai de douze jours à compter de l'enregistrement de la requête au greffe. Ce délai est porté à vingt-cinq jours si une expertise est ordonnée. »

La Cour de cassation veille au respect de ce délai. Ainsi, dans une décision du 12 janvier 2022, la première chambre civile casse et annule, sans renvoi l’ordonnance d’un premier président de Cour d’appel ayant statué dans un délai de 20jours après la déclaration d’appel. L’ordonnance censurée confirmait une ordonnance de refus de mainlevée, prononcée par le JLD. 

Exemples d’infirmations de décision du Juge des libertés et de la détention 

La Cour d’Appel d'Aix-en-Provence, dans une ordonnance du 11 janvier 2022 a infirmé la décision du JLD ordonnant le maintien en hospitalisation complète d’un patient et prononcé la mainlevée de la mesure alors qu’il était fait état, par les psychiatres, d’une « alliance thérapeutique satisfaisante, sans opposition aux soins et au traitement ».

L’article L3211-12-4 III du Code de la santé publique exige qu’en cas d’appel, « un avis rendu par un psychiatre de l'établissement d'accueil de la personne admise en soins psychiatriques sans consentement se prononçant sur la nécessité de poursuivre l'hospitalisation complète est adressé au greffe de la cour d'appel au plus tard quarante-huit heures avant l'audience. »

Si aucun avis n’a été transmis au greffe de la Cour d’appel, cette dernière prononcera la mainlevée de la mesure. Voir en ce sens l’ordonnance de la Cour d’appel de Rennes du 3 janvier 2022

Dans une ordonnance de la Cour d’appel d’Amiens du 23 février 2022, le juge rappelle l’obligation de recueillir les observations du patient avant chaque décision « qu’elle soit d’admission ou de maintien ». La Cour estime que l’impossibilité pour le patient de pouvoir présenter ses observations « lui cause manifestement un préjudice s’agissant de la discussion des soins et du traitement » et entraine la mainlevée de la mesure. 

Cour d'appel de limoges, Chambre des étrangers, 4 août 2023, n° 23/00080 :

« Il reste à déterminer si cet état justifie ou non la poursuite de la mesure d'hospitalisation complète.

De ce point de vue, les éléments visés dans les deux certificats médicaux ne permettent pas de bien saisir les motifs pour lesquels il est formulé de manière claire et non équivoque le 25 juillet 2023 une proposition de mainlevée de la mesure d'hospitalisation complète qui n'est plus d'actualité le 1er août 2023, même s'il est envisagé une sortie définitive progressive comprenant des permissions de sortie.

M. [U] indique que les deux permissions de sortie qui ont été organisées se sont déroulées sans incident, ce que son épouse confirme. Ces éléments ne sont pas documentés au plan médical.

En l'état, du fait des insuffisances des certificats médicaux, il n'est établi pas que M. [U] présenterait toujours un état mental imposant des soins immédiats assortis d'une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète et qu'il souffrirait de troubles mentaux rendant impossible son consentement.

Il convient donc d'infirmer la décision du premier juge et de donner mainlevée de la mesure de soins sous la forme de l'hospitalisation complète. »


[1] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, p 34

[2] Ibid p. 40

[3] Ibid., p. 8

[4] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat, les soins, document mis à jour le 23/12/2018, p 36-37

[5] Ibid., pp. 29 et 36

[6] Delphine LEGOHEREL, Etude sur les soins psychiatriques sans consentement, décembre 2014, Service de documentation, des études et du rapport de la Cour de cassation, p.98, https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/2014-12-31-etude-sur-les-soins-sans-consentement-cour-de-cassation.pdf

[7] Ibid., p.99

[8] Ibid., p.98

[9] PANFILI, op. cit., p. 38

7.5 - Les programmes de soins : l’ambulatoire sous surveillance

Le programme de soins est une alternative à l’hospitalisation complète qui permet aux patients en soins psychiatriques sans consentement d’accéder à une gamme de soins ambulatoires. Pour autant, il n’est pas possible aux patients d’accéder à ces soins ambulatoires durant la « période d’observation et de soins sous la forme d’une hospitalisation complète » de l’article L. 3211-2-2 du Code de la santé publique. Celle-ci est le premier temps de toute prise en charge en soins psychiatriques sans consentement.

Le rapport d'information de la commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale n°1662, enregistré à la présidence de l'Assemblée Nationale le 18 décembre 2013, précise que : « Le programme de soins a été institué pour répondre à la demande des familles qui constataient la difficulté à s'assurer de la continuité des soins après la sortie de l'hôpital ».  Par ailleurs, le dispositif permet une prise en charge hors des murs de l’hôpital, y compris pour des personnes atteintes de troubles sévères.

La reformulation de la notion de programme de soins en 2013 a suivi la décision du Conseil Constitutionnel n°2012-235, QPC du 20 avril 2012 (https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2012/2012235QPC.htm). Le Conseil constitutionnel rattache à plusieurs reprises dans sa décision le programme de soins à la notion d’obligation de soins. En effet, comme les différents types d’obligation de soins institués par le législateur, le programme de soins est assorti d’une sanction en cas d’échec : le retour éventuel du patient en hospitalisation complète.               

1. Définition :

L’article L. 3211-2-1 du Code de la santé publique, complété par l’article R. 3211-1, formule le concept de « programme de soins », lequel est spécifique aux soins dispensés « sous toute autre forme » que l’hospitalisation complète :

« I - Une personne faisant l'objet de soins psychiatriques en application des chapitres II et III du présent titre ou de l'article 706-135 du Code de procédure pénale est dite en soins psychiatriques sans consentement.

La personne est prise en charge :

1° Soit sous la forme d'une hospitalisation complète dans un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 du présent Code

2° Soit sous toute autre forme, pouvant comporter des soins ambulatoires, des soins à domicile dispensés par un établissement mentionné au même article L. 3222-1 et, le cas échéant, une hospitalisation à domicile, des séjours à temps partiel ou des séjours de courte durée à temps complet effectués dans un établissement mentionné au dit article L. 3222-1.

II - Lorsque les soins prennent la forme prévue au 2° du I, un programme de soins est établi par un psychiatre de l'établissement d'accueil et ne peut être modifié, afin de tenir compte de l'évolution de l'état de santé du patient, que dans les mêmes conditions. Le programme de soins définit les types de soins, leur périodicité et les lieux de leur réalisation, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat.  

Pour l'établissement et la modification du programme de soins, le psychiatre de l'établissement d'accueil recueille l'avis du patient lors d'un entretien au cours duquel il donne au patient l'information prévue à l'article L. 3211-3 du Code de la santé publique et l'avise des dispositions du III du présent article et de celles de l'article L. 3211-1. »

La doctrine laisse entendre que le concept du « programme de soins » est un « ensemble composé » :

  • d’une « décision unilatérale » prise par une autorité administrative (préfet ou directeur de l’établissement d’accueil) sur proposition du psychiatre ;
  • et du « document » support de la proposition du psychiatre.

L'article R. 3211-1 précise les modalités possibles du programme, ainsi que les conditions et mentions qui doivent et ne doivent pas figurer sur le document support. Ainsi, selon les députés Serge BLISKO et Guy LEFRAND, le document par lequel le psychiatre formule sa proposition de programme de soins se distingue d’un certificat médical ou d’une ordonnance (rapport enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 22 février 2012 p.22).

La prise en compte de « l’avis du patient » est impérative avant chaque décision afférente à la forme des soins, qu'il s'agisse d'une décision d'admission ou de maintien en soins. Le recueil de cet avis est effectué dans les conditions indiquées par l'article R. 3211-1, III. Comme le relève Matthias COUTURIER, « la mise en œuvre de soins ordonnés procède d'une forme d'acceptation au moins tacite. En d'autres termes, si la décision de mettre en œuvre un programme de soins ne requiert pas le consentement de l'intéressé, sa mise en œuvre l'exige. » (RDSS de droit sanitaire et social, janvier-février 2014, pp. 120-122).

L’article R. 3211-1, III souligne également que : « … La modification du programme par un psychiatre qui participe à la prise en charge du patient peut intervenir à tout moment pour l’adapter à l’état de santé de ce dernier », ce qui peut aller jusqu’à l’hospitalisation complète.

2. Aucune mesure de contrainte en principe :

Suite à la décision QPC du 20 avril 2012 du Conseil constitutionnel (https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2012/2012235QPC.htm), le nouvel article L. 3211-2-1 issu de la loi du 27 septembre 2013 précise :

« … III - Aucune mesure de contrainte ne peut être mise en œuvre à l'égard d'un patient pris en charge sous la forme du 2° du I (le programme de soins) ».

Ainsi, les personnes soumises aux soins ambulatoires ne sauraient se voir administrer des soins de manière coercitive, ni être conduites ou maintenues de force dans les établissements pour accomplir les séjours prévus par le programme de soins. Ce pratique est de nature à « engager la responsabilité des soignants, du directeur, voire de l’établissement » (Annales médico-psychologiques, avril 2018, n°4, p. 417). S’agissant de la responsabilité des établissements, le tribunal judiciaire est alors compétent.

Cependant, rien n’empêche qu’un programme de soins formule des restrictions à la liberté personnelle. En effet, les restrictions de la liberté individuelle se distinguent des restrictions à la liberté personnelle. Les premières correspondent à des restrictions au droit pour chacun d’agir librement sans encourir de mesure(s) arbitraire(s). Les secondes sont des restrictions au droit de ne pas subir de contrainte(s) sociale(s) excessive(s) au regard de la personnalité. 

Toutefois, comme le relève Sophie THERON, « les dérives éventuelles sont de nature à faire courir des risques juridiques à leur auteur » (RDSS de droit sanitaire et social, janvier-février 2014, p. 1). La jurisprudence s’est notamment faite de plus en plus précise concernant les « séjours de courte durée à temps complet ». Ainsi, la durée d’hospitalisation complète séquentielle passée à l’hôpital ne peut être supérieure à celle passée à l’extérieur. Eric PECHILLON insiste également sur le fait que : « Pour le juge judiciaire, un patient en programme de soins peut parfaitement faire des séjours en établissement, mais à condition qu’il bénéficie des mêmes droits qu’un malade en hospitalisation libre (refuser le traitement, voire quitter les lieux à tout moment) » (Programme de soins : quel statut juridique pour le patient ? Santé mentale 2015 ; 198 : 12-3).

3. Le contrôle du JLD sur le programme de soins :

Le JLD contrôle la légalité des programmes de soins dans le cadre de la saisine facultative de l’article L. 3211-12Comme le relève Jean-Marc PANFILI à la lumière d’une ordonnance de mainlevée de la CA de Versailles du 5 mai 2017 (n°17/02362) : « La mainlevée sur saisine facultative du juge peut être obtenue s’il y a une adhésion active aux soins déjà prodigués, ainsi que des justificatifs de démarches en vue de la mise en œuvre du suivi volontaire envisagé »[1].

Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 20 décembre 2013 (n°352668, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000028353526&fastReqId=593965255&fastPos=2), a été le premier à considérer qu’il incombe au juge de vérifier que les mesures mises en place figurent bien parmi celles prévues à l'article R. 3211-1 du Code de la santé publique et que les mesures d’hospitalisation (hospitalisation à temps partiel ou séjour de courte durée à temps complet) sont conformes à leur appellation ou si, sous cette appellation, se cache en réalité une hospitalisation à temps complet.

C’est ainsi que dans une ordonnance de la Cour d’appel de Versailles (ordonnance de mainlevée du 21 mars 2014, n°14/01854, https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/2014-02-14-ca-versailles-mainlevee-spi-admission-retroactive.pdf), le juge a requalifié en hospitalisation complète un programme de soins comprenant deux jours de sortie par semaine : « Les modalités de l’hospitalisation, limitant les sorties à la journée, une ou deux fois par semaine, et une nuit au domicile de sa mère présentaient manifestement les caractères, non d’une hospitalisation à temps partiel, mais d’une hospitalisation complète, assortie de sorties de courte durée de 12 heures ou de sorties accompagnées d’une durée maximale de 48 heures, telles, que prévues par l’article L. 3211-1 du Code de la santé publique … S’il n’appartient pas au juge des libertés et de la détention d’apprécier le contenu des mesures de soins psychiatrique dispensées, il lui incombe de vérifier que ces mesures figurent bien parmi celles prévues par l’article R. 3211-1 du Code de la santé publique et notamment de vérifier si l’hospitalisation mise en place constitue ou non une hospitalisation à temps partiel ».

Suite à un pourvoi en cassation, la Cour de cassation (Cass, Civ 1, 4 mars 2015, n°14-17824, https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000030324357&fastReqId=569739700&fastPos=1) s’est montrée en harmonie avec l’analyse faite par le Conseil d’Etat. Confirmant l’ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Versailles, la Cour de cassation a rendu l’arrêt dit des « faux programmes de soins », lequel énonce : « ... que s'agissant des mesures prévues par un programme de soins, il incombe au juge de vérifier si l'hospitalisation mise en place constitue une hospitalisation à temps partiel au sens de l'article R. 3211-1 du Code de la santé publique et non une hospitalisation complète ; qu'après avoir constaté que le programme de soins incluait l'hospitalisation à temps partiel de Mme X... et limitait les sorties à une ou deux fois par semaine et une nuit par semaine au domicile de sa mère, le premier président a pu en déduire que ces modalités caractérisaient une hospitalisation complète assortie de sorties de courte durée ou de sorties non accompagnées d'une durée maximale de quarante-huit heures, telles que prévues à l'article L. 3211-1 du Code précité … ».

La Cour de cassation a rappelé récemment les droits du patient à se voir informé des décisions prises à son encontre : Cass. 1re civ., 25 mai 2023, no 22-12108 : « 6. Pour rejeter la demande de mainlevée de la mesure du programme de soins, l'ordonnance retient qu'aucune disposition législative ne prévoit une notification au patient d'une décision maintenant un programme de soins, sans en modifier substantiellement le contenu, dès lors qu'il a été informé du projet de décision et mis à même de faire valoir ses observations, et constate que les décisions mensuelles de maintien des soins ont été formalisées le jour même ou le lendemain des certificats médicaux établis par le psychiatre à la suite d'entretiens avec M. [C], au cours desquels celui-ci a été informé du maintien de la mesure.
7. En statuant ainsi, alors qu'il résulte de ses constatations que M. [C] n'avait pas été informé des décisions prises par le directeur d'établissement, le premier président a violé les textes susvisés
. »

Outre la pratique des « faux programmes de soins », il n’est pas rare que soient découverts, à l’occasion des contrôles dans les établissements, :                            

  • des programmes de soins non signés par les patients, ce qui interroge sur la réalité de la notification au patient ;
  • des programmes de soins très anciens, ce qui interroge sur la conformité du document par rapport à l’actualité de l’état de santé du patient.

[1] Jean-Marc PANFILI - Le juge, l’avocat et les soins psychiatriques sans consentement : Quels changements depuis 2011, document mis à jour le 23/12/2018, p. 48, https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/panfili_jean-marc_2018-12-23_analyse_de_la_jpdce_mise_a_jour.pdf

7.6 - L’indemnisation de l’hospitalisation sous contrainte

Si, par suite de l’annulation d’une mesure, cette dernière disparait de l’ordonnancement juridique et cesse de faire effet, il importe que toutes les conséquences en soient tirées : il convient de demander au juge judiciaire qu’il décide non seulement de l’annulation de la mesure irrégulière, mais encore qu’il ordonne à l’autorité administrative compétente de procéder à la destruction ou à la neutralisation de la décision administrative annulée. L’article 3216-1 du Code de la santé publique précise ainsi que le tribunal judiciaire « statue sur les réparations des conséquences dommageables résultant des décisions administratives … ». Ainsi, le juge judiciaire, et plus précisément le Tribunal judiciaire (ancien Tribunal de grande instance) est compétent pour statuer sur l’indemnisation des patients qui ont subi une atteinte à leurs droits.

7.6.1 - Les actions en indemnisation

L’hospitalisation irrégulière donne droit à indemnisation. Se basant sur l’article 5 de la CEDH, la jurisprudence a développé l’étendue du droit à indemnisation.

A. La compétence principale du juge judiciaire

L’article L3216-1 CSP affirme que le juge judiciaire est compétent, même pour les unités pour malades difficiles et quel que soit le montant de la demande.

Le Tribunal administratif peut être reconnu compétent résiduellement pour certains cas d’espèce. Il se dit compétent en cas de carence dans l’organisation, dans la surveillance ou dysfonctionnement dans l’exécution de l’isolement.

Ex : décès dans une chambre d’isolement : TGI Paris, 8 mars 2018 : la responsabilité médicale relève du juge administratif. (à vérifier toutefois au vu de la décision du Tribunal des conflits et de la QPC sur l’isolement…)

Ex : défaut de surveillance dans un cas de suicide.

Mais, sur l’indemnisation des conséquences dommageables d’un placement à l’isolement : le TA de Versailles a été saisi et s’est déclaré incompétent.

Le Tribunal Judiciaire compétent à saisir est celui de Paris pour l’assignation de l’agent judiciaire de l’Etat, ou celui du lieu d’hospitalisation.

Cour de cassation, Chambre civile 1, 17 octobre 2019, n°18-16.837, Publié au bulletin : « Mais attendu que l'arrêt relève, d'une part, que le préfet ne justifie pas de la compétence, par délégation, de l'auteur de l'arrêté du 9 octobre 2012, d'autre part, que cette décision, malgré l'annexion d'un certificat médical, ainsi que les arrêtés préfectoraux des 12 juin, 15 juin et 10 juillet 2012 sont rédigés en termes généraux ne permettant pas de s'assurer que la personne présentait des troubles mentaux nécessitant des soins et compromettant la sûreté des personnes ou portant atteinte, de façon grave, à l'ordre public ; qu'ayant ainsi caractérisé les irrégularités aux conséquences dommageables affectant ces décisions à l'origine des soins contraints, la cour d'appel en a exactement déduit que M. K... pouvait prétendre à l'indemnisation de l'entier préjudice né de l'atteinte portée à sa liberté par son hospitalisation d'office irrégulièrement ordonnée et Mme Q..., à l'indemnisation de son préjudice moral ; que le moyen, qui critique en ses deux premières branches des motifs surabondants, ne peut être accueilli ; »

B. Délais de prescription

La prescription est de 10 ans contre les établissements de santé à compter de la consolidation du dommage, c’est à dire quand l’hospitalisation prend fin : article L1142-28 CSP.

Pour la commune ou le préfet et l’agent judiciaire de l’Etat, la prescription est de 4 ans : à compter du 1er janvier suivant la date de fin d’hospitalisation. Le délai s’interrompt facilement par toute demande formulée auprès de l’administration.

Il en est de même des demandes de dossier médical qui interrompent le délai.

7.6.2 - Les préjudices donnant droit à indemnisation

Une irrégularité formelle ou de fond entraine le droit à indemnisation, même en l’absence de décision de mainlevée.

A. Personnes pouvant être mises en cause

Cour de cass : 19 déc 2012 (https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000026816086/): les personnes ayant concouru à la mesure doivent être mises en cause :

  • Directeur de l’établissement quand demande d’un tiers ou péril imminent : il faut bien cibler l’établissement, AP HP par exemple sur hôpital à Issy les Moulineaux à assigner car Corentin Cariou n’a pas la personnalité juridique
  • En cas de décision préfectorale : Etat donc agent judiciaire de l’Etat
  • Commune quand la décision est du maire

Si s’y ajoute une irrégularité concernant une mesure d’isolement, l’établissement hospitalier peut aussi être mis en cause.  On peut aussi engager la responsabilité de l’Etat, même quand l’hospitalisation est faite à la demande d’un tiers, quand le JLD n’a pas statué dans les délais impartis.

Il s’agit de se demander qui a contribué à la réalisation du dommage.

Le tiers demandeur ne peut pas être assigné, sauf circonstance très particulière. (ex : complicité de faux certificat médical) car le tiers ne fait qu’une demande et ne prend pas de décision.

On peut reprendre tous les moyens soulevés devant le JLD même s’il n’a pas statué dessus.

Devant le juge de l’indemnité, tout préjudice peut être soulevé.

Le barème est d’environ 7.000 euros pour 20 jours.

B.    Principaux types de préjudices reconnus par la jurisprudence

  • La privation de liberté d’aller et venir

Pour 20 jours : 3.600 euros à Paris, 7.000 euros à Pontoise.

Pour 28 jours : 8.000 euros à Versailles (CA).

Pour 83 jours : 20.000 euros à Paris.

Pour 107 jours d'hospitalisation : 10 000 euros en réparation du préjudice résultant de la privation de liberté (Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 7 juillet 2022, n° 21/04488)

Pour une hospitalisation de 7 jours et 6 mois de programme de soins : 3.650 euros CA Paris.

Sont prises en compte les modalités de la privation de liberté : si la personne voit du monde, a des sorties ou au contraire n’a aucun contact téléphonique…

  • L’administration des traitements médicamenteux sous la contrainte

Ce qui est indemnisé, c’est l’absence de possibilité de discuter du médicament choisi, administré de force, sous la contrainte : la jurisprudence indemnise la privation de choix.

Pour 80 jours, 5.000 euros alloués à ce titre.

Le quantum est plus important quand cela est fait par injection car plus traumatisant : 1.000 euros pour 7 jours

  • Le préjudice financier :

Perte de salaire, perte de chance d’occuper un emploi, honoraires de l’avocat

  • Les atteintes à la vie familiale :

Dans le cas d’un enfant mineur placé à l’ASE au moment de son hospitalisation : 6.000 euros pour 28 jours

  • Les atteintes à l’image liées à la mesure d’hospitalisation :

Par exemple en cas de plainte du voisinage : nécessité d’apporter la preuve :

  • Le défaut de notification des décisions :

Entre 500 et 1.500 euros

  • L'absence de base légale de la décision :

La Cour de cassation a jugé que l’annulation d’un arrêté de placement d'office prive cette décision de tout fondement légal. Une atteinte a donc été portée à la liberté individuelle de la personne, obligeant l’auteur de l’acte à l’indemniser. Cette indemnisation doit être versée “quel que soit le bien-fondé d’une telle hospitalisation” au moment des faits. Même si la décision d’internement était justifiée, son manque de base légale suffit à donner droit à une indemnisation. 

En l’espèce, l’arrêté du maire d'internement d'office pour un habitant au nom de son pouvoir de police administrative a été pris en raison de la “notoriété de la situation” de la personne concernée. Ce motif a été déclaré inconstitutionnel par une décision QPC n° 2011-174 QPC du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2011. Le Tribunal administratif a donc tiré les conséquences de cette inconstitutionnalité et a annulé l’arrêté. (Cass. Civ 1. 26 juin 2019, A n°18-12.630, https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/arrets_publies_2986/premiere_chambre_civile_3169/2019_9122/juin_9326/612_26_43053.html)

  • Le défaut de surveillance ayant entraîné un suicide 

Le juge administratif peut, dans certaines circonstances, sanctionner le défaut de surveillance ayant entraîné un suicide du patient.

Dans un arrêt du Conseil d’Etat du 27 février 1985, le juge rappelle « Qu’il résulte de l’instruction que les tendances suicidaires de Mme M., traitée depuis plusieurs années dans l’établissement, étaient connues du personnel soignant, et que Mme M. avait fait une première tentative de suicide quelques minutes après son arrivée dans ce service ; que, dans ces circonstances […]le fait qu’elle ait été laissée sans surveillance dans une chambre dépourvue de tout système de fermeture et qu’elle ait pu se jeter dans la cage d’escalier par une porte de service qui devait normalement rester ouverte pour des raisons de sécurité, relève d’un défaut d’organisation du service de nature à engager la responsabilité de l’établissement ». Dans un arrêt du Conseil d’Etat du 9 mars 2009, le juge estime que : «  Compte tenu des circonstances de son hospitalisation et de la parfaite connaissance qu'avaient les médecins des risques que comportait son état mental, le fait que M.X ait pu échapper à la vigilance du service où elle était hospitalisée et ait pu mettre fin à ses jours révèle une défaillance dans la surveillance et une faute dans l'organisation du service ; que cette faute est directement à l'origine de l'accident qui a entraîné la mort de M.X ; qu'elle est de nature à engager la responsabilité de l'établissement hospitalier ».

Voir aussi Conseil d’Etat, 12 mars 2012.

  • Agressions subies par les patients 

Dans un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux du 8 juillet 2008, le juge administratif reconnaît la faute d’un établissement, de nature à engager sa responsabilité, dans le cas d’une patiente agressée sexuellement par un autre patient. En cause notamment, l’absence de séparation entre les hommes et les femmes dans les locaux, et l’absence dans les chambres de dispositif d’appel du personnel chargé. Voir également en ce sens : dans le cas d’une agression, CE, 30 juin 1978,  CE, 10 avril 1970 ou encore CE, 23 juin 1986.

  • Les préjudices subis lors d’une fugue 

Le juge administratif peut sanctionner les défauts d’organisation et de surveillance des services psychiatriques, lorsqu’un patient fugue de l’établissement. C’est par exemple le cas dans un arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris  du 11 juillet 1997, qui explique que « alors même que le patient aurait reçu les soins médicaux rendus nécessaires par son état, et que le service hospitalier n’aurait pas eu connaissance des tentatives de suicide du patient, l’absence totale de surveillance particulière de nature à prévenir une fuite inopinée constitue, par elle-même, une faute dans l’organisation du service ». En l’espèce, le patient avait fugué de l’établissement et avait subi des blessures graves, après s’être défénestré. Voir également, CE, 12 mai 1972 ; CE, 27 février 1985 ; CE 12 décembre 1979

C. L’indemnisation spécifique liée à l’isolement :

Le 17 janvier 2019, le Tribunal de Versailles a indemnisé la victime d’un isolement pendant 21 jours sans contention par 10.000 euros : « il appartenait à l’hôpital de justifier que cela avait été pris en dernier recours dans un but thérapeutique et non dans la prévention de la fugue ou un but sécuritaire ».

Fautes de nature à engager la responsabilité de l'établissement psychiatrique

Défaut de surveillance de la part du personnel médical :

Un patient en état d’agitation aigu et d’agressivité extrême lors de son admission en établissement psychiatrique placé à l’isolement dès son arrivée pour une durée de 6 jours et sous contention durant 4 jours. Si une surveillance régulière a été programmée au début de la mesure, celle-ci aurait dû être adaptée par la suite au regard : 

  • Du caractère prolongé de la mesure de contention 
  • Du comportement très agité du patient 
  • De l’apparition de signes visibles de blessures au niveau des points d’attache.

De plus, aucun document ne fait état d’un examen médical lors du dernier renouvellement de la mesure de contention ou lorsque celle-ci a pris fin, deux jours avant la fin de l’isolement. 

L’équipe médicale « en n'assurant pas, pendant la mesure de contention prescrite à M.C..., une surveillance et un suivi de l'état de santé de l'intéressé adaptés à la durée de la mesure de contention et à l'état tant physique que psychique du patient de nature à prévenir l'apparition de la paralysie de son bras gauche et l'insuffisance rénale aiguë secondaire consécutive à une rhabdomyolise résultant d'une immobilisation prolongée et en ne diagnostiquant que tardivement cette paralysie de son bras gauche, a commis des fautes de nature à engager la responsabilité de l’EPSM » (§6) 

  • Défaut de surveillance ayant entrainé la mort d’une patiente en isolement CAA de Nantes, 7 février 2020, n° 18NT00789 (https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000041548628)

Une femme atteinte de troubles bipolaires placée en isolement et sous neuroleptiques à son entrée en établissement psychiatrique est décédée par asphyxie. Le personnel infirmier s’est contenté d’une surveillance à distance des mouvements respiratoires de la patiente derrière le hublot de la chambre d’isolement. Il n’a pas respecté la prescription médicale indiquant la nécessité de prendre la pression artérielle et du pouls de la patiente toutes les deux heures. « Cette carence dans la surveillance [est] constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité du centre hospitalier » (§1) 

Conditions de placement à l’isolement inhumaines et dégradantes caractérisées par :

  • L’absence d’information concernant la durée précise des mesures répétées de placement en isolement 
  • Des conditions d'hygiène insuffisantes
  • Du manque de soins 

L’administration hospitalière est tenue de prendre toute mesure utile afin d’éviter un traitement inhumain et dégradant des patients en raison de « la vulnérabilité des patients placés en chambre d'isolement et à leur situation d'entière dépendance vis à vis de l'administration hospitalière. » (§3) - CAA Marseille, 21 mai 2015, n°13MA03115 (https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000030625025

7.7 - Commission Départementale des Soins Psychiatriques et la Commission des Usagers

Ce sont deux instances de la démocratie sanitaire assurant des présences régulières dans les établissements habilités à dispenser des soins psychiatriques sans consentement qui constituent des voies d’alerte ET de recours contre les décisions et pratiques abusives.

7.7.1 - La Commission Départementale des Soins Psychiatriques (CDSP)

Le Code de la santé publique y consacre les articles L. 3223-1 à L. 3223-3 et R. 3223-1 à R. 3223-11.

L'article L. 3223-2 du Code de la santé publique fixe la composition de la CDSP. La suppression du magistrat dans la composition de la CDSP est effective depuis la promulgation de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, mais les magistrats désignés avant la date de la promulgation de la loi continuent de siéger au sein de l’instance jusqu’au premier renouvellement de chaque commission postérieur à la promulgation de la loi.

L’article L. 3222-5 du Code de la santé publique fixe le champ de compétence global de la CDSP : 

« Sans préjudice des dispositions de l'article L. 3222-4, dans chaque département une commission départementale des soins psychiatriques est chargée d'examiner la situation des personnes admises en soins psychiatriques en application des chapitres II et IV du titre Ier du présent livre ou de l'article L. 706-135 du Code de procédure pénale au regard des libertés individuelles et de la dignité des personnes ».

Ce dispositif ne donne à la CDSP qu'une compétence limitée à l’examen de la situation des personnes admises en soins psychiatriques sans consentement.

La CDSP peut être saisie par toute personne en soins psychiatriques sans consentement, en application de l'article L. 3211-3 du Code de la santé publique, qui précise le détail des droits dont la personne en soins psychiatriques sans consentement « dispose en tout état de cause ». Ce dispositif est à relier avec l’article L. 3223-1, 2° qui précise que la CDSP : « reçoit les réclamations des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques en application des chapitres II à IV du titre Ier du présent livre ou de l'article 706-135 du Code de procédure pénale ou celles de leur conseil et examine leur situation ».

L'exercice de ces droits suppose celui du « droit d'écrire » et d'user de tous les moyens de communication qui permettent de joindre la CDSP, dont la communication téléphonique ou électronique.

L'article L. 3223-1 du Code de la santé publique établit un bloc de huit champs de compétences de la CDSP, dont les principaux sont qu’elle :

« 1° Est informée dans les conditions prévues aux chapitres II et III du titre premier du présent livre de toute décision d'admission en soins psychiatriques, de tout renouvellement de cette décision et de toute décision mettant fin à ces soins.

2° Reçoit les réclamations des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques en application des chapitres II à IV du titre Ier du présent livre ou de l'article 706-135 du Code de procédure pénale ou celles de leur conseil et examine leur situation … » Elle statue sur les modalités d’accès au dossier médical.

Ces compétences sont précisées par l'article R. 3223-8.

« … 3° Examine en tant que de besoin, la situation des personnes faisant l'objet de soins psychiatrique en application des chapitres II à IV du titre Ier du présent livre ou de l'article 706-135 du Code de procédure pénale, et obligatoirement dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ;

a) Celle des toutes les personnes dont l'admission a été prononcée en application du 2° du II de l'article L. 3212-1 (admission en cas de péril imminent) ;

b) Celle de toute personne dont les soins se prolongent au-delà d'une durée d'un an ; … »

La Commission peut alors demander au directeur (article L. 3212-9), proposer au préfet (article L. 3213-4) et proposer au JLD la levée d’une mesure de soins sans consentement (article L. 3223-1,7°).

Cour de cassation, 1ère civ, 18 janvier 2023, pourvoi n° 21-21.370 : La Cour de cassation précise qu’en cas de défaut d’information de la commission départementale des soins psychiatriques, si celle-ci a été sollicitée par l’intéressé, cela peut mener à la mainlevée de la mesure dont ce dernier fait l’objet. Il doit être noté qu’il s’agit ici d’un cas particulier car, au moment des faits, une commission départementale des soins psychiatriques n’était pas mise en place à la REUNION et qu’en conséquence, la situation est celle qui, de fait, mène à ce que l'ARS « s'auto-avise ».

La CDSP visite au moins deux fois par an les établissements habilités à recevoir des patients hospitalisés sans consentement, et reçoit les patients qui le souhaitent, vérifie les informations figurant sur le livre de la loi (article L. 3223-1, 5°) et contrôle le registre de l’isolement et de la contention qui « doit être présenté, sur leur demande, à la CDSP, au Contrôleur Général  des Lieux de Privation de Liberté et aux parlementaires » (article L. 3222-5-1, issu de l’art. 72 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé).

7.7.2 - La Commission des Usagers (CDU)

Une « Commission des usagers » (CDU) « est instituée dans chaque établissement de santé public ou privé ainsi que dans les groupements de coopération sanitaire autorisés à assurer les missions d'un établissement de santé » (article R. 1112-79). Les compétences et procédures relatives à la Commission des Usagers (CDU) sont établis par les articles R. 1112-79 à R. 1112-94 du Code de la santé publique. Ainsi, la CDU :

  • participe à l’élaboration de la politique de l’établissement en matière d’accueil, de prise en charge, de l’information et des droits des usagers ;
  • est associée à l’organisation du parcours de soins (pour laquelle elle peut formuler des propositions) ;
  • est associée à la politique de qualité et de sécurité élaborée par la commission ou la conférence médicale de l’établissement ;
  • peut s’autosaisir de tout sujet concernant la politique de qualité et de sécurité des soins, et doit être informée de la suite donnée à ses observations.  

7.8 - Mise en cause de la responsabilité des établissements

Les décisions d’autorisation de sortie et de levée des mesures de soins sans consentement sont encadrées strictement. 

Dans un arrêt de la CAA de Paris, du 25 septembre 2022, la Cour reconnaît pour la première fois, la faute d’un établissement de santé, ayant laissé sortir une personne souffrant de troubles psychiques, qui a, un an et deux mois plus tard, assassiné son ami lors d’une crise hallucinatoire. L’accusé, M.F, a été reconnu irresponsable pénalement. La famille de la victime a demandé au juge administratif, de reconnaître une faute de nature à engager la responsabilité de différents acteurs, dont l’établissement de Maison Blanche. Le tribunal administratif n'a pas fait droit à cette demande. La Cour administrative d’appel s’est prononcée, le 25 septembre 2022, après avoir recueilli des expertises. 

  • La décision de levée de l’hospitalisation d’office et de l’absence de mesures d’hospitalisation

La Cour relève que le préfet a ordonné la levée de l’hospitalisation d’office en se basant sur l’avis du psychiatre traitant, qui avait lui-même sollicité l’abrogation de cette mesure en expliquant alors que le patient « ne présentait plus d’idées délirantes ni de trouble thymique, et que son comportement dans le service était adapté »

Pourtant, le rapport d’expertise souligne que le patient, pendant les jours et semaines précédant les faits : n’avait « toujours pas de reconnaissance de ses troubles », qu’il ne faisait « pas de réelle critique de ses troubles » et qu’il était « très revendicatif, très ambivalent aux soins »

Dans ces circonstances, la Cour administrative d’appel de Paris estime que l’établissement de Maison Blanche « ne pouvait conclure que l’état de santé [du patient] justifiait que l’hospitalisation soit levée dès lors que ce dernier se trouvait encore dans un état d’échappement thérapeutique avec un déni persistant de sa maladie ». La Cour retient donc une faute de la part de l’établissement de Maison Blanche et infirme le jugement du tribunal administratif. 

  • L’inaction de l’établissement de Maison Blanche lors de l’interruption du traitement 

La Cour relève qu’ « au moment de la situation délictueuse, le sujet était en échappement thérapeutique sans suivi régulier. Une rechute délirante, psychotique était active ». Pourtant, le psychiatre assurant le suivi de M.F était conscient des dangers d’un tel échappement thérapeutique pour son patient, et avait même expliqué, dans le cadre d’une procédure pénale, que « la plupart des troubles du comportement, qui ont entraîné ses actes de délinquance, sont survenus à des périodes hors hospitalisation où il n'était pas traité et après des hallucinations et des idées délirantes », les expertises relèvent également que le patient « avait cessé tous soin dès lors qu’il avait obtenu tous les papiers qu’il estimait utile »

La Cour administrative d’appel de Paris conclut donc que « l’établissement de santé, […] ne pouvait ignorer les graves risques de rechutes psychotiques délirantes auxquels M. F... était exposé du fait de l'arrêt de son traitement en mai 2003 ; que l'établissement devait, par conséquent, adopter des mesures de nature à prévenir tout passage à l'acte hétéro et/ou auto-agressifs ; qu'en s'abstenant d'intervenir tout en connaissant les très graves risques encourus, l'établissement public de santé de Maison Blanche a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ».

La Cour estime que ces deux circonstances sont « à l’origine directe et certaine de la rechute délirante de M.F… lequel, privé de tout traitement, n’a pu éviter la crise hallucinatoire l’ayant conduit à assassiner M.E…A… ». Et condamne l’établissement de santé à verser 30 000 euros à la mère de la victime, et 15 000 euros au frère de la victime, en réparation du préjudice moral que ces derniers ont subi. 

8 - Suggestions pour préparer une plaidoirie

Ce chapitre a été rédigé par des avocats ayant l’expérience d’avoir à défendre des personnes vivant avec des troubles psychiques et des bénévoles de l’UNAFAM ayant eu à conseiller des familles. Il va de soi que chaque personne appelle une plaidoirie adaptée à son cas judiciaire et à sa personnalité. Les cas et pratiques ici présentés, qui ont facilité une prise en compte par les juges de l’impact du handicap psychique sur la capacité des personnes à maîtriser leurs actes et leurs besoins prioritaires de bénéficier de soins, ont été sélectionnés comme témoignages de la possibilité d’y parvenir dans l’intérêt des clients.

On se contentera de donner ici quelques repères :

8.1 - Respecter la déontologie de l’avocat lorsque le client prône allant contre ce qui semble être son intérêt

Cette partie reste à construire. Elle abordera notamment la relation de la famille avec l’avocat défendant un proche, sujet parfois très délicat.

8.2 - Réunir des informations sur le parcours de vie et de soins

Cette question déontologique ayant été administrée par chacun selon sa conscience, à toutes les étapes de la procédure, il peut apparaître opportun de mettre en avant des informations susceptible d’éviter un emprisonnement de la personne présentant des symptômes de troubles psychiques  entraînant une rupture de ses soins :

  • Solliciter le témoignage des proches, du curateur ou tuteur, ou d’éventuels témoins sur l’état de la personne au moment des faits : état de crise, rupture du traitement, errance etc…
  • Documenter la situation médicale  : ordonnance de soins psychiatriques, certificats d’hospitalisation en psychiatrie, carte de handicap, attestation MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) délivrant l’allocation adulte handicapé (AAH) ou la reconnaissance de travailleur handicapé (RQTH), ou encore décision de mise sous tutelle ou curatelle. Dans ce dernier cas, le tuteur ou curateur doit être entendu
  • Demander une expertise psychiatrique

Il est possible lors de la garde à vue, si la personne est en état de crise, d’obtenir de la préfecture une hospitalisation en SDRE (soins sans consentement à la demande d’un représentant de l’Etat ).

1.      Exemple d’un témoignage de famille appelé par l’avocat, qui s’est montré efficace

Quelques repères sur la vie de R…

Contexte : R passe en Cour d’Assise, il est accusé d’avoir violé une personne vulnérable. Cette personne est handicapée psychique et les faits se sont déroulés dans une résidence accueil. R a déjà été condamné à plusieurs reprises à des peines de prison. Il est, au moment du procès, incarcéré de façon préventive.

R souffre de troubles psychiques très invalidants. Il souffre depuis plus de 20 ans d’une schizophrénie dite indifférenciée où se succèdent des phases d’autisme et de retrait social (2 ou 3 ans sans sortir de sa chambre), de délires et d’hallucinations (R a pensé pendant plusieurs années que moi-même et lui vivions dans des mondes parallèles et que c’était la raison pour laquelle j’étais masqué), des phases d’agressivité (envers autrui mais aussi envers lui-même comme en témoigne son doigt mutilé), des phases d’angoisse. (Cette partie sur les délires de Romain a été ensuite développée pour répondre à une question du Président de la Cour)
Il a des difficultés à percevoir la réalité et de très forts troubles cognitifs altèrent sa pensée et parasitent très fortement sa relation à l’autre. Tout ceci est compliqué par une mauvaise adhésion aux traitements ainsi que des tendances addictives.

En 20 ans, il a passé plus de 10 ans en hôpital psychiatrique dont environ 2 années sur 2 séjours en UMD

R est reconnu handicapé (psychique) depuis 1997 jusqu’en 2023 par la COTOREP puis par la CDAPH. Son taux d’incapacité est estimé à plus de 80%. Sa capacité à travailler est inférieure à 5%.

Il a  bénéficié depuis sa majorité d’une mesure de curatelle renforcée.

R suit systématiquement le même cycle :
CHS → Sortie à l’essai →arrêt du traitement →mauvaises rencontres →prises de toxiques →crise

La crise se terminant généralement par une hospitalisation sans consentement… ou, depuis plus récemment, par un séjour en prison…

R est incapable de retenir des leçons de ses expériences ; il ne sait pas se méfier de ses mauvaises rencontres. Il s’est fait par 2 fois véritablement « casser la figure » comme en témoigne l’état de ses dents. Ses fréquentations ont mis le feu à son appartement (en 2008). D’autres, à qui il donnait l’hospitalité, ont vidé son appartement (en 2014).

R a des troubles du jugement affectant ses décisions et ses pensées. Par exemple, il est persuadé que ce sont ses médicaments qui le font tousser, pas le tabac…

R a d’énormes difficultés à reconnaître les intentions de l’autre. Par exemple, il donne sans arrière-pensée des médicaments à une personne suicidaire qui lui en demandait. Cela s’est terminé de manière tragique…

Un psychiatre avait expliqué que R présentait un « manque d’altérité », c’est-à-dire qu’il ne perçoit pas toujours la frontière entre lui et l’autre… 

2.      Modèle de mémoire récapitulatif du parcours de vie et de soins d’une personne sujette à des troubles psychiques (suggéré par l’UNAFAM)

Ce mémento s’est avéré très utile pour aider les proches de personnes mises en examen à réunir les informations que pourra éventuellement utiliser l’avocat pour construire sa stratégie de défense :

Nom et coordonnées de l’auteur

« Maître

J’ai l’honneur de vous présenter un mémoire d’information relatif à la personnalité et à l’état de santé mentale de  X, mon ….

X  est  opposé à  Y    pour des faits de ………………………………………….……………………………………………….. survenus le  …………. à …

Je souhaite, par cet exposé chronologique des faits, vous apporter tous les éléments probants et vérifiables susceptibles d’éclairer la réflexion et le verdict du Tribunal.

I – Historique

(NDLR : Rappel du contexte familial en introduction. : construction de la famille)

II – Les faits par ordre chronologique

III – Le déclenchement de l’action de police motivé par une protection vitale (appel familial, voisinage, amis, témoins….)

IV – Le parcours de soins psychologiques et psychiatriques suivi par la personne depuis son enfance (joindre certificats médicaux, rapports d’expertise, feuilles d’hospitalisation, ordonnances…)

V - Le contexte familial (violences, crises, situations difficiles antérieures puis climat post agression, récidives de violences, de crise, situation de profond abattement, addictions, démarches sociales pour le malade, pour la famille, traitements, hospitalisations…)

V- Conclusion : la recherche de solutions, les démarches engagées, les services sociaux saisis, (que veut-on , sous quelle forme, avec quelles protections , qu’attend-t-on de la décision de justice ?)  ( de quelles ressources dispose le malade, quel accompagnement judiciaire et médical, quel logement ?).

8.3 - Exemples d’argumentaires demandant une contre expertise

Sont proposés ci-après, anonymisés, des exemples de demandes de contre-expertises que le juge ou la Chambre de l’instruction a satisfaites, susceptibles d’inspirer :


1. Demande de contre-expertise soulignant les contradictions de l’expertise

I / Rappel des faits et de la procédure :

► D est mis en examen et placé en détention provisoire dans le cadre d’une instruction criminelle depuis le … du chef de : − Tentative d’assassinat

► Un rapport d’expertise psychiatrique a été rédigé par les Experts Y et Z le …, adressé à la défense le …. et reçu le ….

► le…, par déclaration au greffe, le Conseil sollicitait qu’il plaise au magistrat instructeur d’ordonner une contre-expertise. Par ordonnance en date du …., notifiée le même jour par télécopie, le magistrat instructeur devait rejeter cette demande. C’est cette ordonnance dont il est fait appel. Monsieur D, par l’intermédiaire de son Conseil, sollicite qu’il plaise à la Cour d’infirmer l’ordonnance dont il est fait appel et d’ordonner une contre-expertise psychiatrique, sous le bénéfice des explications de fait et de droit livrées ci-dessous. En effet, le rapport d’expertise dont discussion, contient plusieurs contradictions relatives à la discussion tirée de l’examen psychiatrique rapporté. En outre, l’existence ou non d’un risque de réitérations des faits n’est pas évoqué.

Discussion :

En droit :

►Aux termes de l'article 167 du Code de procédure pénale : " Le juge d'instruction donne connaissance des conclusions des experts aux parties et à leurs avocats après les avoir convoqués conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 114. Il leur donne également connaissance, s'il y a lieu, des conclusions des rapports des personnes requises en application des articles 60 et 77-1, lorsqu'il n'a pas été fait application des dispositions du quatrième alinéa de l'article 60. Une copie de l'intégralité du rapport est alors remise, à leur demande, aux avocats des parties. Les conclusions peuvent également être notifiées par lettre recommandée ou, lorsque la personne est détenue, par les soins du chef de l'établissement pénitentiaire qui adresse, sans délai, au juge d'instruction l'original ou la copie du récépissé signé par l'intéressé. L'intégralité du rapport peut aussi être notifiée, à leur demande, aux avocats des parties par lettre recommandée. Si les avocats des parties ont fait connaître au juge d'instruction qu'ils disposent d'une adresse électronique, l'intégralité du rapport peut leur être adressée par cette voie, selon les modalités prévues au I de l'article 803-1. Dans tous les cas, le juge d'instruction fixe un délai aux parties pour présenter des observations ou formuler une demande, notamment aux fins de complément d'expertise ou de contre-expertise. Cette demande doit être formée conformément aux dispositions du dixième alinéa de l'article 81. Pendant ce délai, le dossier de la procédure est mis à la disposition des conseils des parties. Le délai fixé par le juge d'instruction, qui tient compte de la complexité de l'expertise, ne saurait être inférieur à quinze jours ou, s'il s'agit d'une expertise comptable ou financière, à un mois. Passé ce délai, il ne peut plus être formulé de demande de contre-expertise, de complément d'expertise ou de nouvelle expertise portant sur le même objet, y compris sur le fondement de l'article 82-1, sous réserve de la survenance d'un élément nouveau. Lorsqu'il rejette une demande, le juge d'instruction rend une décision motivée qui doit intervenir dans un délai d'un mois à compter de la réception de la demande. Il en est de même s'il commet un seul expert alors que la partie a demandé qu'il en soit désigné plusieurs. Faute pour le juge d'instruction d'avoir statué dans le délai d'un mois, la partie peut saisir directement la chambre de l'instruction. Le juge d'instruction peut également notifier au témoin assisté, selon les modalités prévues par le présent article, les conclusions des expertises qui le concernent en lui fixant un délai pour présenter une demande de complément d'expertise ou de contre-expertise. Le juge n'est toutefois pas tenu de rendre une ordonnance motivée s'il estime que la demande n'est pas justifiée, sauf si le témoin assisté demande à être mis en examen en application de l'article 113-6.".

En fait :

► Sur le premier paragraphe de la réponse à la question n°8

 Les Experts confirment le diagnostic d’une pathologie mentale chronique du registre des troubles du spectre autistique. Ils relèvent « un sentiment diffus de d’hostilité du monde extérieur » notant toutefois que l’intéressé « garde un contact avec le réel ». Les Experts semblent étayer l’argument en faveur d’un contact avec le réel par le raisonnement suivant :

- a. « Il n’a pas développé de délire de persécution systématisé, qu’il soit en secteur ou plus diffus en réseau »,

 - b. « Ce sentiment d’hostilité fait suite à des éléments de réalité, même s’il a pu exagérer certaines de ces craintes »,

- c. « Bien qu’il ressente depuis longtemps une certaine hostilité de la part d’autrui, il ne s’agit pas de persécuteurs désignés »,

- d. « Il a pu jusqu’alors garder la maitrise de ses comportements ».

La présente discussion porte sur les éléments de ce raisonnement :

1. En premier lieu (point « a »), le vécu de persécution de l’intéressé, voire une psychose paranoïde sont rapportés dans de multiples pièces médicales :

 - Le …. : « Hospitalisation pour épisode de persécution ». « Celle-ci aurait décrit de l’angoisse, un vécu de persécution (…) »,

- (Rapports d’expertise du Pr Y) : « Les troubles à type de vécu de persécution se seraient aggravés ces dernières semaines ».  « D peut (…) décrire un sentiment de persécution (…). Le port du couteau semble s’inscrire dans un contexte de persécution »,  «(…) en proie à des angoisses de persécution». « On perçoit alors l’aspect très paranoïde de s structure puisqu’il affirme qu’il ne voir pas les gens que comme mauvais, comme des ennemis », « Vision paranoïde du monde (…)», « Son examen révèle des anomalies mentales du domaine de la psychose paranoïde avec une vision persécutoire dangereux dont il faut se protéger».

- Rapport d’expertise querellé : « Etant donné le jeune âge du sujet, une évolution vers une schizophrénie reste possible si l’on prend en compte les modifications survenues au niveau du comportement depuis début 2014 avec agressivité et froideur affective ainsi que l’existence, alors qu’il n’était pas encore traité par Risperdal, d’un syndrome de persécution entrainant chez Monsieur une réelle peur du monde extérieur ». Il est à noter que tant dans les deux rapports d’expertises, de nombreuses pièces médicales rapportent que D était obsédé par l’idée de tuer notamment son ancien camarade du collège. […]

Il semblerait que dans le rapport querellé, les Experts « penchent » en faveur d’un vécu persécutoire sans lien avec une quelconque pathologie, en adoptant le raisonnement noté plus haut en « a, b,c ».  D conteste ce raisonnement, les points a, et c sont des éléments factuels critiqués ci-dessous. En outre, les Experts, bien qu’ayant pris connaissance du rapport d’expertise du Pr Y, n’évoquent nullement (soit pour infirmer, soit pour confirmer), une des réponses des conclusions du rapport déposé par ces dernières : « Son examen révèle des anomalies mentales du domaine de la psychose paranoïde avec une vision persécutoire dangereux dont il faut se protéger ». (Rapport d’expertise du Pr Y p. ) Dès lors il convient qu’une contre-expertise psychiatrique soit organisée afin qu’il soit clairement statué sur les points suivants :

- En quoi, un délire de persécution en secteur peut être écarté ou diagnostiqué ?

- En quoi un délire de persécution plus diffus en réseau peut être écarté ou diagnostiqué ?

- En quoi une psychose paranoïde avec une vision persécutoire peut être confirmée ou confirmée ?

2. En deuxième lieu, Il est pour le moins curieux que les Experts relèvent que « Ce sentiment d’hostilité fait suite à des éléments de réalité, même s’il a pu exagérer certaines de ces craintes ». En effet, D évoque une moquerie de camarade d’école qui l’amène à être obsédé de tuer ce dernier. A d’autres moments, il est dans l’incapacité d’expliquer les motivations de son obsession.  : (Rapport d’expertise querellé, p. ) : « D parle des envies de tuer certaines personnes. Évoque en particulier un garçon de sa classe de troisième envers qui il n’aurait pas de grief particulier ». On ne peut affirmer de manière péremptoire que ce sentiment résulte d’un élément de réalité ! Par ailleurs, D indique transporter sur lui un couteau lorsqu’il se trouve dans les transports en communs, car il s’y sent en danger. Il est patent que D n’a jamais fait l’objet d’une quelconque agression dans les transports en commun. Dès lors son hostilité face aux passagers d’un transport collectif ne résulte en rien d’un élément issu de la réalité. Et encore, l’acte malheureux de D a été commis à l’endroit d’un infirmier envers le quel il n’avait aucun grief. Son passage à l’acte ne résulte en rien d’un élément d’hostilité ressenti à l’égard d’un infirmier et qui résulterait d’un élément réel. Enfin, l’obsession de tuer son camarade de classe ou le patron de stage de son frère ou encore les passagers d’un transport collectif est d’une disproportion abyssale avec le comportement de ces personnes (aucune de ces personnes n’a agressé Monsieur D), de telle sorte que cette obsession précisément est en dehors de tout élément résultant de la réalité. Les éléments délirants de type interprétatif, en lien avec une mauvaise compréhension des signaux émis par l’autre, sont d’ailleurs évoqués par les Experts.

3. En troisième lieu, contrairement à ce qui est relevé par les Experts, il existe bel et bien un persécuteur désigné, en parallèle de la vision paranoïde du monde :

- Rapport d’expertise du Pr Y : « D était effectivement un patient à risque puisqu’il exprimait clairement sa volonté de tuer quelqu’un au couteau, notamment envers un de ses camardes du Lycée qui l’emmerdait»,  « il avait des pensées envahissantes et pensait souvent à tuer certaines personnes sur lesquelles il focalisait »,

- … (Rapport d’expertise du Pr Y, et rapport d’expertise querellé, ) : « Il pense souvent comment tuer certaines personnes désignées (notamment un élève de son ancien collège ou un ex-patron de stage de son frère), « je me focalise sur quelqu’un ». « Il avait alors des pensées envahissantes et pensait souvent à tuer certaines personnes sur lesquelles il se focalisait ».

- …(Rapport d’expertise querellé, ) : « Parle des envies de tuer certaines personnes. Évoque en particulier un garçon de sa classe de troisième envers qui il n’aurait pas de grief particulier ». « Il dit clairement avoir pensé à planter un copain du collège ».

- …(Rapport d’expertise du Pr Y et rapport d’expertise querellé, ) : « D évoque son projet de passage à l’acte avec son couteau sur un ancien camarade de classe».  « D évoque sa pensée autour d’un passage à l’acte sur un de ses anciens camarades ».

Dès lors, les Experts ne peuvent – sans contradiction - relever à la fois la désignation réitérée et sans équivoque d’un persécuteur et tenir un raisonnement au terme duquel il n’existerait pas de délire de persécution systématisé au motif notamment qu’il n’y aurait pas de persécuteur désigné.

4. En quatrième lieu, les Experts ne peuvent raisonnablement tirer argument de ce que « Il a pu jusqu’alors garder la maitrise de ses comportements ». L’objectif d’une expertise psychiatrique, sur la question de l’abolition ou l’altération du discernement, consiste à jauger de la capacité de maitrise de l’intéressé au moment des faits. Dès lors, peu importe qu’avant ou après les faits, le discernement de l’intéressé soit aboli ou altéré. Par ailleurs, les Experts ne discutent nullement des déclarations de l’intéressé : « Oui, c’est vrai, j’ai perdu le contrôle. Je vois les choses floues. Je ne sais pas ce que je suis en train de faire. J’ai même demandé à la fin si j’avais blessé quelqu’un d’autre. Après, à la fin, j’ai repris mes esprits ». (p. du rapport querellé). Il est à noter que l’on ne saurait retenir ces propos comme des déclarations utilitaires visant à tromper la religion des Experts aux fins d’obtenir une conclusion en faveur d’une abolition de discernement. En effet, les Experts relèvent l’incapacité de D à mentir (cela est en lien avec ses troubles du spectre autistiques selon les dires des Experts) et par surcroit, sa propension à s’auto-incriminer en conséquence (p.). Au surplus, ses déclarations sont confirmées par la victime et un témoin : « J’ai vite vu qu’il était insaisissable par la parole et je ne pouvais pas être en lien avec lui » (…). Il était enragé comme jamais je ne l’ai vu. Il s’est acharné sur moi. Quand il était en chambre d’isolement après l’agression, la première question qu’il a posé aux médecins c’était qu’il était inquiet que je me venge sur sa famille. Je me suis dit qu’il avait une perception de la réalité vraiment perturbée (…) » « Il était comme fou, il était enragé, je ne le reconnaissais pas ». Il convient que, lors d’une contre-expertise, les Experts présentent les arguments en faveur ou en défaveur de la perte de maitrise de D au moment des faits et indiquent leurs réflexions sur les déclarations de D reproduites ci-dessus.

► Sur le second paragraphe premier de la réponse à la question n°8, c ’est à tort que les Experts indiquent que D n’a pas agi « dans un moment fécond ». En premier lieu, ils relèvent : « on peut se demander si le projet de sortie n’a pas réactivé les angoisses de persécution (d’autant plus que le traitement n’était pas pris de façon régulière pendant les week-end)». Il convient de préciser, dans un rapport de contre-expertise, à quel degré ce projet de sortie a pu favoriser un moment fécond. En second lieu, alors qu’il est constant que D consommait du cannabis et, ce faisant, ne suivait pas son traitement, il convient de préciser dans un rapport de contre-expertise, à quel degré ces deux éléments ont pu favoriser un moment fécond. En troisième lieu, les Experts relèvent qu’en raison de son trouble de la sphère autistique, D était astreint à un « répertoire d’intérêts et d’activités restreint, stéréotypé et répétitif ». Il convient de préciser dans un rapport de contre-expertise, à quel degré la levée d’hospitalisation complète avec les déplacements en taxis (avec des conducteurs différents) et la reprise de l’école ont pu favoriser un moment fécond. En quatrième lieu, il convient de préciser, dans un rapport de contre-expertise, à quel degré les éléments chronologiques suivants ont pu favoriser un moment fécond :  …: D dit avoir pris son couteau pour sortir de chez lui, - D prévoit de prendre le couteau avec lui quand il retournera à l’école, -  D explique être sorti en ville avec un copain et avoir pris un couteau avec lui, -  dit avoir fumé du cannabis -  D a introduit un briquet dans le service, - D aurait à nouveau introduit un briquet dans le service, - état psychique inquiétant, avec des éléments anxieux, rapportant à un épisode d’hallucinations auditives. Et enfin, les Experts émettent l’hypothèse que le passage à l’acte a été motivé par le besoin de se prouver qu’il était capable de se défendre, face à quelqu’un dont il savait, par définition, qu’il ne réagirait pas de manière hostile à son égard. Cette affirmation souffre manifestement de contradictions avec les éléments relevés par les Experts : En effet, d’une part, D a toujours indiqué avoir eu ce geste pour récupérer les clés et s’en aller. Outre le fait, qu’il est patent qu’il n’est pas dans la capacité d’user de mensonges utilitaires, ses propos sont confirmés par la victime et un témoin. En effet, en cote …, la victime indique qu’un personnel soignant a entendu D crier « donne-moi les clés, je veux sortir ». En cote…, un témoin indique que D parlait seul « je ne sais pas si je le fais, j’ai envie de partir, je ne sais pas si je le fais ». « Il m’a dit qu’il avait envie de planter un infirmier pour lui prendre les clefs ». Il est pour le moins surprenant que les Experts écartent, sans explication aucune, les raisons de passage à l’acte évoqué par D et confirmé dans la procédure, afin d’y substituer d’autres raisons de passage à l’acte. Au surplus, il semblerait que les Experts aient opéré une confusion entre les raisons de l’obsession de D de tuer un de ses camarades de classe avec les raisons pour lesquelles il a gravement agressé un infirmier.

 ► Sur les autres points de l’Expertise

 Les Experts relèvent que D indique avoir répondu aux enquêteurs de manière « à ne pas les décevoir. J’ai dit n’importe quoi, ils m’ont fait dire n’importe quoi, je n’étais pas sûr de moi ». Les Experts évacuent cette importante affirmation de D. Pourtant, ils ont pris note de la pièce médicale du ….« Il se présente de bon contact mais il est cependant difficile de savoir ce qu’il pense réellement car il acquiesce ou termine les phrases qu’on présente ». 48 heures avant les faits, en raison de son trouble de comportement, il est relevé que D acquiesce et termine les phrases qu’on lui présente. Cette affirmation du personnel médical est à mettre en lien direct avec les déclarations de D relative à son comportement lors de son placement en garde à vue et plus précisément le fait qu’il a dit n ‘importe quoi pour ne pas les décevoir.

Sur l’absence de la précision du risque de réitération des faits Il n’est sérieusement pas envisageable de considérer le rapport d’expertise complet sans la réponse à cette question.

Sur la motivation de l’ordonnance dont appel, c’est à tort que le magistrat instructeur a retenu les éléments suivants :

1. Dans l’ordonnance dont appel, la motivation souffre d’une confusion évidente entre différentes notions psychiatriques. Si ladite ordonnance reprend l’argumentation de la défense pour convenir de ce que « un vécu persécutoire » est une notion différente du « délire de persécution », elle ne répond nullement à la question soulevée relativement à la « psychose paranoïde ». En effet, le Pr Y relève chez D une psychose paranoïde. Le second rapport d’expertise ne mentionne en aucun cas de psychose paranoïde. La difficulté vient de ce que les seconds Experts, qui ont pris connaissance du rapport d’expertise du Pr Y, ne présentent aucun argument pour confirmer ou infirmer la pathologie diagnostiquée par le professeur. Ils ont tout simplement fait fi de cette pathologie.

2. La motivation de l’ordonnance dont appel souffre de contradictions

Il y est à la fois relevé l’existence de plusieurs persécuteurs désignés et à la fois tiré argument de ce que « c’est à raison que les seconds experts ont retenu l’absence de persécuteurs désignés ».

3. Il n’appartient pas au magistrat instructeur de se substituer aux Experts en indiquant que « les moments féconds sont sans lien direct avec cette notion de psychiatrie renvoyant à un moment d’exacerbation des délires chroniques ».

En effet, la demande de contre-expertise rejetée, visait notamment à interroger les experts sur cette question, la réponse devant être donnée par des professionnels de la psychiatrie.

4. Sur l’absence de question relative à la réitération des faits

 Il est exact que l’ordonnance de commission d’expert a été communiquée à l’ancien Conseil de  . Il est constant que ni l’ancien Conseil de D, ni le Ministère Public, ni le magistrat instructeur n’ont jugé utile que cette question soit posée. Pour autant, il est tout aussi constant, que lorsque l’affaire sera examinée par une formation de jugement, cette question sera au cœur des débats. Il serait pour le moins délicat de laisser la formation de jugement examiner l’affaire sans les précisions essentielles à ce type de dossier.

Par ces motifs

Vu les articles 81, 108 et suivants du Code de procédure pénale, D, par l’intermédiaire de son Conseil, sollicite qu’il plaise à la Cour de :

 - Infirmer l’ordonnance dont appel,

- Ordonner une contre-expertise psychiatrique à tel collège d’expert qu’il plaira à la Cour de désigner, - Lui confier la mission habituelle.


2. Demande de contre-expertise sur la base d’une contestation des bases techniques de l’expertise

Sur le droit applicable

• En vertu des alinéas 3 et 4 de l’article 706-47-1 du code de procédure pénale : « Les personnes poursuivies pour l'une des infractions mentionnées à l'article 706-47 du présent code doivent être soumises, avant tout jugement au fond, à une expertise médicale. L’expert est interrogé sur l'opportunité d'une injonction de soins. Cette expertise peut être ordonnée dès le stade de l'enquête par le procureur de la République.»

• En vertu de l’article 706-47 13° du code de procédure pénale : « Le présent titre est applicable aux procédures concernant les infractions suivantes : (…) 13° Délits d'atteintes sexuelles prévus aux articles 227-25 à 227-27 du même code

• En vertu de l’article 156 du code de procédure pénale : « Toute juridiction d'instruction ou de jugement, dans le cas où se pose une question d'ordre technique, peut, soit à la demande du ministère public, soit d'office, ou à la demande des parties, ordonner une expertise. Le ministère public ou la partie qui demande une expertise peut préciser dans sa demande les questions qu'il voudrait voir poser à l'expert. Lorsque le juge d'instruction estime ne pas devoir faire droit à une demande d'expertise, il doit rendre une ordonnance motivée au plus tard dans un délai d'un mois à compter de la réception de la demande. Les dispositions des avant-dernier et dernier alinéas de l'article 81 sont applicables. Les experts procèdent à leur mission sous le contrôle du juge d'instruction ou du magistrat que doit désigner la juridiction ordonnant l'expertise.». • En vertu de l’article 388-5 du code de procédure pénale : « En cas de poursuites par citation prévue à l'article 390 ou convocation prévue à l'article 390-1, les parties ou leur avocat peuvent, avant toute défense au fond ou à tout moment au cours des débats, demander, par conclusions écrites, qu'il soit procédé à tout acte qu'ils estiment nécessaire à la manifestation de la vérité. Ces conclusions peuvent être adressées avant le début de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par remise au greffe contre récépissé. S'il estime que tout ou partie des actes demandés sont justifiés et qu'il est possible de les exécuter avant la date de l'audience, le président du tribunal peut, après avis du procureur de la République, en ordonner l'exécution selon les règles applicables au cours de l'enquête préliminaire. Les procès-verbaux ou autres pièces relatant leur exécution sont alors joints au dossier de la procédure et mis à la disposition des parties ou de leur avocat. Si le prévenu ou la victime doivent être à nouveau entendus, ils ont le droit d'être assistés, lors de leur audition, par leur avocat, en application de l'article 63-4-3. Si les actes demandés n'ont pas été ordonnés par le président du tribunal avant l'audience, le tribunal statue sur cette demande et peut commettre par jugement l'un de ses membres ou l'un des juges d'instruction du tribunal, désigné dans les conditions prévues à l'article 83, pour procéder à un supplément d'information ; l'article 463 est applicable. S'il refuse d'ordonner ces actes, le tribunal doit spécialement motiver sa décision. Le tribunal peut statuer sur cette demande sans attendre le jugement sur le fond, par un jugement qui n'est susceptible d'appel qu'en même temps que le jugement sur le fond ».

• En vertu de l’article 463 du code de procédure pénale : « S'il y a lieu de procéder à un supplément d'information, le tribunal commet par jugement un de ses membres qui dispose des pouvoirs prévus aux articles 151 à 155. Ce supplément d'information obéit aux règles édictées par les articles 114, 119, 120 et 121. Le procureur de la République peut obtenir, au besoin par voie de réquisitions, la communication du dossier de la procédure à toute époque du supplément d'information, à charge de rendre les pièces dans les vingt-quatre heures ».

Sur l’application de la Loi

Sur la recevabilité de la présente

Le …, B se voyait remettre une convocation en justice sur le fondement de l’article 390-1du code de procédure pénale. L’article 388-5 du code de procédure pénale dispose en son premier alinéa qu’ « en cas de poursuites par citation prévue à l'article 390 ou convocation prévue à l'article 390-1, les parties ou leur avocat peuvent, avant toute défense au fond ou à tout moment au cours des débats, demander, par conclusions écrites, qu'il soit procédé à tout acte qu'ils estiment nécessaire à la manifestation de la vérité ». Par conséquent, la présente demande d’acte de B est recevable.

Sur le fond

À l’évidence en rendant obligatoire la mesure d’une expertise psychiatrique dans le cadre de la procédure applicable aux infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes, le législateur a souhaité mettre la Juridiction de jugement en mesure d’apprécier de manière éclairée la personnalité de l’intéressé et en conséquence – en cas de condamnation – prononcer une peine qui – notamment - assure la protection de la société et prévient la commission de nouvelles infractions. Si la déclaration de la culpabilité ne résulte assurément pas de cet élément de la procédure, en revanche il est patent que l’expertise psychiatrique commande directement la peine infligée (en cas de culpabilité avérée) tant dans son quantum et que dans sa nature et ceci conformément aux buts et fonctions de la peine édictés par l’article 130-1 du Code pénal

En l’espèce, le rapport de l’expertise psychiatrique ne saurait utilement éclairer le Tribunal. En effet, d’une part la méthode d’examen souffre incontestablement de fiabilité en ce qu’elle ne répond pas à des critères scientifiques. D’autre part, la « discussion » expertale est entachée de contradiction.

Sur la critique de la méthode d’expertise

L’Expert a procédé à 5 séries de questionnaires afin de répondre aux questions qui lui étaient posées par voie de réquisitions. Il s’agit de la méthode dite « actuarielle » ou à tout le moins « semi-structurée ».

  1. En premier lieu, bien qu’en matière pénale la méthode utilisée par l’Expert ne soit pas encadrée par la Loi, la méthode « clinique » est celle qui est pratiquée dans l’écrasante majorité des cas en France.
  2. En second lieu, à supposer que la méthode « actuarielle » ou « semi-structurée » puisse être intrinsèquement fiable, encore faudrait-il que les questionnaires qui la composent puissent être de qualité ou à tout le moins un minimum reconnus par la littérature scientifique. En l’espèce, les questionnaires sont les suivants :

- Test de personnalité d‘Eysenck,

- Questionnaire d’impulsivité,

 - Questionnaire de personnalité PDQ4,

- Echelle HAD d’anxiété dépression de Sigmond et Snaith,

- Inventaire de symptomatologie dépressive IDS-SR.

L’ensemble de ces questionnaires s’appuie sur une analyse factorielle des réponses, analyse qui découle d’algorithmes dont les formules mathématiques – faute d’être explicitées dans le rapport - échappent au contrôle du Tribunal, du Ministère Public et des Conseils de parties. Enfin et surtout, sans analyse autre, la méthode est prédictive.

Le test de personnalité d’Eysenck :

- Relève du domaine psychologique et non de la psychiatrie.

- Il a pour prétention de mesurer deux facteurs : l’extraversion et le névrosisme. Ce test a vocation à suggérer une certaine prédictibilité des conduites à risque par l’intermédiaire de ces deux facteurs.

- Les hypothèses de construction de la personnalité de ce test reposent sur l’analyse factorielle.

- La difficulté pour le Tribunal, le Ministère public, les conseils de partie civile et de la défense résident dans le fait qu’ils n’ont aucun accès au modèle établi par Eysenck pour s’assurer que les questions posées par l’Expert sont celles établies par Eysenck. Il est à noter que l’Expert relève un « score de mensonge» alors que d’une part, le test d’Eysenck n’ a pas vocation à « mesurer » le mensonge et que d’autre part, aucune explication, aucune clé de compréhension n’est donnée quant à la méthode d’établissement des scores…

Le Questionnaire d’impulsivité :

Il existe une multitude de tests afin de « mesurer » l’impulsivité. Faute pour l’Expert de préciser le questionnaire utilisé (UPPS, BIS-10dit test de Barrat, etc..), ni le Tribunal, pas davantage que le ministère public ou les avocats des parties ne sont en mesure de discuter de la fiabilité des scores relevés à l’aide de ce test.

Le questionnaire de personnalité PDQ4 :

Il s’agit d’un test traduit en français dont l’objectif est de détecter les troubles de la personnalité suivant la méthode prédictive et dont l’utilité « ne semble pas être démontrée ».

Echelle HAD d’anxiété dépression de Sigmond et Snaith :

Il s’agit d’une « échelle prédictive » à « analyses factorielles ». La fiabilité de tels tests dépend de la pertinence des questions posées ainsi que des algorithmes dont résultent les analyses factorielles.

Inventaire de symptomatologie dépressive IDS-SR

Idem

À supposer que ces cinq questionnaires soient scientifiquement valides, les conclusions expertales qui en découlent ne peuvent qu’être erronées en ce que l’Expert interprète les « scores » à la faveur d’un échantillon de population qui ne satisfait pas aux critères de représentativité, critère indispensable à l’établissement de toutes statistiques ou normes. En effet :

-En page 6 et en ce qui concerne le test d’Eysenck, il fait référence à échantillon « notre population de 440 patients et expertisé ayant passé ce test »,

- En page 7et en ce qui concerne le test d’impulsivité, il fait référence à échantillon « notre population de 392 patients et expertisé ayant passé ce test », 7

Sur la critique de la « discussion » expertale

À titre liminaire, l’Expert a déposé un rapport qui comprend la partie relative à la biographie et les réponses aux questions figurant dans les réquisitions. Aucune partie du rapport ne contient les éléments relatifs à l’examen clinique et à la discussion qui en découle. Faute de porter à la connaissance du Tribunal, du Ministère public et des Conseils des parties le contenu de l’examen clinique et de la discussion, le rapport d’expertise souffre de la possibilité d’une discussion contradictoire sur le fond.

1. En premier lieu, l’Expert relève (p.) : « Avant Mme I, il aurait eu une campagne qui avait eu un cancer du sein et qui serait devenue chauve. C’est pour cette raison qu’il l’aurait abandonnée ».  B n’a jamais tenu de tels propos. Et pour cause, la campagne qui a été atteinte par le cancer est Madame I, épouse B. En effet, lorsque B a rencontré I, elle était atteinte d’un cancer du sein et, compte-tenu des mesures thérapeutiques qu’elle suivait, elle avait perdu ses cheveux. En conséquence, loin d’abandonner une femme pour cette cause, B a – au contraire – commencé une relation amoureuse avec une femme dans ces conditions. En page. de son rapport, l’Expert relate à nouveau cette fausse information et en tire des conséquences : « (…) Il indique qu’il était en couple, avant I, mais que sa compagne, atteinte d’un cancer, serait devenue chauve, motif pour lui de l’abandonner. Il pourrait paraître étrange et incohérent, ce d’autant que sa vie professionnelle semble, elle-même, assez désordonnée. Mais il évoque plutôt un pervers sexuel qui se dissimule derrière un masque d’originalité. (…) ».

2. En second lieu, l’Expert soutient que B est un manipulateur au motif suivant : « B est très flou sur sa sexualité. Il évoque plusieurs faits un peu discordants : - (…) - son ignorance du fait qu’il ignorait que la masturbation était sexuelle. Cette dernière information emporte la conviction à propos du caractère manipulatoire d’un discours certes flou, mais qui est orienté vers l’objectif de l’exonérer de sa responsabilité ». B n’a jamais tenu de tels propos devant l’Expert. Il est d’ailleurs à noter que l’Expert n’a pas retranscrit une seule phrase prononcée par B. L’Expert a procédé par voie d’interprétation d’un discours à l’instar de l’exemple rapporté en ci-dessus. En outre, l’Expert soutient en page.. de son rapport, en réponse à la question n°3 : « (…) il serait suivi par une psychiatre pour travailler ses « idées ». Mais il ne reçoit aucun traitement psychotrope, ce qui confirme l’hypothèse qu’il ne s’agit pas d’un psychotique, mais d’un pervers ». Encore une fois, l’Expert « raisonne » à partir d’un élément factuel erroné. Dès lors la conséquence tirée ne peut qu’être entachée d’erreur. B est suivi par une psychologue clinicienne et non un psychiatre. À l’évidence, une psychologue n’a pas qualité de médecin et n’est pas autorisée à prescrire un traitement. Au-delà de cette erreur factuelle, l’Expert pose une dichotomie « psychotique » et « pervers » dans le cadre de passage à l’acte d’infractionnel. Cette analyse est contredite par le Dr Y, Expert psychiatrique près la Cour de cassation et dont les compétences en matière de soins dans ce type d’infraction sont de notoriété. C’est ainsi qu’il indique : « Sur un plan strictement psychiatrique, on soulignera que la transgression est relativement exceptionnelle chez les sujets psychotiques, et qu'elle n'est pas à priori en lien avec une structure névrotique stricto sensu. ». En ce qui concerne un diagnostic d’une personnalité perverse, il précise : « Sur un plan psychopathologique, c'est la relecture de la problématique perverse (qu'on peut situer comme résultant d'un triptyque : égocentrisme, relation d'emprise, déni d'altérité) ; problématique que l'on recentrera sur une psychopathologie de l'acte et non comme une psychopathologie structurale de la personnalité. ».

En réponse à la question n°6, l’Expert précise : « La perversion sexuelle est un trouble particulièrement difficile à traiter, surtout chez une personne présentant une personnalité obsessionnelle. Dans ces conditions, B n’est ni curable, ni réadaptable. D’ailleurs, il reçoit des soins dans le cadre de sa perversion, qui semblent ne donner que des résultats très modestes, voire nuls ». Il est pour le moins incohérent que l’Expert tire de telles conclusions alors que : - il existe des protocoles de soins et à cet égard le Dr Y conclut : « De façon plus générale, la créativité en psychiatrie et psychologie légales se doit d'accepter que l'espace thérapeutique soit à la fois un travail d'analyse du moi, d'analyse du ça ; ou dit plus simplement à la fois un travail psycho-éducatif et un travail psychothérapeutique stricto sensu ; dit autrement encore le travail d'accompagnement du sujet dans le cadre d'une obligation de soins vise à la fois à faire maturer la personnalité (non spécifique) mais aussi à clarifier les relations mentales liées à la fantasmatique et à la sexualité, repérer des situations à risque (conflit interne, situation externe), gérer sa sexualité et réinvestir la vie sociale du sujet parfois un peu marginalisé par la stigmatisation de la scansion sociale (repères d'évolution spécifiques) ».

L’expert n’a entrepris aucune discussion relative au fait que le casier judiciaire de B ne porte trace d’aucune mention. Il aurait été utile de se pencher sur le point de savoir si cette circonstance ne discrimine pas de facto une perversion structurelle,

L’expert n’a pas pris en compte la dimension contextuelle. À l’évidence si déviance il y a, elle n’est pas chronique. Afin de mesurer la dangerosité de l’intéressé et les risques de renouvellement de l’infraction, il aurait été efficient que l’Expert se penche sur la dimension contextuelle du passage à l’acte.

PAR CES MOTIFS Vu les articles 156, 388-5, 463, 706-47 et 706-47-1 du code de procédure pénal ; Vu l’article 229-22-1 du Code pénal ; B sollicite qu’il plaise au Tribunal de :

DECLARER recevable et bien fondée sa demande ;

En conséquence, AVANT DIRE DROIT, ordonner une mesure de contre-expertise psychiatrique confiée à tel Expert près la Cour d’appel, ayant pour mission :

1° - Procéder à l'examen psychiatrique de B et dire s'il est en mesure de comprendre les propos et de répondre aux questions ;

2° - Dire si l'examen de l'intéressé révèle chez lui des anomalies mentales ou psychiques, le cas échéant les décrire et préciser à quelles affections elles se rattachent;

3° - Dire si l'infraction reprochée au sujet est en relation avec des éléments factuels ou biographiques de l'intéressé;

4° - Dire si l'intéressé était atteint au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ou ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes, au sens de l'article 122-1 du code pénal et définir si ce trouble peut être en relation déterminante ou partielle avec les faits reprochés à l'intéressé ;

5° - Dire si l'intéressé a agi sous l'emprise d'une force ou d'une contrainte à laquelle il n'a pu résister au sens de l'article 122-1 du code pénal ;

6° - Dire si l'état mental de l'intéressé risque de compromettre l'ordre public ou la sûreté des personnes et nécessiterait, dès lors, une hospitalisation en milieu spécialisé en application de l'article 706-135 du code de procédure pénale ;

7° - Dire si l'intéressé présente un état dangereux au sens psychiatrique ou criminologique en énumérant les éléments de pronostic défavorables ou favorables ;

8° - Dire quelles sont les propositions thérapeutiques possibles et se prononcer sur l'opportunité, sur un plan psychiatrique, en cas de condamnation ultérieure, d'une injonction de soin dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire ;

De façon générale, faire toutes observations utiles à la manifestation de la vérité et consigner vos observations dans un rapport.


3. Demande de contre-expertise après une expertise réfutant l’abolition du discernement

En droit :

            ►Aux termes de l'article 167 du Code de procédure pénale : 

" Le juge d'instruction donne connaissance des conclusions des experts aux parties et à leurs avocats après les avoir convoqués conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 114. Il leur donne également connaissance, s'il y a lieu, des conclusions des rapports des personnes requises en application des articles 60 et 77-1, lorsqu'il n'a pas été fait application des dispositions du quatrième alinéa de l'article 60. Une copie de l'intégralité du rapport est alors remise, à leur demande, aux avocats des parties.

Les conclusions peuvent également être notifiées par lettre recommandée ou, lorsque la personne est détenue, par les soins du chef de l'établissement pénitentiaire qui adresse, sans délai, au juge d'instruction l'original ou la copie du récépissé signé par l'intéressé. L'intégralité du rapport peut aussi être notifiée, à leur demande, aux avocats des parties par lettre recommandée. Si les avocats des parties ont fait connaître au juge d'instruction qu'ils disposent d'une adresse électronique, l'intégralité du rapport peut leur être adressée par cette voie, selon les modalités prévues au I de l'article 803-1.

Dans tous les cas, le juge d'instruction fixe un délai aux parties pour présenter des observations ou formuler une demande, notamment aux fins de complément d'expertise ou de contre-expertise. Cette demande doit être formée conformément aux dispositions du dixième alinéa de l'article 81. Pendant ce délai, le dossier de la procédure est mis à la disposition des conseils des parties. Le délai fixé par le juge d'instruction, qui tient compte de la complexité de l'expertise, ne saurait être inférieur à quinze jours ou, s'il s'agit d'une expertise comptable ou financière, à un mois. Passé ce délai, il ne peut plus être formulé de demande de contre-expertise, de complément d'expertise ou de nouvelle expertise portant sur le même objet, y compris sur le fondement de l'article 82-1, sous réserve de la survenance d'un élément nouveau.

Lorsqu'il rejette une demande, le juge d'instruction rend une décision motivée qui doit intervenir dans un délai d'un mois à compter de la réception de la demande. Il en est de même s'il commet un seul expert alors que la partie a demandé qu'il en soit désigné plusieurs. Faute pour le juge d'instruction d'avoir statué dans le délai d'un mois, la partie peut saisir directement la chambre de l'instruction.

Le juge d'instruction peut également notifier au témoin assisté, selon les modalités prévues par le présent article, les conclusions des expertises qui le concernent en lui fixant un délai pour présenter une demande de complément d'expertise ou de contre-expertise. Le juge n'est toutefois pas tenu de rendre une ordonnance motivée s'il estime que la demande n'est pas justifiée, sauf si le témoin assisté demande à être mis en examen en application de l'article 113-6.".

En fait :

1. Sur « l’état des lieux » posé par l’Expert

À la lecture des deux rapports d’expertises, il apparaît que l’Expert relève :

            - Un premier antécédent psychiatrique  : hospitalisation du  … au … Pôle santé publique CH… Ce dossier mettrait en évidence un épisode psychotique aigu par suite d’une consommation aigue de produits toxiques (avec bouffée délirante aigue).

            - Un second antécédent psychiatrique : hospitalisation du …. au …. Hôpital de …

Ce dossier mettrait en évidence un diagnostic de trouble psychotique aigu d’allure psychotique., sans consommation de produits toxiques.

« Visiblement au moment des faits il ne prenait pas de traitement et présentait des hallucinations auditives ». 

« Il y avait surement également un vécu persécutoire par rapport à la réalité externe ».

« A n’a pas agi du fait d’un commandement lié à des hallucinations auditives ou visuelles ou les deux. »

« Au moment des faits la pathologie psychotique était décompensée, non soignée. Le conflit a été vécu sur un mode de persécution, d’où le passage à l’acte et, dans ces conditions, on doit considérer que l’altération est absolument majeure ».

2.  Sur les motifs ayant conduit l’Expert à écarter une abolition du discernement

L’Expert relève deux motifs :

D’une part, A n’a pas agi sous du fait d’un commandement lié à une hallucination,

D’autre part, le conflit domestique qui existait entre A et  B était un élément de la réalité. 

3.  Le premier motif de la Discussion expertale est entaché de contradiction

L’Expert relève à la fois : « Visiblement au moment des faits il ne prenait pas de traitement et présentait des hallucinations auditives ».  A n’a pas agi du fait « d’un commandement lié à des hallucinations auditives ou visuelles ou les deux ».

En premier lieu et à l’évidence, il y a une contradiction entre le fait de relever que A présentait des hallucinations auditives au moment des faits et le fait qu’il n’ait pas agi sous l’injonction d’un commandement.

En effet, comment A qui, selon le même Expert, présentait « au moment des faits une pathologie psychotique décompensée, non soignée »peut-il faire la différence entre ce qui résulte d’une hallucination auditive et d’un commandement ou de la réalité ?

On peut même s’interroger sur le point de savoir en quoi l’hallucination auditive en elle-même ne serait pas un commandement ?

Enfin, le propre d’une hallucination est de paraître être la réalité pour la personne qui la subit et dès lors il est impossible pour A de faire la différence entre une hallucination, un commandement et la réalité, étant admis par l’Expert que sa pathologie était décompensée et qu’il était en proie à des hallucinations auditives au moment des faits.

En tout état de cause, dès lors que l’Expert admet d’une part que A était en proie à des hallucinations auditives au moment des faits et en état de décompensation, et par ailleurs dans un mode de vécu de persécution, il est indéniable qu’il se trouvait d’un état de fausseté absolue de jugement.

4.  Le second motif de la discussion est entaché d’erreur

À supposer que A n’était pas en proie à une hallucination auditive au moment des faits ou que cette hallucination n’équivaille pas à un commandement, il est particulièrement nécessaire de voire trancher les points suivant :

Le fait de répliquer par dix coups de couteaux n’est-il pas en soi une un passage à l’acte exempt de toute logique tant les faits sont en disproportion abyssale par rapport à la réalité du conflit entre les deux hommes ?

La motivation de A dans son passage à l’acte, est à l’évidence, le contraire d’un raisonnement logique et ancré dans la réalité.

En effet :

Le casier judiciaire de A ne porte mention d’aucune condamnation,

Le conflit domestique qui existait entre lui et B ne s’est jamais manifesté par des violences physiques avant les faits qui lui sont reprochés,

Pour autant et alors qu’il n’y a jamais eu d’altercation physique entre les deux personnes, A gardait par-devers lui et en permanence un couteau de peur d’être agressé par B.

L’ensemble de ces éléments amène à s’interroger sur le point de savoir dans quelle mesure sa pathologie a infiltré son quotidien au point de se promener en permanence avec un couteau sur lui pour se protéger d’une personne qui pour autant n’avait jamais exercé de violences sur lui. Dès lors, on peut affirmer qu’il présentait un vécu global d’insécurité et persécutoire qui polluait son quotidien en permanence.

En conséquence, sa perception de la réalité était emprise à la distorsion. En effet, son environnement pathologique ne pouvait que le faire accéder à une réalité faussée.

5. Sur « l’altération absolument majeure » retenue par L’Expert

La notion d’altération ou d’abolition du discernement est une notion binaire qui ne souffre pas de graduation. Le fait que l’Expert fasse état d’une « altération absolument majeure » laisse un doute véritable quant à l’existence d’une abolition.

Il est essentiel à la manifestation de la vérité qu’un collège d’Experts puisse procéder à une contre-expertise afin de trancher l’ensemble des points susvisés.

Pour toutes ces raisons et en application des articles 81 et 167 du Code de procédure pénale, A, par mon intermédiaire, sollicite qu’il vous plaise d’ordonner une contre-expertise psychiatrique en désignant un collège d’Experts avec les questions habituelles en sus des points soulevés dans la présente demande.


4. Demande de la nullité d’une expertise pour cause de conflit d’intérêt chez l’expert

À titre préliminaire, sur la recevabilité de nouveaux moyens de nullité. :

En droit :

►Aux termes de l'article 173-1 du Code de procédure pénale : "Sous peine d'irrecevabilité, la personne mise en examen doit faire état des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant son interrogatoire de première comparution ou de cet interrogatoire lui-même dans un délai de six mois à compter de la notification de sa mise en examen, sauf dans le cas où elle n'aurait pu les connaître. Il en est de même s'agissant des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant chacun de ses interrogatoires ultérieurs. Il en est de même pour le témoin assisté à compter de sa première audition puis de ses auditions ultérieures. Il en est de même pour la partie civile à compter de sa première audition puis de ses auditions ultérieures".

► Aux termes de l'article 174 du Code de procédure pénale : "Lorsque la chambre de l'instruction est saisie sur le fondement de l'article 173 ou de l'article 221-3, tous moyens pris de nullité de la procédure qui lui est transmise doivent, sans préjudice du droit qui lui appartient de les relever d'office, lui être proposés. A défaut, les parties ne sont plus recevables à en faire état, sauf le cas où elles n'auraient pu les connaître. La chambre de l'instruction décide si l'annulation doit être limitée à tout ou partie des actes ou pièces de la procédure viciée ou s'étendre à tout ou partie de la procédure ultérieure et procède comme il est dit au troisième alinéa de l'article 206. Les actes ou pièces annulés sont retirés du dossier d'information et classés au greffe de la cour d'appel. Les actes ou pièces de la procédure partiellement annulés sont cancellés après qu'a été établie une copie certifiée conforme à l'original, qui est classée au greffe de la cour d'appel. Il est interdit de tirer des actes et des pièces ou parties d'actes ou de pièces annulés aucun renseignement contre les parties, à peine de poursuites disciplinaires pour les avocats et les magistrats".

► Selon la jurisprudence : " En revanche, il résulte de l'article 174 du Code de procédure pénale que la partie qui a saisi la Chambre de l'instruction d'une requête en nullité est admise à proposer par mémoire, jusqu'à la veille de l'audience, de nouveaux moyens de nullité". ( crim.6 mai 2009)

Le…, le conseil de E déposait une requête en nullité du rapport d’expertise du Dr YYYY et sa réponse commentaire.

En fait :

 Le …, E déposait par l’intermédiaire de son Conseil le présent mémoire complémentaire en sus de la requête déposée le …. Les nouveaux moyens de nullité soulevés sont recevables.

Sur violation des dispositions relatives au caractère équitable, impartial et contradictoire de la procédure pénale, sur la violation des dispositions relatives au secret médical et sur la violation du principe de la loyauté de l’administration de la preuve :

En droit : sur violation des dispositions relatives au caractère équitable, impartial et contradictoire de la procédure pénale :

► L’alinéa premier de l’article Préliminaire du Code de procédure pénale dispose que : « la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits partie. ».

► Aux termes de son article 6.1, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) ».

► La Chambre criminelle rappelle que le défaut d’impartialité d’un expert peut constituer une nullité (Crim. 8 juin 2006, pourvoi n°06-81359).

► La Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion d’énoncer que l’exigence du respect du principe de la contradiction, posée par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales s’étend aux expertises accompagnant la procédure juridictionnelle : "La Cour rappelle que l’un des éléments d’une procédure équitable au sens de l’article 6 paragraphe 1 (article 6-1) est le caractère contradictoire de celle-ci : chaque partie doit en principe avoir la faculté non seulement de faire connaître les éléments qui sont nécessaires au succès de ses prétentions, mais aussi de prendre connaissance et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision. A ce titre, elle précise d’emblée que le respect du contradictoire, comme celui des autres garanties de procédure consacrées par l’article 6 paragraphe 1 (article 6-1), vise l’instance devant un "tribunal" ; il ne peut donc être déduit de cette disposition (article 6-1) un principe général et abstrait selon lequel, lorsqu’un expert a été désigné par un tribunal, les parties doivent avoir dans tous les cas la faculté d’assister aux entretiens conduits par le premier ou de recevoir communication des pièces qu’il a prises en compte. L’essentiel est que les parties puissent participer de manière adéquate à la procédure devant le "tribunal". Par ailleurs, la Convention ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel. La Cour ne saurait donc exclure par principe et in abstracto l’admissibilité d’une preuve recueillie sans respecter les prescriptions du droit national. Il revient aux juridictions internes d’apprécier les éléments obtenus par elles et la pertinence de ceux dont une partie souhaite la production. La Cour a néanmoins pour tâche de rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris la manière dont la preuve a été administrée, a revêtu le caractère équitable voulu par l’article 6 paragraphe 1 (article 6-1). En l’espèce, ... bien que le tribunal administratif ne fût pas juridiquement lié par les conclusions de l’expertise litigieuse, celles-ci étaient susceptibles d’influencer de manière prépondérante son appréciation des faits. Dans de telles circonstances, et eu égard aussi au fait que les juridictions administratives rejetèrent leur demande de nouvelle expertise, les époux X... n’auraient pu faire entendre leur voix de manière effective qu’avant le dépôt du rapport de l’expertise en cause. Aucune difficulté technique ne faisait obstacle à ce qu’ils fussent associés au processus d’élaboration de celui-ci, ladite expertise consistant en l’audition de témoins et l’examen de pièces. Ils furent pourtant empêchés de participer à ladite audition alors que les cinq personnes interrogées par l’expert étaient employées par le CHRN et que parmi elles figuraient le chirurgien qui avait opéré Mlle X... en dernier lieu, et l’anesthésiste. En conséquence, les requérants n’eurent pas la possibilité de contre-interroger ces cinq personnes dont on pouvait légitimement s’attendre à ce qu’elles déposent dans le sens du CHRN, partie adverse à l’instance. Quant aux pièces prises en considération par l’expert, les intéressés n’en eurent connaissance qu’une fois le rapport achevé et communiqué. Ainsi, les époux X... n’eurent pas la possibilité de commenter efficacement l’élément de preuve essentiel. La procédure n’a donc pas revêtu le caractère équitable exigé par l’article 6 paragraphe 1 de la Convention. Partant, il y a eu violation de cette disposition" (CEDH, 18 mars 1997, X... c/ France. Requête n° 21497/93).

En droit : sur la violation des dispositions relatives au secret médical

► Les articles L.1110-4 et suivants du Code de la santé publique consacrent le secret médical. Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.

► Les articles 56, 60, 60-1 et suivants du Code de procédure pénale régissent la désignation d’un Expert, la collecte de toute donnée ou document utile à la manifestation de la vérité et les modalités selon lesquelles l’Expert peur prendre connaissance des pièces mises sous scellé.

En droit : sur la violation des dispositions relatives au principe de la loyauté dans l’administration de la preuve :

► Aux termes de l’article préliminaire du Code de procédure pénale : « I -La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties (…). En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui ».

► Aux termes de l’article 6 de la Convention de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…). 3. Tout accusé a droit notamment à : . a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; . b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; (…) ».

► Selon la jurisprudence de la chambre criminelle de la cour de cassation : le fait de susciter des échanges verbaux qui seraient versés au dossier pour être utilisés comme preuve, constitue un procédé déloyal d’enquête mettant en échec le droit de se taire et celui de ne pas s’incriminer soi-même et porte atteinte au droit à un procès équitable. Crim. 6 mars 2015 (Pourvoi n°14-84339). 

En fait : sur l’annulation des pièces

Sur l’annulation du rapport d’expertise du Dr Y En fait, ce rapport a été rédigé tant en violation des dispositions relatives au caractère équitable, impartial et contradictoire de la procédure pénale (a) qu’en violation du principe du secret professionnel (b) qu’en violation du principe de loyauté dans l’administration de la preuve (d).

En fait : sur la nullité du rapport d’expertise qui figure à la côte …tirée de la méconnaissance du principe caractère équitable, impartial et contradictoire de la procédure pénale : Le …, E était conduit par sa mère aux urgences du CH. Il était hospitalisé au sein de cet établissement.

En raison des faits pour lesquels E est actuellement mis en examen, ce dernier a été « adressé en urgence à l’USIP ». Le Dr Y est le chef du pôle USIP-UMD. Le ..., soit le jour des faits, le Dr Y, en sa qualité de soignant rencontrera E. C’est ainsi qu’il présentera des observations dans le dossier médical de E qu’il qualifiera de « notre patient ». Le …, le Dr Y sera requis par le Lieutenant de police W à l’effet de procéder, notamment, « à l’expertise psychiatrique de E, évaluer sa capacité de discernement et de responsabilité au moment des faits, préciser si le mise en cause peut être entendu sous le régime de la garde à vue, préciser tout élément complémentaire utile à la manifestation de la vérité ». C’est dans ces conditions que le Dr Y deviendra l’expert judicaire de son propre patient. Par surcroit, il sera - de fait - l’expert judiciaire du présumé agresseur d’un collègue de travail. Enfin, il existe un lien de subordination entre le Dr Y et le CH, partie civile reçue en sa constitution en cours d’instruction. Le procès équitable exige une expertise équitable de la part du technicien désigné. Ces trois circonstances génèrent un conflit d’intérêt certain et un manque de garantie d’impartialité du Dr Y en qualité d’expert judicaire. Cette expertise – en raison des missions confiées au Dr Y - aura une influence primordiale sur l’appréciation des poursuites pénales à l’encontre de E. Enfin, quant aux pièces prises en considération par l’expert, E n’en a eu connaissance qu’une fois le rapport achevé et communiqué. Ainsi, il n’a pas eu la possibilité de commenter efficacement l’élément de preuve essentiel. La procédure n’a donc pas revêtu le caractère équitable exigé par l’article 6 paragraphe 1 de la Convention. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

En fait : sur la nullité du rapport d’expertise qui figure à la côte tirée de la méconnaissance du principe du secret médical et de communication de pièces placées sous scellés :

► Le rapport qui figure à la côte … est notamment fondé sur plusieurs pièces médicales issues du dossier médical de E. Ces différentes pièces médicales ont d’ailleurs été en partie reproduites dans le rapport querellé. Un dossier médical ne peut être communiqué à un expert qu’après une saisie soit sur réquisition du Procureur de la République, soit à la demande du magistrat instructeur, selon la phase d’enquête. En l’espèce, l’Expert a été requis alors que la procédure était régie par les dispositions relatives à une enquête de crime flagrant. La saisie du dossier médical a été effectuée le… . Le dossier a été placé sous scellé. L’OPJ qui a requis le Dr Y a précisé les contours de la mission. Il n’a en aucun cas requis que le Dr Y (prenne connaissance du scellé contenant le dossier médical de E. Le rédacteur du rapport a eu accès à ces pièces car il était le soignant de la personne expertisée. Il a fondé son rapport d’expertise sur des éléments irrégulièrement recueillis. Partant le rapport qui figure à la cote est entaché de nullité et viole les dispositions susvisées.

En fait : sur la nullité du rapport d’expertise qui figure à la côte …, tirée de la méconnaissance du principe de la loyauté dans l’administration de la preuve :

Les faits pour lesquels E est mis en examen ont eu lieu le…. L’auteur des coups a été formellement identifié en la personne de E. Dès la commission des faits, il existe des indices graves et concordants laissant présumer que E a commis une infraction. C’est pourtant en dehors de tout cadre de placement en garde à vue ou d’audition libre que E sera expertisé. Le rapport d’expertise rédigé par le Dr Y est porté à la connaissance des enquêteurs avant toute audition de E par les enquêteurs. Ce rapport contiendra de multiples informations relatives aux faits de telle sorte qu’avant toute audition, toute notification de droits, E sera interrogé sur les faits par un expert commis par l’OPJ. Alors qu’il ne fait aucun doute que le discernement de l’intéressé est à tout le moins altéré, qu’il est par ailleurs mineur – ce dernier se confiera sur le déroulement des faits à un psychiatre dont on peut se demander raisonnablement si E avait conscience qu’il s’adressait non pas à son soignant mais à un expert judiciaire. C’est dans ces conditions de minorité, d’altération de sincèrement, de confusion entre la qualité de l’interlocuteur (soignant ou expert), en l’absence de présence d’un avocat ou d’un représentant légal, de toute notification de droit que E aura des propos – qui une fois consignés par l’Expert, deviendront des preuves auto-incriminantes figurant au dossier sans même qu’il n’ait encore été entendu par les enquêteurs. Les enquêteurs qui feront le choix de faire expertiser E en dehors de tout placement en garde à vue, auront eu en main avant toute audition les déclarations incriminantes de ce dernier. L’audition de E – via la désignation d’un Expert – avant toute audition préalable par les enquêteurs eux-mêmes et en présence d’un conseil, constitue un stratagème déloyal de l’administration de la preuve.

Sur l’annulation des certificats médicaux qui figurent aux cotes …:

À l’occasion des placements en garde à vue de E, l’OPJ en charge de l’enquête a pris des réquisitions à médecin afin de procéder aux actes suivants : « - se prononcer sur l’état de compatibilité de l’intéressé avec une mesure de garde à vue, - se prononcer sur l’état de compatibilité de l’intéressé sur un transport pour une présentation devant le magistrat au palais de Justice ». L’OPJ a désigné le Dr YYYY qui a déclaré l’état de santé de E compatible avec une mesure de garde à vue, tant lors de l’examen du … que lors de l’examen du …. Le Dr Y notera dans le certificat : « Nous rencontrons maitre Z qui nous assure ne pas mettre en doute la bienveillance de nos soins, mais qui pointe qu’il serait judicieux que E soit mis en soins dans un autre établissement pour éviter une sorte de conflit d’intérêt ». Figure au même certificat médical la reproduction d’une « note infirmière du …. ». Il est à noter que cette pièce – par définition – ne figure pas au dossier médical placé sous scellé. En effet, cette pièce « note infirmière » a été rédigé postérieurement à la saisie et placement sous scellé du dossier médical. Le Dr Y qui n’avait pas reçu pour mission d’ouvrir les scellés ou d’accéder aux pièces médicales, a pourtant rédigé un certificat médical en se fondant notamment sur une pièce médicale à laquelle il avait accès en sa qualité de chef du Pôle USIP. Le certificat médical du … sera annulé pour avoir été rédigé en méconnaissance des principes d’impartialité et d’équité rappelés ci-dessus et la cote sera cancellée.

Il en est de même du certificat médical établi le … contenant non seulement « une note infirmière » du … mais par surcroit la mention suivante : « E a bien répondu aux demandes qui ont été faites lors de son audition par la police ». Il est pour le moins étonnant qu’un médecin requis pour se prononcer sur l’état de compatibilité d’un intéressé avec une mesure de garde à vue, apporte une appréciation qualitative des réponses faites par l’intéressé lors de ses précédentes auditions auxquelles, il n’a en principe aucun accès matériel. Le certificat médical du … sera annulé pour avoir été rédigé en méconnaissance des principes d’impartialité et d’équité rappelés ci-dessus et la cote sera cancellée. Les deux certificats médicaux sont les supports nécessaires des mesures de garde vue. Leurs annulations entrainent l’annulation des deux mesures de garde à vue, et de tous leurs actes subséquents.

Sur l’annulation du rapport d’expertise du Dr W

Le Dr W a été requis par le magistrat instructeur le … afin de: « - procéder, le …. à l’examen médical de E, -indiquer si son état est compatible avec une présentation au Tribunal de Grande Instance le … (pour interrogatoire et éventuel débat contradictoire, en présence de son avocat), - indiquer s’il est en mesure de comprendre et de répondre aux questions, - faire toutes observations utiles, nous faire parvenir son rapport avant le … ».

Le Dr W rencontrera, dans le cadre de ces réquisitions, E le …. Il déposera un rapport qui conclura à la comptabilité de l’état de santé de E pour une présentation au Tribunal de Grande Instance le…. Ce rapport d’expertise sera annulé pour les motifs de droit relatifs à l’exigence d’impartialité et d’équité exposés ci-dessus et les motifs de faits exposés ci-dessous. En effet, le Dr W qui a également été amené à soigner E (cf notamment les certificats du) ne peut être l’Expert de son patient. E sollicite qu’il plaise à la Cour de prononcer la nullité de la cote …

PAR CES MOTIFS

Vu l’article 6 de la CEDH, Vu les articles Préliminaire, 56 et suivants, 802 du Code de procédure pénale, Vu L.1110-4 du Code de la santé publique L.1110-4 du Code de la santé publique, Vu la jurisprudence, Vu les pièces versées aux débats, E, sollicite qu’il plaise à la Chambre de l’Instruction de :

- Le déclarer recevable en ses requête et mémoire complémentaire,

- Prononcer la nullité des cotes sollicitées par mémoire déposé le … : - « la réquisition de l’Officier de police judicaire ayant désigné le Dr Y comme expert, - le rapport du Dr Y, - le procès verbal de réception de ce rapport du …,

- Prononcer la nullité des cotes suivantes et tous les actes subséquents…


5. Demande de complément d’expertise pour cause d’insuffisance de l’expertise

Sur « l’égocentrisme », la « victimisation » et l’absence d’affect ou le défaut d’altérité de V vis à vis de la petite D (décédée par manque de soins de sa mère, la personne incriminée) l’Expert relève :

  • Au moment des faits, un état qualifié par V de dépressif « que l’on peut entendre »,
  • Du fait que V pleure à l’évocation de sa mère et de sa fille D,
  • Du fait que dans le cadre du suivi de soins en détention, il lui est prescrit l’ Olanzapine,
  • Suivant les déclarations de V « à force de réflexion, je n’ai pas assuré mon rôle de maman et ai fait subir des privations » « (…) je n’ai pas ressui à lui donner tout mon amour. D demandait à être avec moi et que je sois présente, je n’y arrivais pas. C’était trop dur. Maintenant, D me manque énormément. Je suis en colère contre moi. Je ne peux pas revenir en arrière ». « J’ai mis dix mois à me rendre compte que D était décédée »,
  • Que V voit un psychologue à raison d’une visite par semaine et un psychiatre à raison d’une visite par mois.
  • V reconnaît « je ne lui ai pas apporté les soins dont elle avait besoin. Elle avait besoin de plus d’amour, de médicaments et que je sois là pour l’accompagner. Je fuyais tout ». « J’aurais dû l’emmener chez le médecin, m’occuper d’elle et faire attention à elle, ce qu’elle avait besoin et regarder ce qu’elle avait besoin tous les jours et pas la fuir ». « Je regrette de ne pas avoir été là pour ma fille »

À l’évidence et à juste titre, la vision d’un Expert diffère de celle d’un soignant. En soins, V est amenée à se rencontrer « elle-même », à décrypter et à comprendre son fonctionnement. Il serait illusoire et erroné de considérer que ce travail est terminé. Une personne détenue et qui fait face à une procédure criminelle pour la première fois, n’est pas forcement en mesure de comprendre que l’axe d’« exposé des faits », les raisons de passage à l’acte, ne sont pas abordés de la même manière par un psychiatre-expert que par un psychiatre-soignant : V a livré sa vision des choses, telle qu’elle la travaille avec le personnel soignant, ce qui a peut-être pu produire un discours auto-centré.

Mais surtout, il est posé à l’expert, la question de l’existence d’un clivage face à la gravité des faits, aux conséquences dramatiques, ce d’autant que V soutient que si elle avait prodigué les soins à son enfant, elle aurait peut-être survécu.

Observations générales :

  1. Page  de l’expertise :

L’Expert précise : « Pour autant les faits ayant entrainé la mort de cette enfant, des souffrances endurées ne pouvaient que sauter aux yeux, lorsqu’on prend connaissance du rapport d’autopsie et des photos qui l’accompagnent, ne sont pas évoqués ou à peine ».

En premier lieu, le Cd-Rom transmis au conseil de V ne contient pas ces photos : les cotes ….« expertise suite autopsie » comportent .. pages dénuées de photos.

En second lieu, le même Cd-Rom transmis à la défense contient les cotes ….(.. pages)  « Rapport Autopsie » : aucune photo n’accompagne ce rapport.

Il en résulte que ces photos n’ont, soit pas été versées au dossier d’instruction, soit pas transmises au conseil de V. Dans les deux cas, le défaut de contradictoire requiert que cet élément de discussion soit cancellé, ce que V ne manquera pas de soumettre à l’appréciation de la Chambre de l’instruction.

Dans tous les cas, des photos du cadavre d’un enfant, prises plusieurs heures après son décès, pas davantage qu’un rapport d’autopsie, ne sauraient en aucun cas constituer un repère de mesure de la visibilité de la souffrance – même immense – d’un enfant vivant.

S’il est indéniable que la lecture du rapport d’autopsie ainsi que la vue de telles photos sont susceptibles de soulever un émoi, cet émoi ne peut et ne doit influencer la mesure expertale.

2. La réponse à la question n°.

Compte-tenu de l’absence de mention au casier judiciaire de V, il convient que l’expert précise de quelle manière doit être appréhendée la phrase « les antécédents ayant abouti au décès de sa fillette ».

Au regard des éléments exposés ci-dessus et sous le visa des articles 156 à 169-1 du Code de procédure pénale, V vous demande qu’il vous plaise d’ordonner un complément d’expertise confié au Dr W aux fins d’audition de V et de Z et dépôt d’un complément de rapport au regard des observations ci-dessus.


Lorsqu’on obtient un accord sur une contre-expertise, il est recommandé de bien choisir l’expert, veiller au contenu de la mission qui lui est donnée, qui doit prévoir la demande de transmission des dossiers médicaux, la consultation des proches et des témoins des faits, du tuteur ou curateur, d’amis etc…

Parmi les témoignages méritant d’être recueillis : famille, amis, témoins des faits tuteur, curateur, assistante sociale, voisins…

8.4 - Organiser l’accès aux soins dès la phase de l’instruction

Exemples étrangers dans lesquels l’accès aux soins est possible dès la phase de l’instruction :

Dans certains États, les prévenus sont placés en hôpital psychiatrique ou en établissement dédiés pendant la phase de l’instruction.  

De telles mesures permettent d’effectuer l’expertise psychiatrique dans de meilleures conditions. La personne poursuivie évitera la détention provisoire, et les séquelles qui accompagnent l’enfermement. 

En voici quelques illustrations : 

En Allemagne, les hôpitaux psycho légaux accueillent les personnes ayant commis une infraction et nécessitant des soins psychiatriques. 

Au stade de l’instruction, le juge peut ordonner un internement provisoire dans cette structure s’il estime la mesure nécessaire pour la sécurité publique. 

En Italie, les personnes poursuivies peuvent être placée Le juge peut placer la personne en « mesure de sûreté provisoire » durant la période d’instruction. Cette mesure s’effectue en résidence pour l’exécution des mesures de sécurité (« REMS »).

En Angleterre et au Pays de Galles le placement en hôpital psychiatrique général est possible à tout moment du parcours pénal sous forme d’obligation de soins provisoire. Pendant la période d’instruction, on appelle cette mesure « remand to hospital ».

En Espagne, le juge peut décider pendant l’instruction d’un placement de la personne en hôpital ou en unité psychiatrique pénitentiaire pour qu’elle puisse faire l’objet d’une expertise psychiatrique. 

9 - Remerciements

Remerciements pour leurs conseils précieux

Association Nationale des Juges d’Application des Peines (ANJAP)

Avocats pour la Défense des Droits des Détenus (A3D)

Commission Santé et Bioéthique du Barreau de Paris

Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté

Prison Insider

Anaëlle BECKER, stagiaire UNAFAM et Prison-Insider (2020)

Remerciements pour leur soutien financier

Fondation Amnesty International France

Fondation Sisley

Ministère de la Justice – Direction de l’Administration Pénitentiaire

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